Chapitre 12
J'ai toujours détesté le dimanche car il n'y a jamais rien à faire. Tout est fermé, les gens sont cloîtrés chez eux pour se reposer, faire les lessives, visiter des proches. C'est aussi le seul jour où il n'y a pas d'embouteillages sur le périphérique ! Ce jour ne devrait même pas exister sauf pour récupérer des jours de cuite ou de grande fatigue. D'accord lorsqu'on travaille on attend ce jour avec impatience mais il faut avouer qu'après être reposé, on s'emmerde sec ! Et comme chaque dimanche, je m'emmerde royalement. La veille Will ne m'avait pas adressé la parole, il avait tout de même grignoté l'assiette que je lui avais apportée. Ce matin, il m'a ignorée. Ça me blesse énormément mais je l'ai bien cherché. Je savais que c'était une très mauvaise idée pourquoi n'avais-je pas suivi ma première impression? Je soupirai de frustration.
Pour bien me foutre le cafard, je décidai d'ouvrir mes vieux albums. Ma famille me manquait tellement... Que dirait-elle en me voyant aujourd'hui? Je n'aurais pas d'éloges c'est sûr. Parfois j'arrivais à me rappeler leurs rires, leurs voix. Mais c'est de plus en plus dur, ma mémoire a déjà commencé le processus d'effacement de détails, de souvenirs. J'aurais voulu plus de temps, j'aurais dû profiter de chaque instant. Je n'ai plus que les regrets qui me rongent petit à petit. Malgré tout, j'ai eu le privilège de les aimer, de créer des souvenirs, c'est mieux que rien.
J'essuyais mes yeux avec le revers de ma manche. Le temps n'efface pas la douleur, on finit juste par s'y habituer. Je les pleure encore et je les pleurerais toujours. Vous me direz que c'est stupide de me faire du mal en feuilletant nos photos, mais je vous répondrez que c'est le seul moyen de voir si mon cœur bat toujours car une partie de moi est morte avec eux.
Mon père me répétait toujours qu'il ne faut pas baisser les bras lorsque la vie ne nous fait pas de cadeaux. Qu'à force de persévérance, nos efforts sont récompensés. Que m'a-t-elle offerte? Rien, elle m'a juste tout pris. Pourquoi faire des efforts si c'est voué à l'échec? Petite je croyais aux justiciers comme Batman, je croyais qu'il aurait pu éviter l'accident à mes parents avec ses supers-pouvoirs. Comme quoi les contes pour enfants nous bourrent le crâne de conneries car la réalité est que personne ne les a sauvés et ils sont morts!
Je refermai l'album brutalement. J'étais remplie de colère, ce monde était rempli d'injuste et c'était toujours les mêmes qui en payaient le prix. Si au moins je pouvais en vouloir à quelqu'un mais non. Ils ont simplement glissé sur une plaque de verglas sur le trajet pour aller au médecin avec mon frère et mon père n'a pas su récupérer la voiture. Ils se sont emboutis dans les arbres d'un fossé. Les médecins m'ont dis qu'ils n'ont pas souffert, ils sont morts sur le coup. Encore heureux, s'ils avaient souffert...
Je serrais les dents, essuyais mon nez avec ma manche et me regardais dans le miroir. La vie m'a arrachée ceux que j'aime, mais je dois continuer de vivre, pour eux, pour moi, ce n'est pas pour rien qu'elle m'a épargnée. Ce jour-là, moi aussi j'aurais pu y rester si j'avais attrapé les microbes de mon frère. La vie en a décidé autrement.
Je mis ma clé USB dans ma petite chaîne-hi fi. J'enclenchais «Sia -Elastic Heart» , les premières notes m'emportèrent. J'augmentais le son. Je pouvais enfin me libérer et exprimer mon art. Je n'avais pas besoin de réfléchir, mon corps prenait le dessus. L'aisance de mes gestes experts me procurait du plaisir, après tant d'années d'entraînement, mon corps s'était habitué. J'avais combattu la douleur par la douleur, le meilleur remède.
Will tambourinait à ma porte. Qu'importe, mon esprit divaguait, la sensation de plénitude m'envahit. J'étais là de corps mais pas d'esprit. Lorsque les dernières notes sonnèrent la fin de la chanson, je revins sur Terre.
- Putain Ashley, tu vas ouvrir cette porte! L'entendis-je hurler.
J'ouvris la porte d'un coup. Il s'apprêtait à crier mais se tut.
- Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?
- T'es pas toute seule! Alors diminue ton son. Dit-il d'un ton autoritaire.
- Bien! Dis-je en lui claquant la porte au nez.
Il entra en trombe.
- C'est quoi ton problème? Lui dis-je excédée.
- C'est toi!
- Sors de ma chambre alors et ne viens pas me faire chier!
- Ce n'est plus possible, Ash.
- Qu'est-ce qui n'est plus possible?
- Qu'on vive ensemble.
Le choc. Jamais au grand jamais on ne s'était engueulé à ce point.
- Quoi? Dis-je en baissant d'un ton.
- Ashley, tu vois bien qu'il y a un mal être...
- Will... Je baissais les yeux. Très bien, lundi je chercherai autre chose... Il me faudra un peu de temps, je viens seulement de commencer à travailler.
Il acquisse d'un signe de tête. Je venais définitivement de perdre mon meilleur ami par ma bêtise. Il sortit. J'avais envie de m'emmitoufler dans ma couverture polaire, prendre ma boîte de mouchoir et mettre un film triste. Je m'en souviendrais de ce maudit jour. Vous voyez pourquoi je déteste le dimanche maintenant?
Je ne sortis pas de ma chambre de la journée sauf pour aller aux toilettes. Cette situation m'avait coupé l'appétit. J'avais l'impression d'être seule au monde, rejetée par tous. Pourquoi ne pouvais-je pas être «normale»? J'accumulais les faux-pas, j'avais envie que ça cesse.
Je pris le pouf lilas qui traînait dans le coin de ma chambre et le mit devant ma fenêtre. Je mis un fond sonore bien déprimant et m'installa. Il bruinait, j'observais les gouttes glisser le long des feuilles des plantes de mon balcon. Des oiseaux essayaient désespérément de trouver un abris, le vent les repoussaient. La douce mélodie de la pluie qui s'écrase contre le sol et la fenêtre me berçait.
J'entendis un léger coup à ma porte, je ne répondis pas. Je n'avais pas le cœur à voir ou à parler à Will. Il n'avait pas tout à fait tort, nous serions mieux l'un sans l'autre. Je l'entendis déposer quelque chose devant ma porte, sûrement de quoi manger. L'idée de me nourrir me donna un haut-le-cœur. La solitude me pesait, je me mis à regretter mon ancien pays, là-bas au moins, j'avais des repères, des amis.
La nuit venait de tomber, la pluie s'était intensifiée. Je mis mon plaid sur moi, j'observais toujours le magnifique spectacle de la nature. Au cas où, je mis un réveil pour 6h45. La fatigue a dû prendre le dessus car c'est mon alarme qui me réveilla. Je m'étirai, mon corps était engourdit. J'ouvris ma porte, une assiette de lasagne m'attendait. Je l'enjambais et partis en direction de la salle de bain. Une fois préparée, je sortis la prit et la jeta à la poubelle. Je jetai un coup d'œil à ma montre 07h20. Will se levait généralement vers 07h45, je m'arrangerai pour être partie avant.
Je déjeunais avec une tartine de pain gris et de la confiture. Je brossa rapidement mes dents, et mis mes chaussures, ma veste et je sortis. Au moment de fermer la porte, j'entendis Will sortir de sa chambre.
J'étais un peu nerveuse, le premier jour n'est jamais facile. Je me changeais rapidement dans les vestiaires, j'allais faire quelques exercices de souplesse pour me remettre dans le bain. J'avais une classe mixte d'une dizaine d'élèves. La sonnerie signala la fin de ma journée.Je consultai ma montre 17h45. Je décidai de rester encore.
De toute manière personne ne m'attendait, il n'y avait plus que moi et la salle entièrement vide. J'activai avec la télécommande la musique. Je répétais encore et encore des enchaînements, je réfléchissais à la chorégraphie que je proposerais à mes élèves. Vers 19h, je décidai de repartir.
De retour chez moi, les lumières étaient coupées et le silence m'indiquait que j'étais seule. Je me cuisinais rapidement une omelette. Je n'avais pas très faim. En passant devant la salle de bain, je vis de la lumière dans la chambre de Will. J'hésitai à frapper mais m'abstins. C'est avec les pieds de plomb que je pris ma douche puis me couchai.
La semaine passa vite, ma vie se résumait au boulot-dodo. Chaque jour je m'entraînais et chaque soir je mangeais seule. Une routine déplaisante s'était installée. Je n'avais plus envie de rentrer puisque la solitude m'attendait.
Le vendredi soir arriva enfin. Je décidai après mon entraînement de faire un jogging jusqu'au Pont des Arts. Dessus, je pris appui pour étirer mes muscles. Tout me le rappelait. Il n'y a pas un seul jour où je n'ai pas pensé à lui. J'ai même fais des recherches sur Internet pour voir s'il avait quelqu'un dans sa vie. Mais ses apparitions étaient rare, il se terrait comme un rat.
J'étais fière de moi, j'avais tenu bon. Une semaine sans lui faire de messages se révélait de l'exploit! Ce n'était pas l'envie qui manquait. Une personne habillée de noir s'étira près de moi. Je ne prêta pas plus attention. Je m'apprêtais à faire demi-tour lorsqu'on m'attrapai par derrière. Je me débattus, je hurlai, la personne mit sa main sur ma bouche pour étouffer mes cris. Nous étions dos à la rampe, je le sentais me soulever. Il me hissa par-dessus. Face à l'eau gelée dans un ultime espoir je le mordis.
Il cria et me lâcha dans le vide. La chute fut rapide mais l'impact rude. J'avais l'impression que mes os se brisaient, l'eau froide engourdissait mes membres, je luttais pour survivre. À bout de force, je commençai à couler. Ma vie défila, les bons comme les mauvais moments. Je réalisais que je ne voulais pas mourir, malgré mes tentatives antérieures, je désirais vivre. J'allais vivre!
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