Prise De Conscience

Finalement l'Etat Major répondit, sans faire aucune allusion au comportement du Rancunier :

« Capitaine Berius, l'ordre de destruction tient toujours. Veuillez l'exécuter.»

Il fixa la console, serrant les poings, avant d'ordonner le chargement des canons. Yorbun sembla soulagé de voir son capitaine tout de même suivre les ordres, contrairement à Tulsei. Zambasi, de son côté, fronça les sourcils. Une fois les canons chargés, Berius ordonna de régler la visée vers le Céleste. Après une courte pause, et se dégoutant lui-même, il prononça finalement l'ordre de faire feu. Les missiles foncèrent alors en direction du vaisseau ennemi, mais explosèrent en chemin, contrés par des tirs venant du Rancunier. Les quelques tirs non détruits furent déviés par la force de la déflagration, et aucun tir n'atteignit le Céleste. La voix de Tulsei sortit des hauts parleurs :

« Nous ne vous laisseront pas détruire le Céleste sans intervenir. Arrêtez immédiatement.»

Berius inspira profondément, sentant un énorme poid sur son torse. Il s'apprêtait à ordonner le rechargement des canons mais s'arrêta alors qu'il ouvrait la bouche. Il n'était plus sûr de vouloir continuer. Quelques secondes plus tard, l'Etat Major envoya alors une nouvelle communication glaçante :

« Le Rancunier vient de s'opposer directement à un croiseur de l'Union lors d'une bataille décisive, et après avoir désobéi à un ordre direct. Il est coupable de haute trahison et de mise en danger de la mission. Vous avez ordre de le détruire.»

Berius eut alors le souffle coupé. Il posa un regard vide sur la console, tandis qu'une intense colère grondait en lui, et devenait de plus en plus pressante. Devant ses yeux défilèrent alors les personnes qu'il avait tué pour l'Union, les familles qu'il avait brisé, les ordres qu'il avait donné et ayant mené à la mort d'innocents. Il se remémora les crimes de l'Union, toutes ces choses qu'il avait tenté de justifier par la nécessité, par le temps de guerre, par le manque de choix possibles. Le bombardement orbital d'une capitale qui allait bientôt se rendre. La censure d'informations sensibles pour l'image de l'armée. Plus les souvenirs lui venaient, plus la barrière de déni en lui, déjà fragilisée, cédait. Il revit les yeux morts de civils inertes coincés sous des décombres, le sang charriant la poussière en coulant parmis des gravas, et son doigt pressant la détente, un nombre incalculable de fois ces dernières années. Il entendit les cris, les pleurs, les gémissements, les os brisés. Il sentit la chair brulée, le sang, la poussière des ruines, et se rappella de la sensation de recul lors de chaque tir de son arme.

Puis vinrent toutes les fois où il avait accepté sans discuter les ordres qui lui étaient donnés. Toutes ces occasions où il s'était contenté d'un salut militaire devant une décision qui allait briser des familles, et faire vivre des deuils qui ne se termineraient jamais véritablement. Sans se rappeler des visages ni des voix, il eut seulement la vision fugace des uniformes de l'armée de l'Union que portaient tous ces preneurs de décision, qui lui avaient confié ensuite ces missions. Et maintenant, le dernier ordre en date était de tuer Tulsei. De tuer celui qu'il aimait, car il avait refusé d'exécuter bêtement un ordre injuste et inutile. Sa colère se transforma en haine, tandis que toutes ses barrières intérieures s'effondraient, et qu'il acceptait pleinement son dégoût. Il n'excusait plus. Après avoir longuement inspiré, il se redressa, le poid sur sa poitrine ayant disparu. Il savait ce qu'il devait faire. L'Etat Major insista, constatant que rien n'avait évolué :

« Capitaine Berius, avez vous reçu notre ordre ?  »

Il s'avança, ouvrit la bouche et dit alors :

« Ordre reçu.

- Alors détruisez le Rancunier.

- Non. Je ne suivrais plus vos ordres. Terminé.»

Il déconnecta alors le canal de communication et ferma les fréquences longues distance, empêchant l'Etat Major de communiquer avec eux. Il se recula alors dans son siège, les mains légèrement tremblantes, expirant doucement. Il regarda autour de lui, et vit Zambasi afficher un immense sourire, et ses yeux se remplir de fierté, tandis que le visage de Yorbun se décomposait et qu'il serrait les poings. Sans y prêter attention cependant, Berius ouvrit à son tour une communication avec l'ensemble du vaisseau et dit :

« Ici le capitaine Berius. Je viens de m'opposer à un ordre direct de l'Union. Si vous ne souhaitez pas y être associés, les capsules de sauvetage sont prêtes et personne ne vous retient.»

Il ferma alors la communication, et se leva, demandant aux officiers présents sur le pont :

« Est-ce que vous êtes avec moi sue ce coup ?»

Deux d'entre eux partirent silencieusement, sans lui adresser un regard, mais les autres restèrent. Puis, l'une d'entre eux se leva, et fit un salut militaire à Berius, imitée par les autres étant restés. Zambasi également, à son tour, se leva et salua son capitaine. Yorbun, cependant, continuait de le fixer, une colère outrée sur le visage. Berius demanda alors :

«Un problème, second ?

- Vous avez désobéi aux ordres directs de l'Etat Major.

-  Oui.

- Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? De ce que ça signifie ?

- Parfaitement, second. Vous ne m'appellez plus capitaine ?

- Vous êtes un traître. Non, je ne vous appellerais pas capitaine.

- Dans ce cas quittez le pont, second. Vous n'avez rien à faire ici, si vous faites preuve d'insubordination.»

Yorbun le regarda, une profonde haine dans les yeux, avant de sortir du cockpit. Zambasi s'approcha doucement de Berius, en souriant toujours, avant de l'étreindre. Berius lui rendit délicatement son étreinte, heureux d'être réconcilié. Zambasi se recula et affirma, les yeux légèrement humides :

« Je savais qu'au fond tu n'étais pas un de ces fanatiques. Je le savais. Tu es quelqu'un de bien. C'est un honneur de servir sous tes ordres.

- C'est un honneur d'être le capitaine de ce vaisseau, et d'autant plus en te comptant dans mon équipage. Sans toi, je n'en serais pas là. Tu es en partie responsable de cette décision. Je te remercie.»

Berius lui sourit à son tour, tandis que les autres officiers du pont les regardaient d'un air attendrit. Il se retourna alors vers sa console prêt à diriger la suite des événements.

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