Épilogue

Berius fixait le sol devant lui, assis sur un beau siège aux côtés de quelques autres militaires. La guerre s'était officiellement terminée il y avait de cela trois semaines, après un peu moins d'un mois de la bataille de Sialandar, ultime véritable confrontation du conflit. Il tenait une cane dans sa main, sa cuisse encore trop douloureuse pour pouvoir marcher sans aucune aide. Chaque matin il se réveillait et sentait son cœur tomber dans sa poitrine en se rappelant que Tulsei n'était désormais plus là. Il n'avait plus personne. Aucun de ses amis n'avait survécu à la guerre. Il avait plusieurs fois songé à enjamber un balcon, en haut d'une tour de la planète centrale, ou à appuyer sur la détente, le canon d'une arme pressée contre le crâne, mais à chaque fois il finissait par renoncer, afin de faire vivre la mémoire de ceux qu'il avait perdu, et de les honorer.

S'il faisait de son mieux pour ne pas s'en vouloir pour la mort de Tulsei, un profond sentiment de culpabilité persistait en lui. Il avait la sensation que sa place aurait dû être dans un cercueil, tombé au combat, et non ici, à patienter, alors que tant d'autres qui auraient mérité de vivre n'en avaient pas la chance. Ses nuits étaient remplies de cauchemars, l'obligeant à suivre un traitement sans lequel il ne trouvait pas de repos. Tout son trop fort, tout ce qui lui rappelait le bruit d'une arme à feu, la vue même du sang, le faisaient maintenant défaillir, et il se retrouvait à trembler en se balançant légèrement, les souvenirs de la guerre dansant devant ses yeux. Il cherchait un nouveau logement. Une maison isolée, sur une planète calme, loin de la ville, afin de ne plus penser aux horreurs qu'il avait vécu, et ne plus rien devoir à personne.

Finalement, on vint les appeller, et il se leva, comme les autres officiers présents autour de lui. Il se mit en rang avec eux, le regard vide, et suivit le mouvement, arrivant dans une grande salle munie de gradins. Ils se mirent alors en ligne, au garde à vous, face à ces gradins, et un amiral quelconque passa devant eux, leur accrochant une médaille sur l'uniforme, tandis qu'une personne faisait un discours creux sur des "actions décisives durant la guerre", un "courage exemplaire", et d'autres termes vides. Après que tous aient été décorés et que le discours ait été fini, les personnes présentes dans les gradins se mirent à applaudir. Au milieu de toutes, Berius reconnut Shekafdala, la sénatrice qui possédait la compagnie ayant mis au point les croiseurs sur lesquels ils avaient volé.

Une profonde haine monta alors en lui devant ces riches politiques qui les applaudissaient pour avoir tout sacrifié dans une guerre ne les ayant jamais concerné. Les responsables de ces cinq années de terreur, de mort et de destruction étaient devant lui, frappant dans leurs mains avec un air serein et satisfait, l'esprit vide de traumatismes, n'ayant jamais pensé une seule secondes aux vies perdues des gens qu'il avaient envoyé tuer et se faire tuer en leur nom, n'ayant aucun regret, pas un remord. Ils échangeaient ces années de sacrifices contre une pièce de métal accrochée à du tissu, quelques applaudissements et parfois un discours hypocrite sur la difficulté d'une guerre qu'ils n'avaient jamais eu à combattre et dont ils n'avaient jamais eu peur des conséquences.

Berius serra les poings, observant ces visages bien nourris et sans l'ombre d'un soucis, ces mains sans un défaut, n'ayant pas touché de saleté depuis bien des années, cette posture de supériorité que la richesse leur donnait. Son esprit ne parvenait pas à formuler de façon suffisante tout le mépris qu'il ressentait pour eux, toute la rancune, la répugnance et le dégoût qui le prenaient alors pour ces nantis. Il avait envie de les faire souffrir, un par un, pareillement à la façon qu'ils l'avaient fait souffrir. Il voulait plus que tout les détruire, autant qu'ils l'avaient réduit à rien, ruiné, ne l'avaient fait devenir que l'ombre de lui-même.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top