Derniers Instants

«Qu'est-ce que tu veux, Tulsei ? » demanda Berius, interloqué.

L'interpellé hésita un instant avant de répondre, se tordant les mains :

« Je voulais un peu parler, avant que tout ne commence. Prendre des nouvelles.

- Je vais parfaitement bien, merci de t'inquiéter. C'est tout ce que tu voulais savoir ?

- Je... Je ne sais pas, je voulais juste parler. On ne s'est pas vu depuis un an, et il y a des chances qu'on n'en ait plus l'occasion après l'assaut.

- Il y a des raisons pour lesquelles on ne se parle plus, Tulsei.»

Le visage de Berius s'était légèrement adouci, et bien plus d'émotions le prenaient que ce qu'il voulait laisser passer. Tulsei sentait le regret monter en lui et poursuivit :

« Je sais... Mais tout sera bientôt fini.

- Tu sais aussi bien que moi que même une fois le conflit fini, on n'oubliera pas ce que l'autre a pensé. Tu as changé d'avis depuis ? Moi non.

- Non... Mon opinion est toujours la même.

- S'il te plait, Tulsei, essaie de réfléchir. On est en pleine guerre, tout ne peut pas se résoudre par des mots doux...

- Mais on est pas obligés de tomber dans exactement les mêmes travers que ceux qu'on combat. Cette guerre est menée pour conserver et protéger nos valeurs, tu le disais toi-même. Mais à quoi bon protéger des valeurs si on les outrepasse dès qu'elles ne nous arrangent plus ? »

Berius soupira, toute son auto persuasion qu'il avait prit la bonne décision, que Tulsei n'était qu'un traitre, qu'il s'était construit depuis un an, se craquelait doucement. Au fond, il savait que son ancien partenaire n'était pas contre l'Union, et était un idéaliste qui ne voulait que le meilleur pour tous. Mais en surface, il refusait de se l'admettre, car cela signifierait devoir également admettre que ses positions fermées l'aveuglaient sur tous les problèmes de l'Union. Et il refusait de les voir. Si il se mettait à perdre foi en l'Union, après tout ce qu'il avait fait pour elle, pourrait-il jamais retrouver un but dans sa vie, et conserver son amour propre ? Prononçant des mots auxquels il ne croyait plus vraiment, il répondit :

« Dans certaines situations, contre certains ennemis, on a pas le choix. Jamais je ne pourrais tuer quelqu'un dans la vie de tous les jours. Jamais je ne pourrais me regarder dans le miroir, en pensant à tous ses proches, ses amis, sa famille, qui le pleureraient toute leur vie. Jamais, en dehors de la guerre, je ne pourrais faire ce que j'ai fait. J'aurais envie de m'arracher les mains, de les frotter à vif pour en retirer tous le sang qui s'y trouve.»

Sans qu'il ne s'en rende compte, une larme coula sur sa joue, et son menton se mit à trembler, tandis qu'il continuait, la gorge nouée mais tentant de garder une expression neutre :

« Je ne dormirais plus la nuit, en pensant aux cris des familles dans les bâtiments en feu desquels j'aurais ordonné le bombardement. Je ne pourrais plus vivre. Mais c'est la guerre... Et on doit obéir aux ordres. C'est le seul moyen.»

Tulsei l'observait, prenant doucement conscience de toute la souffrance qui l'habitait, qu'il s'efforçait de cacher, et de se cacher à lui-même, sous une couche de déni et de faux patriotisme exacerbé. Il répondit alors :

« Si la guerre t'amène à faire de telles horreurs alors que tu en serais dévasté en temps normal, pour combattre des gens qui ont probablement les mêmes sentiments que toi, tout ça pour des individus qui n'en subiront jamais les conséquences, il faut que tu arrêtes de la défendre. La fin ne justifie pas toujours les moyens.»

Berius le regarda fixement, tentant de retrouver un visage fermé malgré ses yeux rougissant, et finit par articuler difficilement une salutation avant de mettre fin à la communication. Chacun resta debout devant son moniteur durant plusieurs minutes, secoué, et aucun ne trouva le sommeil cette nuit là.

Les jours restants s'écoulèrent vite, et rapidement, trop rapidement, la flotte dut se mettre en position. Une vingtaine de nouveaux croiseurs étaient arrivés entre temps, et l'attaque était prête à être menée. Les vaisseaux capitaux se mirent en position, l'Implacable et le Rancunier parmis les croiseurs lourds, et de nombreuses corvettes volaient également entre les bâtiments massifs de l'Union. Le déployement de force était très impressionnant, y comprit pour les soldats qui avaient pourtant déjà assisté à de grandes démonstrations de force. La flotte de l'Union se mit alors en mouvement, s'approchant de Sialandar. La planète écarlate grossisait doucement au fil des minutes, et finalement, parmis les étoiles, des dizaines de petits points lumineux apparurent progressivement.

La flotte du Clan Cosmique était également en position, finalisant sa formation. Lentement, ils furent assez proches pour être visibles à l'œil nu sans besoin d'aide particulière. Le dernier encouragement de l'Etat Major arriva sur le pont de chaque vaisseau de l'Union : " Soldats, vous livrez probablement ici la bataille la plus décisive de toute cette guerre qui n'a que trop duré. Vous pouvez être fiers d'avoir tant accompli, et d'être ici aujourd'hui pour assister à la conclusion de ce conflit. Cet instant en ce lieu restera à jamais dans les mémoires de la galaxie, et chacun se rappellera des guerriers qui l'auront défendu au péril de sa vie, parfois même en la sacrifiant afin d'assurer un avenir radieux pour tous. Vous pouvez être fiers d'être ici aujourd'hui. Que la guerre se termine enfin. Pour l'Union. Puisse la paix régner durant des siècles."

Certains applaudirent, Yorbun effectua un salut militaire, et beaucoup se sentirent galvanisés. D'autres cependant, comme Tulsei, Zambasi ou TK-782, trouvèrent ce discours insipide et sans grand intérêt. Qu'il leur plaise ou non, cependant, ce discours signait le début officiel de l'assaut. Ils continuèrent de voler, distinguant nettement les vaisseaux ennemis, tandis que les canons étaient tous en chargement, les boucliers activés et chacun à son poste, plus que jamais prêt à combattre. La fin de la guerre était enfin là, concrète, palpable. Après un instant qui sembla suspendu dans le temps et parut des années, les premiers tirs furent déclenchés.

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