Dixième morsure : Gentille amie

Ou
Rencontrer une des seules amies de sa logeuse et se rendre compte qu'elle est très particulière

Ce matin, quand Mikhail se leva, il s'étonna de ne pas trouver Aludra dans son bureau. Cela faisait bien une petite semaine que la fête avait eu lieu chez David de Rosideau et il avait encore cette femme présente dans son esprit.
En se promenant dans le château, il finit par entendre des voix. Deux voix plus ou moins familières...

-Mikhail, te voilà ! s'exclama Aludra en ouvrant grand la porte au jeune garçon.
Ce dernier écarquilla ses yeux d'un certain niveau de stupeur avant de se reprendre.
-Bonjour...Dois-je aller préparer le petit déjeuner ?
-Non, reste.
Aludra le mena dans ce que Mikhail appelait un cercle de fauteuils où il en y avait cinq, disposés en rond, dont un dans lequel se trouvait une femme. Un chignon châtain clair désordonné dépassait en haut du dossier.

Soudain, cette femme se leva et brandissant devant elle un éventail violet qui disait fortement quelque chose à Mikhail, se retourna avant de s'exclama :
-Bien le bonjour, mon très cher Mikhail ! Enchantée de te revoir !
Le jeune humain faillit tomber à la renverse tant son entrée en scène était rocambolesque ! Il balbutia quelques mots et finit par faire avec des yeux ronds comme la Lune au-dehors, déclinant sur l'horizon :
-Vous êtes...Vous êtes la femme de la semaine passée !
Elle lui sourit. Ses crocs tout petits et ses yeux bleus devinrent rouges, preuve de sa nature vampirique. Elle lui brandit encore une fois son bel éventail sous le nez et lui dit avec un enthousiasme hallucinant :
-Je m'excuse de la dernière fois, je devais avoir bu un verre de vodka de trop pour oublier de me présenter ! Quelle infâme oubli de ma part ! Je me présente donc, je suis Graviila Yevada, enchantée de te rencontrer enfin de manière plus officielle ! Ça fait des jours qu'Aludra ne fait que me parler de toi !
-C'est...C'est vrai ? demanda Mikhail, quelque peu sceptique.
-Je t'ai parlé de lui dans une seule lettre en deux lignes ! gronda Aludra entre ses crocs. Tes notions de grandeur et de quantité sont quelque peu erronées. Ma lettre devait être titanesque si deux lignes te paraissent être beaucoup.
-Très drôle, fit Graviila avec un ton fluet.

Après s'être remis de ses émotions pour Mikhail et demandé à ses Noctambules d'apporter une assiette de plus et le reste du déjeuner, les discussions entre Graviila, Aludra et Mikhail débutèrent.
-Vous avez un chignon...Intéressant.
-Enfin, Mikhail, tu peux me tutoyer ! Je n'ai que cent-seize ans ! rit Graviila en mettant sa main devant sa bouche.
Mikhail acquiesça.
-Il me semblait que votre...Que ton chignon était mieux fait à la fête. À moins que je ne me trompe ?
-Je crois que tu confonds, le détrompa Graviila.
-Ne la crois pas, intervint Aludra en la pointant du doigt, elle et son chignon mal fait. Pour les fêtes, c'est Marina, sa servante, qui lui fait ses coiffures.
Graviila releva les sourcils et se plaignit :
-Aludra ! Tu gâches tout !
Mikhail songea que ça devait être la seule vampire qui tutoyait Aludra et qui osait être aussi familière avec elle. Et même plus que familière, vu la phrase qu'elle venait de lui dire.
Le jeune humain osa poser la question :
-Quel est le vrai lien qui vous unit toutes les deux ?

Un moment de silence accueillit et suivit sa question qui paraissait d'un seul coup indiscrète. Aludra eut un petit sourire et répéta :
-Notre lien ?
Mikhail hocha lentement la tête, finalement plus extrêmement certain de vouloir connaître la réponse. Graviila sourit elle aussi et ce fut Aludra qui finit par lui répondre :
-Théoriquement, nous sommes amies.
Mikhail hocha encore une fois la tête et demanda :
-Et du coup, pratiquement ?
La plus jeune des deux vampires eut un sourire.
-Elle est un peu ma mère de cœur...

Le jeune humain eut un air à la fois sceptique et étonné.
-Comment ça ?
-Depuis toute jeune, je n'ai plus de parents. Ils sont morts tous les deux. Et c'est Aludra qui a pris soin de moi depuis mes trente-quatre ans.
-Déjà plus de trois quarts de siècle, murmura Aludra en souriant avec une certaine nostalgie, ce que Mikhail ne lui avait encore jamais vu.
-Si...Si ce n'est pas indiscret, fit ce dernier avec un air un peu hésitant. Comment sont morts tes parents ?
Il avait un peu moins de peine à la tutoyer qu'Aludra car, même si elle était belle et importante, elle ne donnait pas la même aura imposante et de noblesse que dégageait la plus puissante des deux vampires. Graviila le regarda avec un air compatissant avant de dire :

-Mon père est mort quand j'étais toute petite, aux alentours de mes douze ou treize ans. Il est mort de faim. Et ma mère, quand j'avais dix-neuf ans, presque vingt, mais tu n'es je pense...
Graviila jeta un regard en biais à Aludra qui secoua la tête de gauche à droite.
-Tu n'es pas encore prêt à entendre de quelle façon ma mère est morte.
-Je passais dans le coin, et je l'ai entendue. Graviila. Je l'ai donc prise avec moi dans un élan de bonté et de pitié et j'ai refait son éducation.
-Je ne te remercierais jamais assez pour ça. M'avoir récupérée à ce moment-là a été la chose la plus décisive et la plus belle qui puisse m'arriver.
Graviila paraissait sincère. Très sincère.
-De rien, fit Aludra avec un sourire.

Puis avec un subtil sourire diabolique, Aludra croisa ses mains sous son menton et lança alors comme une pique :
-Et bien...Maintenant, racontez-moi comment vous vous êtes rencontrés pour la première fois !
Graviila fit la moue.
-Il m'a suivie contre mon gré.
Mikhail protesta vivement :
-Mais non ! Vous...Tu avais fait tomber ton éventail !
Aludra rit.
-En fait, tu voulais juste le voir ?
-Oui, ça doit être ça. Pour qu'un humain t'intrigue et que tu le prennes sous ton aile et ton toit, il doit être vraiment exceptionnel. J'en sais quelque chose, j'ai vécu ici pendant cinquante ans, j'ai tout vu durant cette période. Et c'est vrai qu'il est beau...
-Oui, acquiesça Aludra.
Au-dessus de Mikhail planait un point d'interrogation.
-Vous aviez déjà accueilli des humains avant moi ici ? demanda-t-il.
-Regarde, il est jaloux ! fit Graviila avec une voix exagérée de mijaurée.
Aludra eut un sourire amusé et elle répondit au jeune humain avec sincérité :
-Quelques-uns ont vécu ici quelques temps, oui. Un est même mort ici, mais Graviila ne l'a pas connu, c'était avant que je ne la recueille.
-Je vois. Vous avez sûement vécu longtemps pour connaître autant de choses ! dit Mikhail, impressionné.
-Oui.

Ils finirent leur thé et leur déjeuner avec un air léger dans la pièce. Mikhail s'entendait plutôt bien avec Graviila. Il apprit qu'elle avait maintenant marié un duc, qu'elle était heureuse avec lui et que c'est pour cela qu'elle avait quitté il y a une vingtaine d'années. D'après les sous-entendus d'Aludra, ils passaient beaucoup de nuits folles et amoureuses mais Mikhail était apparemment encore trop innocent pour les saisir. Elle avait rencontré Kasim dans une soirée de type mondaine dans laquelle Aludra avait dû se rendre par obligation, un peu comme avec David de Rosideau l'autre soir.
Mikhail avait rarement ri autant dans sa vie qu'avec ces deux vampires qui ne paraissaient pas du tout sanguinaires au premier abord et telles qu'on les voyait actuellement. Graviila resta toute la journée avec eux. Aludra paraissait détendue et reposée contrairement à quand elle avait dû aller à la fête d'anniversaire de David. Mikhail aimait bien cette vampire. Elle était sympathique et on n'avait pas de mal à discuter avec elle. Elle faisait beaucoup d'allusions peu catholiques mais seule Aludra semblait la comprendre. Mikhail avait grandi dans un autre contexte, il ne comprenait pas encore tout de la vie, qu'elle soit humaine ou vampire.

Autour du thé du soir qui ressemblait du coup à un apéritif, la vampire la plus jeune prit un air plus grave et dit vouloir faire une annonce à sa mère de cœur.
-Aludra, si je suis venue aujourd'hui, c'est pour voir Mikhail mais aussi parce que je dois te dire quelque chose...
La vampire surpuissante la regarda soudainement avec une pointe de noirceur et beaucoup de sérieux.
-Quoi donc, Gravii ?
Mikhail était surpris de ce surnom. Ce n'est que plus tard qu'il apprit que Graviila était russe et qu'il était usuel là-bas de ne pas appeler les gens par leur nom mais pas un surnom.
-Je...Je ne sais pas si Mikhail devrait partir ou...fit-elle, hésitante.
-Jauge par toi-même.
-Ça ne me dérange pas qu'il sache.
-Bien. Alors parle, ordonna presque Aludra.
-Je...Je suis enceinte.

Mikhail sentit une bourrasque de vent venir de sa droite qui faillit le projeter contre le mur d'à côté avant de remarquer que c'était juste l'aura d'Aludra. Elle fronçait tellement les sourcils que Mikhail n'aurait pas été étonné qu'ils tombent de leurs arcades. Aludra se retint de hurler quelque chose puis dit avec une voix plutôt calme mais qui respirait la contention et le contrôle de soi :
-Je vois. Félicitations.
Graviila ne dit rien, de peur d'attiser encore plus la colère de sa mère de cœur. Elle savait ce qu'il y avait de mal là-dedans.
-Je suis heureuse pour Kasim et toi. Mais sache qu'il n'y a jamais eu de grossesse ainsi avant. Tu es prête à encourir le risque ?
Les yeux de Graviila grandirent.
-Oui. Je le suis.
-Tant mieux. Tu risques d'avoir besoin d'une certine quantité de mon sang. Nous verrons cela plus tard. Sache que je serai là mais que je m'inquiète pour toi. Beaucoup. Gravii, tu n'es pas n'importe qui à mes yeux, retiens ça.
-Je sais. Je sais...fit Graviila avec un léger hochement de tête.

Quand Graviila s'en alla dans son carosse tiré par de vrais chevaux cette fois-ci contrairement à toutes les créatures qu'Aludra créait avec son flux vital, Mikhail s'enquit de l'état de celle qui le logeait :
-Ça va ?
Aludra le fixa de ses yeux noirs comme la suie qui, pour la première fois, effrayèrent Mikhail qui frissonna doucement. Elle soupira, agacée, et dit au jeune humain :
-Je me fais du souci pour sa grossesse, c'est tout. Je suis très inquiète pour elle.
-Je comprends. Mais pourtant, il y a déjà eu des grossesses chez les vampires avant elle, non ? demanda-t-il avec son esprit humain.
-Bien sûr. Sinon, je ne serais pas là à te dire que je m'inquiète, fit Aludra sur le ton de l'évidence. Mais tu ne connais pas sa constitution. Elle est plus fragile que tu ne le penses.
-Elle a des problèmes de santé ?
-Disons cela comme ça.
-C'est juste Graviila son nom ?
-Non. Son nom complet est Graviila Liuba Irinushka Piotrovna Yevada, ou autrement dit, Graviila Liuba Irinushka fille de Piotr Yevada. C'est le nom de son mari, vu qu'elle l'a pris suite à son mariage, mais son père ne s'appelait pas Yevada.
-Je vois. Et maintenant ? Dois-je aller préparer le repas du soir ou est-il trop tard ?
-Non, ça va. Pour toi si tu veux, moi je n'ai pas faim. Si tu veux bien m'excuser...Tu devras malheureusement passer le reste de la soirée seul, tu m'en vois navrée.
-Pas...Pas de souci, fit Mikhail, ne comprenant pas trop la situation mais sachant en revanche qu'il ne fallait pas énerver Aludra maintenant.
C'est son instinct de survie qui le lui soufflait...

Alors que Mikhail montait à l'étage de sa chambre, Aludra descendit pour aller activer avec un bouton sur un immense tableau de bord coloré sur lequel était représenté son château en ombre chinoise et une immense bulle tout autour. Un bruit se dégagea de la machine et elle se dirigea dans une pièce sombre et immensément grande par rapport à la vampire.

Mikhail, en haut, avait commencé la lecture d'un livre qui se trouvait dans son étagère qui était un roman de loups-garous avec un couple mignon et une famille aussi belle qu'insupportable pour un des deux héros quand soudain...
-Qu'est-ce qui se...
Le sol se mit à trembler et tous les meubles suivirent. Le plancher de la chambre de Mikhail tremblait tellement que les meubles se déplaçaient lentement dessus par petits soubresauts. Si c'était un tremblement de terre, il devait être à douze ou treize sur l'échelle sur dix seulement qu'on connaissait communément...
Le jeune humain qui s'accrochait à deux mains à un des piliers de son lit à baldaquin crut que le monde autour de lui allait s'effondrer sur lui-même et que sa misérable vie d'humain parasite était terminée...
Le tremblement de terre qui semblait bien trop long et régulier pour venir des entrailles de la Terre dura des heures pendant lesquels Mikhail se détruisit les muscles des bras pour se tenir à ce pilier de bois. Son lit, comme tous ses autres meubles, avait bougé d'au moins un mètre par rapport à son emplacement d'origine et il commençait à s'inquiéter...
Tout à l'heure, il avait entendu un long hurlement bestial qui ne semblait en rien humain...

Et si...
Et si c'était Aludra ?
Et si c'était Aludra en colère ?
Très en colère ?

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