Dix-neuvième morsure : Explicite provocation

Ou
Provoquer et exaspérer une ennemie redoutable avec deux moyens de pression infaillibles, un enlèvement et un quasi macchabée

-Où est donc encore ce badaud ? grogna Aludra.
Cela faisait plusieurs jours que Thokmah disparaissait à tout va et qu'elle devait lui rappeler qu'il était toujours sous contrôle judiciaire pour une enquête très sérieuse. Il allait voir sa famille et apparemment, un de ses membres était malade, alors il retournait régulièrement voir ce parent.
Bientôt cinq mois séparaient ce moment actuel du premier jour que Mikhail passa ici, arrivant sans crier gare. À vrai dire, il n'avait guère pu crier gare, train, rails, ou quoi que ce soit d'autre car il était inconscient en arrivant ici, mais il ne fallait pas se cantonner aux petits détails...
Aludra allait se résoudre à utiliser mieux son odorat pour localiser Thokmah, savoir s'il était toujours sur le territoire de son château ou pas, quand Mikhail déboula devant elle, sans préambule. Il haletait et Aludra ne vit qu'après quelques secondes que le jeune garçon pleurait à chaudes larmes. Elle posa une main sur son bras pour le réconforter avant de le questionner :
-Que se passe-t-il, Mikhail ?
Le garçon renifla bruyamment dans sa fosse cubitale, sur sa manche de chemise trempée par probablement ses larmes salées, avant de réussir à articuler pâteusement entre deux sanglots :
-Enula...Elle...Il faut l'aider...Vite...Venez vite...S'il vous plaît !
Bien qu'Aludra doute que la vampire, aussi jeune soit-elle, puisse avoir besoin de beaucoup d'aide à moins d'un énième caprice mais l'état et la voix de Mikhail ne lui présageaient rien de bon. Elle se redressa, les yeux sérieux, et dit :
-Guide-moi.

Mikhail entraîna sa logeuse à travers les couloirs, empruntant l'itinéraire le plus court en direction du jardin. Aludra ne put s'empêcher durant le petit trajet de se dire que Mikhail s'était bien acclimaté à sa vie ici et qu'il était tellement habitué à déambuler ici qu'il parvenait à trouver son chemin même en étant apparemment très secoué.
Quand ils arrivèrent dans le jardin immense de la vampire, sous le Soleil chaud, ils firent le tour de quelques arbres avant que Mikhail ne trouvât celui qu'il cherchait.
Et là...
Aludra se figea.
D'un seul coup...

À une des plus grosses branches de l'arbre, pendue par les poignets attachés à une grosse corde brune comme l'écorce, se balançait Enula, dans le vide au gré du vent timide ce jour-là.
La jeune femme avait les yeux clos, le visage bouffi qui semblait avoir été roué de coups tous plus brutaux les uns que les autres, sa belle robe aux couleurs pastelles était toute déchirée, salie et abîmée, et ses membres, de la tête aux pieds, étaient couverts de blessures sanglantes et coulant encore fraîchement des plaies béantes plus ou moins profondes.
Sur son ventre découvert par sa robe déchiquetée se trouvait un signe gravé à même la chair, avec semble-t-il une lame fine.
Un R majuscule entouré d'un serpent, d'un loup et d'une chauve-souris...
Sous les pieds pendant dans le vide de la jeune femme se trouvait dans une flaque de sang laissée par Enula qui saignait encore un bouquet de roses rouges, comme teintées de l'hémoglobine de la victime innocente.

Mikhail entendit alors un bruit strident, il aurait juré que c'était les dents d'Aludra qui avaient crissé les unes sur les autres. Une onde de choc sembla sortir de la surpuissante vampjre et balaya Mikhail, à ses côtés, sur son passage, qui valdinga dans un buisson à dix mètres de là. Il entendit Aludra se contenir de rugir sa frustration en disant :
-Encore...Ça ne suffira donc jamais !
Mikhail ne sut de quoi elle parlait, mais il n'avait bizarrement pas envie de lui poser la question juste maintenant. Probablement parce que s'il le faisait, il risquait clairement de rejoindre Enula là-haut, pendue à son arbre.

Aludra sauta sans grand effort apparent, trancha l'épaisse corde avec le revers de sa main et rattrapa Enula avant sa chute en atterrissant avant elle sur ses talons. Elle la coucha sur le sol, retira ses menottes de corde qui lacéraient et faisaient encore saigner la vampire. Aludra mordit son cou, à défaut d'un poignet, déjà tous deux bien trop endommagés. Elle rassura Mikhail qui se rapprochait à nouveau d'elles :
-Ça va, elle vit. Mais elle n'arrive pas à régénérer ses blessures.
-Comment cela se fait ?
-Son flux vital est tombé à zéro...marmonna Aludra qui maudissait cette fameuse inexpérience de jeunesse qui consistait à tout utiliser d'un coup sans en garder pour la suite. Je vais devoir agir pour la faire survivre.
Aludra se mordit violemment le poignet, faisant gicler une autre quantité de sang un peu partout dans le jardin, se mêlant à la flaque déjà existante là où Enula était suspendue tout à l'heure.
-Mikhail, ouvre-lui la bouche.
Le jeune humain fut dérouté mais finit par le faire. Il ne voulait surtout pas contrarier la vampire ou pire, la faire s'énerver encore plus...
La vampire déplaça son bras mutilé au-dessus du corps d'Enula et fit couler en assez importante quantité son sang dans sa bouche. Après seulement quelques secondes, Aludra retira son bras et demanda à Mikhail se la redresser.
Au bout d'une minute ou deux, la jeune fille fut prise d'une violente quinte de toux et cracha un peu de sang. Mikhail n'aurait su dire si c'était le sien ou celui d'Aludra mais elle toussota encore un moment, en faisant s'éparpiller sur le sol plusieurs gouttes de sang projetées hors de sa bouche. Quand elle reprit ses esprits et ouvrit des yeux, Enula s'écria :
-Maraud ! Je vais te détruire !
Son bras offensif fut stoppé par la main d'Aludra qui regarda cette dernière avec un air à la fois dur et bienveillant. Enula reprit entièrement conscience et écarquilla ses yeux.
-Je...Vampirique maîtresse Aludra...Je...Pardonnez mon attaque frontale...Je...Je ne vous visais pas vous.
-Je sais, fit la surpuissante vampire, contre toute attente. Je t'ai fait don de beaucoup de mon sang. Il est sans doute bien trop puissant pour toi, tu auras du mal à contenir tes pouvoirs pendant quelques heures voire un jour entier, mais je ne peux malheureusement pas te prendre du sang qui serait en surplus, tu manques déjà de sang. Tu devras faire avec. Et tu devrais aller te reposer dans ta chambre.
-Vous...Vous m'avez donné de votre prestigieux sang ? Merci infiniment ! fit-elle, aussi sincère qu'interloquée, en s'inclinant bas, son front touchant le sol. Vous m'avez sauvée !
Avec ce sang si prodigieux, ses blessures commençaient déjà à se refermer et elle se régénérait plutôt vite.
-Je ne supporte pas les provocations inutiles...susurra simplement Aludra. Tu as sans doute été prise par surprise, je me trompe ?
-Non, confirma Enula. Quelqu'un m'a attaquée depuis le toit, là-bas. C'était un homme, plutôt grand je crois, encapuchonné. Je n'ai malheureusement pas pu voir son visage mais je crois bien qu'il avait, de mémoire, une petite barbe blanche...
Un sourire de folle, de psychopathe étira les lèvres d'Aludra et elle dit avec un ton tellement posé qu'il en devenait effrayant :
-Tu ne fais que me conforter dans mon idée, Enula...
La jeuje vampire osa regarder furtivement Mikhail qui lui, n'avait pas peur. Enfin, il n'était pas dénué de ce sentiment en ce moment, mais simplement, il ne le montrait pas trop sur son visage et il avait sans nul doute bien moins peur que sa jeune colocataire vampirique.

Le soir, quand Thokmah revint, Aludra lui fit des sermons qu'il accepta en se confondant en excuses. Il dut aussi aller à sa demande s'excuser auprès d'Enula qui avait risqué sa vie sur ce coup et il n'avait pas été là pour l'accompagner. Elle était encore très jeune pour une vampire et assez inexpérimentée, autant au point de vue du mental que du combat.
Depuis là, elle n'essaya plus du tout de courtiser Mikhail, et cela ne dérangeait pas le moins du monde le jeune humain qui soufflait enfin.

Ce soir-là vers dix heures, alors qu'Aludra était dans les sous-sols de son château pour s'entraîner seule dans sa salle spéciale pour s'entretenir un peu tout de même et tandis qu'Enula dormait, assommée par le contre-coup du puissant sang d'Aludra dans ses veines, Thokmah vint parler à Mikhail, seul dans le salon commun à lire un nouveau livre.
-Je peux ? demanda le majordome en désignant un des fauteuils.
Mikhail haussa les épaules.
-Quant à moi, oui, mais je ne sais pas si Aludra va apprécier voir un majordome assis.
-Je me lèverai avant son arrivée, lui assura Thokmah en s'asseyant.
Mikhail posa son livre et le majordome orients ses yeux rouges vers lui.
-Tu es proche d'Aludra, non ? lui demanda ce dernier.
-Disons que...Je me sens plutôt proche d'elle, oui, admit le jeune humain avant de s'expliquer. Au vu de mon passé compliqué, dur et en solitaire, il m'est assez dificile de ne pas me sentir proche d'elle, mais je ne sais pas si elle me considère comme tel.
-Je vois, fit Thokmah avec un doux sourire sur les lèvres. Mais sache que tu restes plus proche d'elle que des gens comme moi, un simple majordome au chômage, sans maître à servir.
-Vous pourriez devenir le majordome d'Aludra, proposa Mikhail. Demandez-lui, ça ne vous coûte rien. Et vous auriez de nouveau un maître. Enfin, une maîtresse, Aludra est une femme.
-Toi seul ose l'appeler par son prénom seul ! rit nerveusement Thokmah, une main devant la bouche. Je voudrais bien, mais elle n'a pas l'air de beaucoup m'ainer. Et je t'en prie, tutoie-moi toi aussi !
Mikhail hocha la tête.
-Je ne sais pas vraiment si elle vous...Si elle t'apprécie ou pas, mais si c'est le cas et que ça te dérange, il faut changer d'attitude.
-Oui, c'est vrai. Pas disparaître ainsi pendant toute une journée, n'est-ce pas ? sourit le vampire.
-Probablement, lui répondit Mikhail.
-J'y suis malheureusement contraint, en ce moment...
-Pourquoi ? demanda instinctivement Mikhail avant de repenser à son parent malade.
D'ailleurs, quel genre de maladies avaient les vampires ? Le jeune humainse le demandait bien...Le regard de Thokmah se fit doux, presque triste, et un sourire sincère se forma sur ses lèvres. Il déclara, avant de se lever de son fauteuil :
-Parce qu'avant, tout comme toi, j'étais un humain...
Et il laissa Mikhail en plan, seul, avec ses questions.

Quand Aludra eut terminé vers deux heures du matin, elle remonta dans les étages supérieurs et se rendit dans la chambre de Mikhail pour voir s'il y dormait. Il n'y était pas. Elle trouva cela bizarre et dirigea ses pas vers sa propre chambre, où il avait peut-être été de sa propre initiative. Mais non, il ne s'y trouvait pas non plus. Aludra haussa un sourcil interrogateur et décida de se rendre au salon commun, où peut-être Mikhail s'était assoupi dans son fauteuil. Elle le trouva vide, tout comme la pièce le contenant, mais elle vit sur la table basse l'épais volume que lisait Mikhail en ce moment. Pour une fois, c'était un pur roman policier, et non pas ume des nombreuses affaires qu'elle avait dû résoudre. Elle connaissait la solution à celle qui l'accaparait, elle connaissait même le coupable. Elle l'avait reconnu à son odeur flottant encore faiblement dans la chambre de David de Rosideau, à son symbole gravé sur le corps de deux victimes, dont une à présent défunte, à la description que lui avait fait Enula de son agresseur et à son propre instinct...
Mais pour le moment, impossible de l'arrêter.
Elle remarqua alors un papier dépasser des pages du livre que lisait Mikhail, trop large pour un marque-page. Elle ouvrit le livre pour récupérer ce papier et lut l'inscription qu'il y avait dessus avant de se figer complètement d'un seul coup.
Mikhail lui avait écrit un billet, elle reconnaissait son écriture encore un peu tremblante et maladroite, choses dues à son apprentissage assez tardif et sa pratique quelque peu aléatoire depuis son enfance.

Quand soudain, elle se retourna avec une vitesse monstrueuse et dans un mouvement suivant sa rotation, elle frappa une ombre qui se dressait derrière elle, menaçante.
Un craquement violent se fit entendre puis un bruit de métal heurtant une surface dure dans toute sa longueur. Un cri étouffé parvint aussi aux oreilles de la vampire qui se retourna entièrement, se redressant de toute sa hauteur, toisant la personne qui avait osé l'attaquer de dos.
-Alors comme ça, on était humain avant, Thokmah ?
Ce dernier haleta et cracha quelques gouttes de sang. Il avait deux ou trois côtes brisées, d'où l'horrible bruit de tout à l'heure.
-Comment...
-Tes pulsions meurtrières et cardiaques ainsi que ton stress se sentaient à soixante-cinq kilomètres à la ronde, répliqua-t-elle, violente. Et si tu parles de ce que je viens de te dire, Mikhail m'a écrit sur ce papier ce que voys avez dit tous les deux. Comme quoi, il a de l'instinct, ce petit. Cesse donc de jouer la comédie avec moi. Que veux-tu et que cherches-tu à faire ? Tu croyais vraiment pouvoir m'attaquer et me faire du mal avec un si petit poignard ?
-Pardonnez-moi de vous avoir sous-estimée, grande maîtresse des vampires ! souligna Thokmah en se relevant tout en essuyant le coin de sa bouche pour retirer le filet de sang qui s'y trouvait. Mais il se trouve que j'avais mes raisons. Et même sans vous attaquer, je peux vous forcer à me suivre.
-Et comment ?

Un sourire de psychopathe presque bipolaire étira les lèvres de Thokmah, révélant des canines moyennes mais acérées.

-J'ai enlevé Mikhail, pour en faire un otage...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top