Dix-huitième morsure : Fatigants locataires
Ou
Devoir gérer trois pensionnaires dont les deux derniers sont intenables contrairement au tout premier
-Taisez-vous !
La voix d'Aludra tonna dans l'immense salle à manger de son château. Ses trois pensionnaires se turent et se figèrent net, bien plus pour les deux derniers que le tout premier, Mikhail. Lui ne craignait pas trop Aludra, mais les deux autres, si...Et disons que la constitution de leur corps, bien moins fragile que la sienne, n'aidait pas à réfréner la vampire et ses ardeurs meurtrières...
-Je ne supporte pas vos incessantes niaiseries ! les réprimanda Aludra. Thokmah, cette façon de parler avec une voix exrès aussi ridiculement haut perché et toi, Enula, tu minaudes comme cent ! Cessez donc ces gamineries et comportez-vous en adultes.
Le ton de la vampire avait été suffisamment dur et indéniablement clair, si bien que personne n'osa dire quoi que ce soit durant ce repas, à part Mikhail, moins concerné par ces enfantillages.
Cela faisait trois semaines d'écoulées depuis le meurtre de David de Rosideau et son ancien majordome et la jeune vampire Enula mangeaient en compagnie de Mikhail et Aludra depuis une semaine seulement. La vampire avait consenti à les accepter à sa table mais elle ne l'avait pas spécialement fait de bon cœur. Mikhail lui avait simplement dit que les accueillir Enula et lui à sa table, au vu de leur statut à chacun privilégié, pour l'une de comtesse et l'autre d'humain recueilli, il n'était pas très correct de ne pas prendre Thokmah à table non plus...Aludra avait accepté en précisant bien au majordome que c'était Mikhail qui avait insisté. Il s'en était montré très reconnaissant de la part de cet humain.
Après les repas en général, Aludra allait s'isoler pour réfléchir au meurtre de David de Rosideau, disait-elle, mais en réalité, seul Mikhail savait que ce n'était pas le cas. Il ignorait si la vampire avait laissé tomber cette affaire au final ennuyante, si elle avait tout résolu mais qu'elle gardait le silence pour telle ou telle raison, ou si elle continuait de réfléchir mais sans le montrer. Elle passait en effet ses après-midis entiers à regarder par la fenêtre, tantôt avec un air pensif, tantôt glacial et énervé, tantôt perdu à l'horizon comme elle-même dans ses pensées.
Mikhail restait avec elle en général. Il lisait un livre, silencieusement pour ne pas la déranger, sur un fauteuil à côté. Il la contemplait de temps en temps mais c'était toujours rapide, sans grande conviction de vouloir y déceler quelque chose dans sa posture ou dans ses gestes. S'il restait avec la surpuissante vampire, c'est qu'il craignait une nouvelle attaque d'Enula.
Ce qu'il appelait comme ça, c'est quand la jeune vampire pétillante et mordant la vie à pleins crocs lui sautait dessus en l'appelant de sa voix rendue subitement aiguë par des petits noms affectueux mais qui pour lui, sonnaient mal sortant de cette bouche-ci. Depuis la fois où il pensait qu'elle avait tenté de l'embrasser assise à moitié, si pas entièrement, sur ses genoux, il redoutait de se trouver seul avec elle car il ne voulait pas, il ne voulait plus être agressé.
Quand bien même c'était par une explicite affection.
-Tu lis donc le livre concernant l'affaire Urismo ? demanda Aludra à Mikhail, se sortant de son silence et ses pensées, et ayant regardé le jeune garçon.
-Oui. C'est vraiment intéressant ! débuta Mikhail. Vous l'avez lu aussi, cet ouvrage, je suppose ? C'est vraiment fascinant, incroyable même, comme la femme coince les coupables en flagrant délit et comment elle réussit à les faire enfermer.
-Merci, lui dit énigmatiquement Aludra.
-Pourquoi donc ? demanda Mikhail, ne comprenant pas sa réponse.
-Sache, commença la vampire. Que la moitié des policiers dans ma bibliothèque sont des faits réels, qui se sont passés dans le monde des vampires, que j'ai restranscrits moi-même en les tournant sous forme de fiction en changeant les noms propres.
-Je...Je vois...dit Mikhail en regardant le livre dans ses yeux avec soudainememt un tout autre regard, un regard respectueux.
-Et sache que toutes ces affaires que j'ai mises sur papier ont été des cas résolus en majorité par moi seule.
Mikhail eut un regard admiratif.
-Bravo ! fit-il sous le coup de la sincérité.
Aludra se replongea alors dans son silence et Mikhail, du coup, dans son livre. Jamais il n'aurait l'audace de l'interrompre dans ses pensées lors de ces moments, il aurait trop peur de finir le gorge tranchée ou de devoir apprendre à voler par la fenêtre du donjon du château. Le jeune humain se demandait malgré tout quelles hypothèses, aussi farfelues soient-elles, la grande vampire avait échaffaudées...
Quand soudain...
-Vampirique maîtresse Aludra !
Tandis que la porte s'ouvrait en grand, laissant apparaître sur son seuil une silhouette, Mikhail eut un frisson de terreur en voyant le regard plus que jamais noir se détourner de sa fenêtre pour se porter sur la nouvelle venue. C'était Enula qui geignait et sanglotait comme une gamine trop gâtée, comme toujours dès que quelque chose n'allait pas selon elle. Cela n'agaçait pas que Mikhail mais aussi Aludra qui commençait à voir rouge, ou noir, cela dépendait de la couleur de ses iris...
-Quoi, encore ? gronda Aludra en appuyant bien sur son deuxième mot.
-Thokmah a mis une grenouille dans mon lit !
Aludra leva les yeux au ciel, excédée par ces gamineries sans nom inutiles et qui lui faisaient perdre son temps.
-Occupe-t'en et ne fais pas tout un plat. Nous n'avons pas tous le temps ici de prêter attention à tes simagrées.
-Mais je...
-Retiens bien cela ! tonna Aludra en se levant de son fauteuil, haussant légèrement le ton, mais ce dernier étant tellement ferme qu'il suffisait déjà amplement. Je suis l'Immortelle Ensanglantée ! Tout ce que tu vis en ce moment est pour moi le dernier des soucis et surtour quand on sait que j'ai été quémandée pour résoudre une enquête policière criminelle ! Tout ce que Thokmah te fait et tout ce que tu fais à Thokmah n'est que vétille à mes yeux ! Cesse de fanfaronner et va-t'en le rejoindre et t'occuper de ta grenouille ridicule !
Enula fut littéralement sciée sur place. Elle ne sut que dire. Elle n'avait jamais vu la vampire surpuissante autant en colère que cela...Elle l'avait vraiment énervée en l'embêtant avec ses frasques et celles de Thokmah. Mikhail cacha son visage derrière son livre ouvert tandis que la jeune vampire sortait de la pièce avec un air penaud et gêné. Aludra ferma la porte à distance avec un Noctambule apparu aussi vite qu'il repartit puis elle soupira.
-Je n'aime pas les gens, décidément, je en suis pas très sociable, dit-elle en se redressant dans son fauteuil pour paraître plus noble. Mikhail, tu peux enlever ce livre, ce n'est pas toi que je compte agresser. Enfin, agresser violemment...
Mikhail ne laissa rien entrevoir mais il dit :
-Ce n'est pas ça...
Aludra se dit que sa voix sonnait très joyeuse et qu'il semblait sourire. Le jeune garçon découvrit son beau faciès et il rit à gorge déployée.
-Sa tête ! Vous l'avez tellement remise à sa place. Je vous admire !
-Merci, admit la vampire avec un sourire noble. Mais il va de soi qu'elle soit apprendre à respecter ses aînés comme il se doit et arrêter de faire des caprices de gamine de cinq ans...Cela me tape sur les nerfs, le système, peu importe où, ça me tape...
Mikhail sourit. Était-il le seul, ou du moins le seul humain se corrigea-t-il en pensant à Xiaoling et Graviila, avec qui Aludra se comportait ainsi ? Se comportant aussi naturellement.
Étant tout simplement elle-même...
Mikhail ne la voyait jamais aussi détendue que seule, ou encore, s'il se permettait une petite vanité, avec lui. Mais néanmoins, plus il y avait de gens, plus il y avait de chance qu'elle fasse une crise de nerfs et une autre, de manque.
Vraiment asociale, cette vampire...
Quand soudain, Mikhail se souvint d'un détail qu'il avait vu dans la chambre du défunt et ume exclamation de stupeur franchit la frontière de ses lèvres. Aludra tourna immédiatement sa tête vers lui et il cacha la moitié de son visage derrière son livre, honteux d'avoir dérangé la vampire.
-Pardon...fit-il avec un air penaud.
-Non, ça ne fait rien, lui assura-t-elle avec une expression tout à fait naturelle et pas pour le moins du monde agressive ou en colère. Mais tu as l'air d'avoir eu une illumination divine, alors parle-m'en.
-Vous, je, oui, bien sûr ! dit-il.
Il posa alors son livre sur la table à ses côtés et demanda à son hôtesse :
-Rappelez-moi, quel est le nom de famille de Thokmah ?
-Raventide, répondit Aludra sans sourciller.
-L'initiale de ce nom, ne correspond-elle pas à celle retrouvée sur le torse de David de Rosideau ?
-Rosideau aussi, porte la même initiale, lui souligna la vampire. Et beaucoup trop de noms, surtout dans la liste que j'ai demandée à Thokmah, sont avec cette initiale, que ce soit le prénom ou le nom.
-Mais admettons, serait-il possible en matière que Thokmah ait tué son maître ? Enfin, son ancien maître, se corrigea le jeune humain tout seul.
-Oui, ça pourrait être possible, dit Aludra, pensive. Et je sais aussi que tu n'aimes pas spécialement cet ancien majordome. Ne te laisse jamais dominer par les sentiments dans une enquête. Jamais...
Mikhail fut un peu attristé que la vampire n'accorde pas plus de crédit que cela à la lettre gravée à même la chair du macchabée. À moins que..
-Aludra...Vous savez à qui appartient cette nom en R, avec un serpent, un loup et une chauve-souris ?
La vampire tourna ses yeux de braise vers lui. Elle n'avait aucune expression faciale. C'est peut-être finalement avec ce visage-là que la vampire effrayait le plus Mikhail. Pas quand elle avair un sourire digne d'une psychopathe, pas quand elle riait machiavéliquement, mais quand elle n'affichait absolument aucune expression...Le jeune humain déglutit avec un bruit sonore fortuit puis la vampire lui répondit :
-Je pense savoir qui est le coupable de cette affaire...Mais je ne peux rien en dire pour le moment.
Avant que Mikhail puisse ouvrir la bouche, elle se leva et s'avança vers lui. En posant sa main sur son épaule, elle lui confia :
-Ça vaut mieux pour toi et pour n'importe qui...
Mikhail acquiesça, ou plutôt, hocha de la tête, car il ne savait pas ce que la vampire sous-entendait réellement. Il ne connaissait même pas le nom ou le prénom du présumé coupable. Et apparemment, c'était tant mieux...
-Pardonne mon apparent appétit vorace, lui dit soudainement Aludra, un air triste dans les yeux, alors qu'il était plongé dans ses pensées, ce qui lui fit refaire surface.
-Vous savez, ça ne fait rien. Ce n'est pas grave. C'est moi qui vous ai proposé de vous abreuver de mon sang contre votre hospitalité, comme un remerciement.
Le jeune humain hésita, avant de dire avec une innocence incroyable :
-Et puis, ça me ferait bizarre que vous suciez le sang d'un autre humain que moi...
La vampire lui sourit mais son air restait plutôt triste, mélancolique, nostalgique...Elle se pencha à la hauteur de Mikhail, assis et elle, debout, et lui susurra :
-Tu es mignon.
Mikhail se dit que c'est la première fois qu'elle lui donnait ce qualificatif à la place de celui de beau, qu'elle utilisait tout le temps. Il sourit quand elle continua, à son oreille :
-Pardon...
Elle se baissa d'un coup et planta ses crocs dans la chair de la nuque du jeune humain qui lâcha un petit couinement aigu de surprise. Cette fois encore, cela lui faisait mal...Ça lui procurait une vilaine impression de douleur à laquelle il s'était habitué mais qu'il ne voulait pas spécialement ressentir.
-Pourquoi...haleta-t-il dans la souffrance que lui donnait Aludra en buvant son sang ainsi. Pourquoi est-ce que des fois, ça me brûle de l'intérieur et des fois, j'ai juste envie que cela continue tellement c'est agréable ? Pourquoi...Pourquoi vous acharner sur moi comme ça ?
La vampire ne s'arrêta pas de suite. Quand ce fut enfin le cas, elle recula son visage pour regarder sa proie, sa victime dans les yeux avant de prononcer d'énigmatiques paroles avant de sortir de la pièce :
-Ce n'est pas pour moi, que je te mords le cou. C'est pour toi.
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