Qui es tu ?
-5000 ans plus tard -
" Qu'est-ce que tu viens de dire ?"
La femme se retourna brusquement sur sa chaise, reposant sa tisane de pastiome et d'asydrate. L'homme qui l'avait accostée était clairement ivre, il ricana et lui tapota l'épaule. " Allez quoi, z'en faites une tête, vous préférez aller réchauffer le lit du benêt plutôt que le mien !" Le reste des ivrognes de l'auberge salua sa boutade d'un grand éclat de rire et les clients dont l'état d'ébriété permettait encore de distinguer le pied droit du gauche se contentèrent de détourner la tête.
Le benêt était un jeune homme qui trainait derrière lui une lourde réputation de simplet et d'intelligence limitée, il servait dans l'auberge et suite à la plaisanterie il s'enfuit à l'arrière salle, ses yeux évitant la direction de la jeune femme. Elle soupira.
La condition féminine était depuis toujours un sujet de dispute. Mais depuis huit mille ans, depuis la " Déchéance ", les femmes étaient considérées au mieux comme épouses et mères au pire comme rien. C'était simple, les femmes devaient être douces, tendres, délicates et fragiles et dès lors qu'elles ne remplissaient plus ces critères elles n'étaient plus considérées comme des femmes. Les guerrières étaient rares, et leur cas était considéré soit comme de la folie, soit comme un développement du second genre arium.
Arium était, avec onorum et edum, l'un des trois genres secondaires qui étaient apparus durant la " Colonisation ". Le genre secondaire arium présent chez certaines personnes montrait un caractère meurtrier généralement plus présent chez la gente masculine. Le second genre edum était tout le contraire, un esprit calme et doux qui était censé être le propre des femmes. Et onorum un cas à part, présenté comme une maladie qui rendait les gens apathiques et blasés. Pour elle, ces histoires de seconds genres étaient des fadaises, mais une majorité de la population y croyait tout de même. Autant dire que les gens qui présentaient ces genres étaient envoyés aussitôt dans des endroits spécialisés.
Bref, ses pensées avaient beaucoup dérivées, en face d'elle l'ivrogne continuait de ricaner tout en lançant quelques paroles obscènes. Elle détestait ces hommes qui croyait que pour une femme être dans la même pièce d'eux était extraordinaire et la proposition de partager un lit était un honneur incommensurable. Oui, c'est vrai, il était ivre. Oui ce n'était qu'un petit paysan dans un coin perdu de l'Amaurie, mais sa manière de regarder les femmes et ses paroles lui prouvait qu'une leçon ne serait pas de trop.
Après tout, elle lui laissait une chance de s'excuser. Mais ses moqueries commençaient à lui échauffer les oreilles, était t-il si bête qu'il ne remarquait pas son épée ? N'avait t-il donc pas compris à qui il avait affaire ? Elle se leva et le regarda d'un air si glacial que la température de l'auberge descendit probablement de quelques degrés, les conversations ralentirent autour d'eux.
Si l'homme n'était pas trop ivre ou trop stupide il se rassiérait. Malheureusement il semblait qu'il l'était puisque sa seule réaction fut de s'accrocher d'une main à son épaule et de l'autre attraper sa taille. Elle le repoussa en une demi seconde et jeta sur lui le contenu de sa tasse de tisane, il glissa au sol, entraînant les rires des clients. Rires qui s'estompèrent lorsqu'il se redressa, furieux, et se jeta sur elle en levant sa main sûrement dans l'intention de la frapper. Avant même qu'il ait compris ce qu'il se passait elle attrapa son poignet et du pouce appuya sur un point précis entre deux veines, provoquant de terribles maux de tête ainsi qu'une paralysie partielle.
Insensible à ses gémissements elle décida de faire rentrer la leçon un peu plus fort et d'une légère et presque invisible torsion du bras elle lui tordit le poignet, qui se brisa en un craquement. Elle se rassit tranquillement sans prêter attention à l'homme qui se tordait de douleur sur le sol en hurlant. Le patron de l'auberge et quelques autres se chargèrent de le faire sortir. Pendant ce temps là, une des jeunes serveuses récupéra sa tasse et se pencha vers elle.
"Dites madame, qu'est-ce que vous lui avait fait ?
- Rien de bien grave petite, il aura mal au crâne pendant quelques semaines et ne pourra pas bouger son poignet durant au minimum six semaines voire plus, c'est tout."
La petite sourit, paraissant soulagée que l'homme soit immobilisé, certainement que l'homme ivre, lorsque des femmes plus âgées comme elle n'étaient pas dans les parages, devait s'en prendre aux jeunes servantes.
" Est-ce que je vous rapporte une tasse de tisane ?
- Oui, s'il te plaît. Rajoute un peu de fleur de lune, merci."
La jeune fille la regarda avec un regard étrange mais s'en alla chercher sa boisson. Des fleurs de lune... Évidemment que sa requête paraissait étrange, mais après tout elle ne perdait pas espoir. Peut-être qu'un jour... Enfin bon. La jeune fille revint avec une nouvelle tasse et l'odeur des fleurs de lune remplit ses narines. Autour d'elle, les murmures des conversations avaient repris mais vu les regards qu'on lui lançait il était fort probable qu'elle en soit le sujet. Elle but rapidement sa tasse, déposa une pièce sur la table puis se leva et sortit de l'auberge.
Dehors la neige ne s'était pas calmée. La presque nuit qui tombait et le mauvais temps assombrissaient le ciel. Elle frissonna et resserra sa cape autour de ses épaules. Décidément elle n'avait pas de chance avec le temps. À une heure pareille et avec ce temps, aucune chance pour que quelqu'un sorte de chez soi. Elle marcha jusqu'à la cabane près de la montagne, sorte de relais pour les voyageurs perdus, là où elle s'était installée. Une fois là bas elle fit chauffer de l'eau et en attendant elle s'assit sur le sol en tailleur. Elle laissa ses yeux se fermer et avec application elle commença les mêmes exercices qu'elle pratiquait depuis dix mille ans.
Elle inhala bruyamment tandis que son estomac se contractait de douleur. Même après tant d'années elle ne parvenait pas à gérer cette souffrance. Mais bon, dans quelques heures tout irait mieux. Pour l'instant elle devait se coucher. Elle se déshabilla, ferma la porte et la bloqua avec divers meubles, elle fit également en sorte que la pièce ne soit pas visible de l'extérieur à travers les fenêtres. Puis elle se glissa, nue, entre les draps froids du lit. Elle ferma les yeux, mais même derrière ses paupières elle sentait comme un regard sur elle, malgré ses précautions elle n'allait probablement pas beaucoup dormir. Et en effet elle se réveilla plusieurs fois au cours de la nuit. Au matin elle fut réveillée par une luminosité à peine visible qui filtrait du dessous de la porte.
Elle se leva et ne tarda pas à se préparer à repartir, il valait mieux ne pas rester trop longtemps ici. Elle s'habilla chaudement, s'enveloppant dans une cape, sa cape, camouflant ainsi son épée derrière son dos qu'elle sentait entre ses omoplates. Camouflage assez raté puisque le pommeau sortait clairement de son épaule. Elle replaça tous les objets de la cabane à leur place, nettoya ses traces, et s'assura que plus rien n'indiquait sa venue ici. Elle sortit et s'éloigna de l'habitation à pas légers. Elle s'enfonça dans les forêts montagneuses du nord de l'Amaurie.
Elle marchait d'un bon pas, ne souhaitant pas s'attarder plus que nécessaire, lorsqu'elle entendit un bruit sur la gauche. Des branches, un être humain. Plusieurs respirations, au moins trois personnes. Un chuintement d'acier, deux épées. Elle s'arrêta net, se tourna face aux bruits et leurs cria de sortir. Trois brigands sortirent, trois hommes dont un légèrement plus âgé, probablement la cinquantaine. Même sans qu'ils réclament sa bourse, le but de leur présence était évident. Ils se mirent en garde en face d'elle et elle tira sa lame de son fourreau. Ils n'eurent aucun mouvement de recul, donc ils s'y attendaient. Peut-être pas des brigands en fin de compte. Si ils étaient là pour l'attraper ils s'en mordraient les doigts. Son regard fut attiré par un infime mouvement de l'homme ne tenant pas d'épée, déclenchant ainsi le combat.
Elle esquiva le poignard qu'il lui lança et s'approchant à pas rapide elle entailla le bras de l'un d'eux. Ils s'éloignèrent formant comme un triangle autour d'elle. Elle glissa en avant tandis que deux s'avançaient tenant leurs épées. Le plus vieux failli la décapiter d'un grand geste tandis que l'autre, d'une fente vers la droite, passait sous sa garde et lui coupait le bras. Ou du moins c'est ce qui ce serait passé si elle n'avait pas des siècles d'entraînement. Le troisième se joignit à la mêlée avec un poignard. Elle riposta chacun de leurs mouvements et d'un mouvement simple et rapide égorgea le jeune, puis suite à quelques pas simples sur le côté elle poignarda le plus vieux. Enfin tandis que le dernier comprenais qu'il n'avait aucune chance il tenta de s'enfuir, il n'avait pas fait trois pas qu'un poignard atterri dans son dos. Le sol trempé de rouge, elle ramassa son poignard, rengaina son épée puis reparti tranquillement, abandonnant les trois cadavres. Quelques chemineaux passeraient sans doute et sûrement qu'ils ne perdraient pas de temps pour alléger les morts des nombreux objets inutiles qu'ils pouvaient posséder.
Le reste de sa route se déroula sans encombres et elle arriva de enfin au village près d'où elle vivait. Les gens sur la route la saluaient, le nom qu'ils lui avaient donné résonnant partout dans les ruelles. Les enfants arrivèrent en courant. Certainement que le bruit de son arrivée s'était répandu. Elle les vit courir vers elle de toute la vitesse de leurs petites jambes.
"Aline ! Mara ! Gunnar ! Harald !
- Madame Dana !
- Madame Dana !
- Madame Dana !
- Madame Dana ! "
Tous ils étaient là ! Tous ses petits enfants. Elle les embrassa un par un. Dans ce village les gens se fichaient des liens du sang. C'était les liens du cœur qui comptaient. Et elle aimait chacun de ces enfants. Soudain une vieille dame s'approcha.
- Mormor ! Comment allez vous ?
- Madame Dana, je vais bien merci et vous ? Vous avez l'air toute pâlote ! Je vais vous faire un peu de votre tisane préférée.
- Mormor ! Toujours aussi gentille ! Merci beaucoup mais je repart bientôt.
- Déjà ? Madame Dana ce n'est pas raisonnable ! Un jour vous allez nous revenir complètement malade. Tss, tss, tss. Ce n'est pas bien. Reposez vous un peu au moins avant de repartir. Et vous ne repartirez pas avant d'avoir vu une tisane de pastiome et d'asydrate !
- D'accord mormor."
Elle sourit devant la gentillesse de la vieille femme.
Elle marcha jusqu'à la cabane présente un peu à l'écart du village. Et s'installa, chez elle. Enfin. Cela faisait tant plaisir d'être de retour. En fait elle n'avait pas envie du tout de repartir. Peut-être qu'elle pouvait se permettre de passer un peu plus de temps ici à déguster les tisanes de mormor et jouer avec les enfants. Ah, les enfants. Ils lui rappelaient beaucoup de choses. Pas que sa propre enfance ait été la plus joyeuse. Mais... Tellement de souvenirs.
Lexique :
Asydrate : fleur s'apparentant à la famille des fleurs de gentiane. (N'existe pas)
Pastiome : plante composé de feuilles de verveine et de fleurs de thym. (N'existe pas)
Fleur de lune : fleur délicate d'une couleur blanche pouvant passer au bleu la nuit. (N'existe pas)
Mormor : grand-mère en norvégien.
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