Prologue

La fillette vérifia une dernière fois que sa poupée préférée était bien attachée à son sac à dos dans le coffre, puis grimpa prestement dans la voiture. Sa mère ouvrit la portière passager.

— Tu as bien tout ce qu'il te faut ma puce ? l'interrogea-t-elle en lui tendant le chargeur du lecteur DVD que l'enfant tenait sur ses genoux.

— Oui, c'est bon maman, lui répondit la fillette, impatiente de pouvoir commencer son dessin-animé.

— Parfait. Je vais chercher ton père. Surtout, tu t'enfermes en vitesse si un méchant monsieur ou une méchante dame approche, d'accord ? Le bouton est juste à ta gauche. Une pression et le verrou de toutes les portières se fermera automatiquement. C'est bien compris ?

— Oui, m'man, c'est très clair, fit la petite fille, la voix rendue légèrement tremblante par l'appréhension grandissante qu'elle sentait monter en elle.

Sa mère lui adressa un sourire qui se voulait rassurant et, après un dernier hochement de tête, s'en alla retrouver son mari. Sa fille la regarda avant de plonger son regard dans l'écran.
Lucie, quatre ans et demi, était une petite fille blonde aux yeux bleus foncé, intrépide et têtue. Même si elle était du genre à foncer tête baissée, la menace quasi constante qui planait sur son monde depuis maintenant un an, l'angoissait plus qu'elle ne voulait le montrer. Depuis que le virus Braise, échappé d'un laboratoire, s'était répandu sur la Terre entière, la fillette faisait des cauchemars presque toutes les nuits au sujet de certains "fondus". Ces hommes et femmes, contaminés par la maladie, hantaient désormais la famille Hayle, comme des milliers d'autres, qui vivait en Californie. Ayant survécu aux éruptions solaires dévastatrices qui avaient ravagé la planète, elle devait maintenant faire face aux cinglés qui frappaient brutalement aux portes et aux fenêtres pour réclamer à manger.
Le père de Lucie avait barricadé toutes les issues et l'ambiance de la maison, d'ordinaire joyeuse et animée, avait été remplacée par un silence de plomb.
Les écoles alantours avaient aussi fermé, de peur que la contamination ne s'étende davantage. Comme plus aucun satellite ni Internet ne fonctionnaient, les parents de Lucie faisaient leur possible pour lui enseigner tout ce qu'ils savaient, en s'aidant des livres de la bibliothèque. Étant nombreuse, la famille Hayle devait trouver assez de nourriture pour subvenir à l'appétit de tout le monde, même si chacun, du moins les adultes, avait pris l'habitude de sauter un repas.
Lucie avait un grand frère de deux ans son aîné et deux petites soeurs de deux ans et demi, jumelles. Ces derniers étaient partis ailleurs pour les vacances et Lucie se faisait un sang d'encre pour eux. Si il leur était arrivé quelque chose...
Le retour précipité de ses parents la tira de ses sombres pensées. Elle ne devait pas penser à ça. Elle n'avait que quatre ans après tout. Elle leva les yeux et le regard affolé de son père acheva de la paniquer.

— Trois fondus nous ont attaqué ma chérie, la prévint-il. Personne ne t'a embêtée ?

Lucie fit non de la tête. Rassuré, son père s'installa au volant et sa femme prit place à côté de lui en claquant la portière. Avec un dernier coup d'oeil en arrière, ils démarèrent et s'engagèrent sur la route sinueuse qui descendait le flanc de la montagne.
La famille Hayle avait profité d'une accalmie dans le pays pour se prendre des vacances bien méritées. L'idée était risquée, en raison du problème majeur de contamination, mais tout le monde avait besoin de décompresser et d'oublier un temps la situation précaire dans laquelle ils vivaient. Le grand frère de Lucie avait donc été inscrit dans un camp de vacances destiné à la survie et les petites dernières étaient allées chez leur grand-mère maternelle. Lucie et ses parents s'étaient donc concertés, pour finalement décider de faire un saut à la montagne, au Canada. Ils y avaient passé deux semaines, remplies de fous rires et de larmes de joie. Le temps d'un demi-mois, Lucie avait retrouvé le sourire. Mais la dure réalité les avait rattrapé, lorsque l'échéance du séjour était arrivée à terme.
Les fondus, maintenus hors du périmètre des chalets et du domaine skiable, se cachaient dans la forêt et dans les zones hors pistes - que même les plus aguerris n'osaient plus pénétrer - et poussaient des cris et des hurlements affreux, inhumains. Des pensionnaires, dont un des enfants avait contracté le virus, avaient été exclus et placés en quarantaine dans un centre de contrôle et de dépistage quelques kilomètres plus loin.

                            ***

Le trajet jusqu'en bas de la montagne fut silencieux. Chacun était dans son coin, à se torturer l'esprit en pensant aux difficultés de la vie qui allaient refaire surface. La survie était une épreuve tellement épuisante.
Le père de Lucie s'arrêta à un croisement et tourna à droite pour entamer une énième pente. L'air dehors était frais, le Canada n'ayant pas été des plus touchés par la catastrophe, et le chauffage était à fond dans l'habitacle. Ils roulèrent encore une heure et quart jusqu'à ce que le père de Lucie freine brusquement. Sa femme leva les yeux du livre qu'elle parcourait et Lucie en fit de même. Sa mère posa la question qui tournait en boucle dans la tête de sa fille.

— Un fondu ? s'inquièta-t-elle.

— Non, dit son mari. Mais j'ai bien peur que pour le coup ce soit pire.

Lucie, qui avait reporté son attention sur le second film qu'elle s'était lancé, se mit à prendre peur. Ses parents avaient récemment eu connaissance d'une certaine organisation, appelée "WICKED", se souvint la petite fille. Il paraîtrait que ses représentant, des scientifiques, enlevaient des enfants, pour la plupart soi-disant immunisés contre la Braise, afin de faire des expériences pour découvrir pourquoi ils pouvaient résister à la maladie, et élaborer un remède. Ses parents étaient contre cette méthode. Cependant, lors d'un contrôle de dépistage, il s'était avéré que la fillette était immunisée. Son frère ne l'était pas. Pour ses petites soeurs, elles étaient trop jeunes pour qu'on puisse détecter quoi que ce soit. Apparemment. Mais Lucie savait bien que ses parents voulaient les garder auprès d'eux le plus longtemps possible. Était-ce pour cela qu'ils n'étaient pas partis tous ensemble en vacances ? Pour brouiller les pistes ? Au juron que poussa son père en sortant de la voiture, Lucie comprit que le plan n'a pas marché. Abandonnant définitivement son lecteur DVD, Lucie ouvre la fenêtre et passe la tête à l'extérieur. Malgré le soleil, haut dans le ciel bleu criblé de nuages, le vent froid lui cingle le visage.
Résignée, elle remonte le carreau, détache sa ceinture et passe par dessus le frein à main pour pouvoir observer la scène, assise sur le siège que sa mère vient de quitter, après lui avoir sommé de rester tranquille, de se taire et de rester bien sagement à attendre. Dehors, ses parents discutent avec trois hommes et une femme en noir, armés et portant une inscription blanche, douteuse, sur le tissus.
Lucie plissa les paupières et ne tarda pas à deviner l'anagramme monstrueux inscrit sur la veste, sur le devant et dans le dos des personnes. Elle déglutit et se ratatina sur le siège, aggripant à deux mains le dossier.
WICKED.
Ses parents haussaient le ton de secondes en secondes. Afin d'entendre des bribes de conversation, Lucie ouvrit légèrement la vitre. Ce qu'elle entendit lui glaça le sang.

— Nous avons besoin de votre fille, Monsieur et Madame Hayle. Ce n'est pas discutable.

— Nous ne voyons pas du tout de quoi vous voulez parler, nia la mère de Lucie, sa voix empreinte d'une colère noire. Nous ne sommes que deux, ici.

— Soyez coopérants. Vous y gagnerez et nous aussi.

— Encore une fois, nous vous le répétons, réitéra le père de Lucie. Nous sommes seuls, et sans enfants.

— Cessez de mentir. Vous êtes fichés depuis trois mois sur nos réseaux de fichiers de dépistage. Vous vous êtes faits diagnostiquer, vous présentez une MCV, soit le virus, et vous n'en êtes qu'aux premiers stades. Vous ne voulez tout de même pas que votre fille vous voie sombrer peu à peu dans la folie, non ? Au risque que vous la blessiez, elle, ses frères et soeurs ?

— Ne dites pas ça... jamais nous ne pourrions faire le moindre mal... à nos enfants si nous en avions.

La mère de Lucie sut qu'elle avait trop flanché. C'était trop tard. Son mari lui lança un regard un peu trop noir et secoua sa femme par les épaules.

— Voyons Hélène ! Reprends-toi !

Cette dernière commençait déjà à pleurer de désespoir.
Dans la voiture, Lucie sentit son coeur se serrer et retint sa respiration. Menaçants, les envoyés du WICKED s'avançèrent, resserant leur prise sur leurs armes. L'un des gardes, plus grand que les autres, prit la parole d'une voix un peu trop calme compte tenu des circonstances.

— Très bien. Puisque vous vous obstinez... nous allons jouer à un petit jeu.

Puis, sans crier gare, il haussa le ton et cria :

— Petite ? On sait tous que tu te caches dans la voiture. Allons, soit gentille, obéis-nous et sors !

Lucie avala sa salive. Elle savait parfaitement que ses parents ne voudraient pour rien au monde qu'elle révèle sa présence et les trahisse.
Alors elle ne répondit pas.
Mais le garde s'entêta.

— Lucie Hayle ! s'énerva-t-il d'une voix posée cette fois, qui la rendait d'autant plus sinistre. Montre-toi !

La fillette tremblait de peur. Elle avait les mains moites, dans l'attente angoissante des évènements.

— Tu ne voudrais pas qu'il arrive quelque chose à tes parents je me trompe ? Tu veux que papa et maman restent en vie, n'est-ce pas ?

Les parents de Lucie se regardèrent, se préparant à la suite, vaincus, malgré leur résistance. Comment ces hommes osaient-ils proférer ce genre de menace à une enfant d'à peine cinq ans ?
La remarque de l'homme avait frappé Lucie comme une gifle. Ils n'allaient quand même pas...?
Ne sachant pas que faire, tiraillée entre l'envie de descendre pour qu'on laisse ses parent en paix et celle de rester cachée, elle se releva petit à petit et ce qu'elle vit se grava profondément dans sa mémoire. Son coeur fit un bond violent dans sa poitrine lorsqu'elle découvrit la scène d'horreur qui se déroulait sous ses yeux. Son père et sa mère, serrés l'un contre l'autre, les yeux fermés, étaient tenus en joue par les trois autres gardes. Le quatrième se rapprocha prudemment du véhicule et son regard s'éclaira d'une lueur malsaine. Il l'avait repérée.

— Je sais que tu es une intelligente petite fille. Descends de là.

Lucie mit la main sur la poignée. Se prenant une décharge, elle grimaça. Mais l'urgence de la situation lui fit oublier la douleur. Fermant ses petits doigts gelés, elle pressa l'ouverture. Un dernier regard en direction de ses parents lui fit comprendre qu'ils lui intimaient de rester tranquille. Mais il était trop tard.

— Tu ne sors toujours pas ? Bien. Puisqu'il en est ainsi, ainsi soit-il. (Puis, se tournant vers ses camarades.) Mettez le feu.

Lucie ouvrit grand les yeux. Un coup de feu. Un corps qui tombe à terre. Son père avait été abattu d'une balle dans le front. Elle poussa un cri.
La porte s'ouvrit. Elle sauta sur la route et le garde l'attrapa brutalement. Sa mère poussa un hurlement déchirant, qui résonna lentement dans les montagnes environnantes, suivit d'un second coup de feu, mortel. Pétrifiée, Lucie vit sa mère basculer en arrière au ralentit, et s'effondrer lourdement au sol, le torse sanglant, percé en son milieu.

Le calme revint. L'écho se dissipa. Le son s'épaissit, les oreilles de Lucie se bouchèrent, et elle ouvrit la bouche. Elle hurla, probablement, mais n'entendit rien. Elle avança d'un pas mais l'homme, insensible à son malheur, la retint à lui en broyer la clavicule, en lui intimant au passage un "reste tranquille" sec. C'est à ce moment là que Lucie se rendit compte du drame dont elle venait d'être témoin, et victime. Elle réalisa l'ampleur du désastre.

Ses parents...

Son père, sa mère...

Maman et Papa... ceux qui ont toujours été la pour elle...
Plus rien ne sera comme avant...

Morts... ils étaient morts...
... à tout jamais.

Un torrent de larmes déferla sur le visage de Lucie. Elle hoqueta, le souffle coupé, puis se fut le noir complet. Elle vacilla, ses jambes ne la retenant plus.

Et elle perdit connaissance.

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Et voilà le prologue !
J'espère que le début vous a plu ! :-)

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