Chapitre 5
05/01/222, 03h45
— Lucie ? Lucie ! LUCIE !
Lucie se trouve attablée au plan de travail de sa cuisine. Elle doit avoir trois ans. Elle s'en souvient très bien. La décoration High-Tech, moderne, aux tons sombres et chics. Les larmes lui viennent aux yeux. Elle sait qu'il se passe quelque chose de terrible, mais quoi ? Sa mère est debout, devant elle, le téléphone à la main. Ses traits sont tirés et des cernes entourent ses yeux bleus, deux océans clairs dans lesquels se reflètent une infinie détresse.
Lucie lève la tête et regarde sa mère. Elle rebouche le feutre jaune qu'elle tient à la main et le pose sans bruit sur son dessin, représentant un soleil souriant.
— Oui... oui je comprends... oui bien sûr.
C'est son grand-père, Gedeon. Il a fait un AVC mortel. Lucie froisse son dessin, sentant les pleurs l'assaillir. C'était à lui qu'elle comptait l'offrir.
Sa mère fit le tour de l'îlot et vint prendre sa fille dans ses bras.
— Maman ?
— Oui, ma chérie ?
— C'est quoi ce bruit ?
— Hein ?
Elle tendit l'oreille.
— Il n'y a rien, ma puce !
— Mais si ! continua l'enfant avec sa petite voix. Tu n'entends vraiment pas ?
Sa mère réessaya. En effet, un ronronnement suspect résonnait dans la buanderie voisine. Au moment précis où la mère de Lucie se dirigea vers la petite pièce pour aller voir le problème de plus près, un énorme "BOUM !" explosa dans toute la maison et une violente secousse les projeta au sol. D'un seul coup, l'éléctricité sauta, les plongeant instantanément dans le noir complet.
Lucie se retourna dans son sommeil et gémit.
— Maman ? Maman !!!! cria Lucie, effarée.
— Je suis là ma chérie !
La fillette entendit sa mère bouger et saisir un objet. Une petite lampe à pile s'alluma, leur procurant un éclairage bienvenu. Lucie se colla à sa mère.
— Qu'est-ce qui se passe ? sanglota-t-elle.
— Je ne sais pas. Un tremblement de terre sûrement.
La Lucie qui assistait à ce cauchemar sans y prendre part savait bien que c'était loin d'être le cas. C'était mille fois plus grave.
Les bébés hurlèrent.
— Mince ! Ludivine et Illona ! s'exclama la mère de Lucie. Reste-ici ! Je vais les chercher ! Surtout, cache-toi bien sous le bar, et garde bien la lampe avec toi ! Elle nous sera très utile !
Lucie hocha la tête et déglutit. Malgré son très jeune âge, la gravité de la situation lui faisait prendre conscience qu'il lui fallait être brave.
Sa mère partit prendre ses petites soeurs. Dehors, dans la rue, Lucie perçevait des cris de peur et des pleurs hystériques. Un coup brutal contre la vitre de la cuisine la fit sursauter. La porte du jardin s'ouvrit en coup de vent, laissant apparaître son père et son grand frère. Ils se précipitèrent vers Lucie et tombèrent à ses côtés, essouflés.
— Lucie... haleta son père. Où... où est ta mère ?
— Partie chercher les jumelles.
M. Hayle soupira.
— Tant mieux. C'est le chaos à l'extérieur. Plus de courant, plus de ligne téléphonique, de réseau, ni de radio.
— Pou... pourquoi ?
Le frère de Lucie peinait à retenir ses larmes.
— On sait pas... on était en voiture et... et...
— ... il a commencé à faire très chaud. Un éclair géant a illuminé le ciel, comme si le soleil tombait sur la terre. On a été tellement éblouis.
— Du coup nous sommes sortis de la voiture. Il y avait des gens partout. Ils couraient et se bousculaient...
— Puis quelqu'un nous a hurlé de nous protéger... des radiations.
Lucie ne comprenait plus rien. Comment ça des radiations ?
Sa mère revint quelques minutes après et étreignit son mari et son fils. Elle déposa ensuite les petites dans un panier et s'asseya à son tour.
On lui expliqua tout. Profondément choquée, Mme Hayle n'en prit pas moins les choses en main.
— Dès demain matin nous irons nous rationner dans les supermarchés avant qu'ils ne soient tous pris d'assaut.
— C'est d'accord, acquiesça M. Hayle.
— Pour ce faire, nous emprunterons les passages souterrains.
À la mention du mot "souterrain" de mauvais souvenirs plus désagréables les uns que les autres lui revinrent en mémoire.
Tout le monde approuva le plan de survie. Le lendemain tout le monde se mit au travail et s'organisa pour la collecte des réserves. Ils allaient faire une razzia de provisions et en stocker le plus possible dans le garde-manger.
Ainsi la famille s'était arrangée à tour de rôle pour aller carrément voler de la nourriture.
Lucie, une liste en main, énumérait à voix haute les produits à denrée périssable et les boîtes de conserve.
— Et après ? lui demanda sa mère, un vieux cadis rouillé rempli devant elle.
— Cinquante boîtes de raviolis, douze de semoule fine, trente de sardines, et...
— Viens ! la coupa sa mère. On continue !
Elle poussa non sans difficulté le chariot de ferraille bourré de provision vers les conserves, Lucie sur ses talons.
Pendant ce temps, son père, les deux dernières et le grand frère de Lucie s'occupaient des produits ménagers, hygiéniques et textiles.
De retour chez eux, ils rangèrent toutes leurs affaires et se préparèrent à recommencer.
Quelqu'un secoua Lucie. La fillette grogna et garda les yeux clos.
Cela faisait plusieurs semaines que les Hayle subsistaient tant bien que mal à leurs besoins. Ils avaient amassé suffisamment de quoi se nourrir, même si des sacrifices seront nécessaires pour en garder le plus longtemps possible.
Malheureusement, un jour, tout bascula.
Lucie se réveilla en hurlant, le visage baigné de larmes. Elle sentit à peine qu'on la balançait d'avant en arrière. Les yeux vagues, elle vit Severina et deux infirmiers penchés sur elle. Cette dernière la tenait fermement par les épaules, le regard dur. Elle accentua un peu plus la pression. Quand Lucie se remit à pleurer, elle réagit.
— Lucie ! Écoute-moi...tu dois tout de suite te calmer. Ça vaudra mieux pour toi. Tu es en panique, mais ça passera si tu fais un effort.
Lucie ne l'écoutait pas. Elle était trop embarquée dans ses souvenirs.
— LUCIE !
Prise d'un spasme, Lucie hoqueta et se tortilla dans ses draps, en nage. Sa respiration était de plus en plus saccadée et son pouls s'accélerait.
Severina ouvrit grand les yeux et donna un ordre aux infirmiers derrière elle.
— Elle a de plus en plus de mal à respirer ! leur cria-t-elle.
Lucie continua à bouger et à élever la voix.
— Maman !... Papa !
D'un mouvement brusque elle se dégagea de l'emprise de Severina. Celle-ci la plaqua immédiatement sur le matelat.
— Elle fait une crise d'angoisse ! Apportez-moi un sédatif et vite !
Les infirmiers se précipitèrent et sortirent de la chambre. Severina se tourna vers Lucie qui semblait s'être stabilisée. Elle roulait des yeux effrayés sur le plafond et tout autour d'elle.
Mais quand la seringue remplie du liquide calmant arriva, elle reprit de plus belle. Severina s'empara du sédatif et planta l'aiguille d'un coup précis dans l'avant-bras de Lucie qui se calma instantanément.
Severina souffla un bon coup et s'approcha de la fillette. L'enfant avait fermé les yeux et semblait enfin appaisée. La jeune femme lui carressa doucement les cheveux.
— Là. Tout va bien. C'est ta première crise que tu nous fais là, ma puce. Mais tu ne souffres pas de crises chroniques, ce sont justes de mauvais rêves... rendors-toi et oublie...
..."oublie" .
Ce fut le dernier mot que Lucie pu percevoir, avant que le reste ne se noie dans le néant.
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