Chapitre 3

27/11/221, 10h56

Lucie s'étira longuement. Aujourd'hui, c'était séance d'entraînement physique à la salle de sport. Les examens qu'elle avait eu à passer en mathématiques, histoire-géographie et français l'avaient complètement épuisée. Désormais il faudrait passer à la physique-chimie, la SVT et la philosophie du XIVe siècle. On lui demandait de plus en plus d'effort.

— Mademoiselle !

Lucie sursauta. Son entraîneur, une femme à la chevelure blond vénitien revêche, l'attendait devant les barres asymétriques pour des tractions. Lucie trottina jusqu'à elle et se mit en position.

— Commence par m'en faire une vingtaine.

La fillette ferma les yeux. Vingt tractions...
Elle s'éxecuta de mauvaise grâce en poussant un grognement de frustration à chaque poussée.

— Plus haut jeune fille.

— Je n'ai que sept ans... se plaignit la petite.

— Peut importe ! tonna la voix de la femme dans son oreille. Si tu veux survivre, il faut souffrir.
Les larmes aux yeux, Lucie renforça sa poigne sur la barre et recommença.

***

La blondinette regarda ses mains, rougies et cloquées par le frottement sur la barre en bois. La séance avait été rude et elle ne bénéficiait que de dix misérables minutes de pause. Pourquoi devait-elle donc fournir autant de travail ? WICKED était-il un centre d'armée de terre ? Elle ricana, sachant cette idée absurde, bien qu'à moitié vraie. Lucie se dirigea vers les vestiaires et se mit de l'eau sur le visage et sur la nuque pour se rafraîchir.
Peu après un goûter prit sur le pouce, Severina l'emmena se faire examiner dans un IRM. La petite fille avait ce scaner en horreur. Elle avait la nette impression qu'on allait l'enfermer et la laisser crever là-dedans. Cette pensée lui fit fermer les yeux. "Respire", se reprit-elle. Cela ne durerait que cinq minutes après tout. Il lui suffisait juste d'un peu de courage. Un jeune homme en blouse blanche et gants bleus, portant l'acronyme WCKD sur le torse, pianota sur un petit clavier incrusté dans un écran de contrôle. Après dernières vérifications il invita Lucie à prendre place dans l'appareil. La fillette s'allongea en contrôlant sa respiration saccadée.

— Détends-toi, lui conseilla le médecin. Ça rendra l'opération plus simple.

— J'essaie, vraiment.

— Tout va bien se passer, intervient Severina qui supervisait la séance. Tu auras à peine le temps de dire "ouf" que ce sera déjà terminé.

— Ouf, la nargua Lucie avec un petit sourire espiègle. Oh ! Ben tiens ! Je suis encore là !

— Jeune fille, la sermona la jeune femme en remontant ses lunettes sur son nez et en fronçant les sourcils. Ne jouez pas à ce jeu avec moi.

— Si on ne peut même plus se détendre.

— Ne m'oblige pas à sévir. Tu n'apprecierais pas.

La petite fille se tut. À vrai dire, elle essayait juste de rendre l'atmosphère plus légère. C'était raté. Dépitée, elle regarda la banquette sur laquelle elle se trouvait rentrer dans le cercueil cylindrique. À l'intérieur, de petites lumières indigo s'allumèrent doucement.
Un bruit étrange se fit entendre, puis un clic et un bourdonnement permanent. Soudain, des cris s'élevèrent. Paniquée, Lucie essaya de sortir mais le système de sécurité était enclenché.

— Sortez-moi de là ! hurla-t-elle en s'égosillant.

Des pas précipités qui s'éloignaient. Le ronronnement de l'appareil s'amplifia.
Puis plus rien.
Le noir complet.
Lucie se mit à tâtonner les parois de l'IRM, cherchant un mécanisme. Parce que, oui, les IRM nouvelle génération étaient complètement fermés. Impossible de s'en extirper, à moins d'avoir de l'aide extérieure.

***

Lucie ne sut pas exactement combien de temps elle était restée ainsi, plongée dans la pénombre la plus totale. Même les veilleuses d'urgence s'étaient éteintes. La fillette crut vraiment que, ça y est, on l'avait définitivement abandonnée. Serait-ce un de ces foutus test de réaction débile auxquels on la soumettait parfois ? Lucie commençait à s'énerver. Si c'était ça...
Cinq minutes... dix minutes... quinze minutes, interminables, pendant lesquelles Lucie perdit patience et craqua. Avec rage, elle tambourina de toute la force de ses petits poings contre l'habitacle. Tout à coup, un mince trait de lumière blanche apparut au dessus d'elle. Le filet éclatant s'élargi, lui éblouissant les yeux. La petite mit ses mains devant son champ de vision jusqu'à ce que sa vue s'habitue à la clarté.
Quand elle put enfin distinguer son environnement, elle vit Severina, affolée et les cheveux en bataille, se pencher sur elle et la serrer dans ses bras en s'excusant.

— Oh Lucie, je suis désolée...tellement désolée ! sanglota-t-elle.

— Si tu me disais d'abord ce qui s'est passé ? demanda Lucie qui gardait les pieds sur Terre.

Elle laissa le temps à la jeune femme de se remettre de ses émotions. Severina se massa la tempe gauche et murmura :

— Je...des fondus nous ont attaqué...

— Quoi ? Parle plus fort !

— Des fondus nous ont attaqué ! répéta son assistante en haussant la voix.

— Mais comment...?

— Ils ont réussi par je ne sais quel moyen à s'introduire par les sous-sols dans la salle des générateurs. Ils se sont occupé de couper les câbles éléctriques qui alimentaient cette zone du complexe. Je suis désolée, j'ai dû intervenir...

— Pourquoi ils ont...?

Severina la coupa d'un geste sec de la main.

— Je n'en ai aucune idée. Quand je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire grand chose pour aider les réparateurs, je me suis dépêchée de revenir ici pour te libérer.

— Délicate attention, fit Lucie, sarcastique.

— Encore une fois je...

— Tu t'excuses. Je crois que j'ai compris.

Severina lui sourit, soulagée. Décidémment, cette petite blondinette la surprendrait toujours par sa maturité !
"Trop précoce d'ailleurs", songea amèrement la jeune femme. Quand elle pense à l'enfance que Lucie aurait dû vivre...le monde était vraiment injuste avec eux. Surtout, Severina reprochait aux soldats du WICKED d'avoir tué les parents de Lucie sous ses yeux. Combien d'enfants ont donc subi le même sort ?
La fillette ne l'attendit pas et posa un pied dans le couloir. Des médecins, des infirmières et même des gardes du WICKED se bousculaient et couraient en tous sens. Severina la rejoignit. Elle posa une main sur son épaule.

— Ils ont une réunion très importante avec le chancelier Anderson. On va peut-être mettre au point un système de sécurité renforcé et des transvices autonomes.

— Pardon ? Des transvices autonomes ? Mais vous êtes des monstres !

— J'en ai conscience mais...

— Alors qu'il suffirait simplement de poster plus de gardes aux points sensibles du complexe !

— Tout le monde ne pense pas comme toi ma puce. Et tu sais aussi bien que moi que de simples gardes ne suffiraient pas à retenir une foule enragée.

— Eux, ils sont armés au moins.

— Les fondus aussi. Et le personnel risquerait d'être dépassé par le nombre.

— Ils ont en leur possession des lanceurs haute précision ! À la pointe de la technologie !

— Ça ne serait pas suffisant ! Il finirait bien par y avoir une faille !

— Donc mettez en plus au même endroit !

— Nous ne pouvons pas nous le permettre ! Nos effectifs doivent être équitables en tous points ! De toute manière, là n'est pas la question. Tu as subi un choc émotionnel, tu dois te reposer.

— Ça va, je n'ai rien !

— Oui mais tu as quand même cru que l'on t'avait abandonnée ! Je me trompe ?

Lucie baissa les yeux, honteuse.

— Oui.

L'expression de la jeune femme s'adoucit.

— Suis mon conseil. Va dormir un peu. On en rediscutera plus tard.

Lucie soupira.

— D'accord, capitula-t-elle.

***

Lucie n'arrivait pas à trouver le sommeil. Si des fondus avaient réellement infiltré les barrières du WICKED, se pourrait-il que le virus soit désormais présent dans l'air qu'elle respirait ? Qu'adviendrait-il alors du personnel non-immunisé ? Elle ne serait plus à l'aise avec ses professeurs. Sentant une boule d'angoisse naître dans son ventre, Lucie se jura de s'enfuir si la situation venait à déraper. De plus, ce n'était certainement pas la première attaque des contaminés que l'organisation essuyait.

Le lendemain, elle se réveilla avec la ferme résolution de surveiller les moindres faits et gestes de ses professeurs et encadrants. De ce fait, elle pourra toujours alerter Severina si besoin. Se sentant mieux, elle entreprit de faire sa toilette et attendit sagement l'arrivée de son l'assistante. Mais celle-ci ne vint pas. Lucie pensa que la jeune femme avait du retard alors elle ne s'en formalisa pas.

Cela faisait maintenant un quart d'heure que Lucie attendait Severina. Inquiète, elle se leva et se dirigea vers la porte. Elle appuya sur la poignée qui, bien entendu, était verrouillée. "Mince", pensa la fillette. C'est vrai qu'elle était en permanence enfermée. De quoi avait peur le WICKED ? Elle ne pourra pas faire trois pas sans se faire arrêter. Quoique...
La petite retourna sur son lit et ferma les yeux pour faire le vide dans son esprit. Elle se mit à envisager toutes les possibilités de scénario imaginable. Severina aurait-elle un problème ? Serait-elle malade ? À cette pensée, la gorge de Lucie se serra. Elle trembla. Même si l'assistante faisait partie intégrante du WICKED, elle était la seule personne à laquelle Lucie s'était attachée. Elle ne pouvait pas partir. Pas maintenant. Si elle venait à mourir, Lucie se retrouverait définitivement seule. Face à une organisation semi-meurtrière. Entre les mains d'inconnus.
Elle ne put pas ressasser ses sombres pensées plus longtemps. Un clic, puis un bruit de clé qui tourne se fit entendre et sembla résonner dans le calme de la pièce. Lucie se redressa prestement. La porte de sa chambre s'ouvrit sur un homme d'environ quarante ans, chauve et barbu. Il portait une blouse blanche avec les initiales WCKD et des instruments en métal à l'air monstrueux se trouvaient dans ses diverses poches.
Lucie détailla l'homme. À première vue, il n'avait rien d'engageant.
Il s'approcha de trente centimètres puis dévisagea la fillette.

— Mlle Severina est en état d'observation. Elle est donc indisposée à vous suivre médicalement aujourd'hui.

— Elle va bien j'espère ? s'enquit Lucie, de légers trémolos dans la voix.

— Ici, petite, c'est moi qui pose les questions, lui répondit froidement l'homme.

En cet instant, Lucie sut qu'elle ne l'aimerait jamais.

— Suis-moi, lui dit-il en sortant de la chambre.

Bien que reticente à venir avec cet homme dont elle ne savait rien, la petite fille fit ce qu'il lui demandait.

— Je suis Mr Glarowsko, spécialiste en étude cérébrale approfondie et accessoirement philosophe et docteur.

Lucie avait tiqué sur le mot "approfondie". Qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Elle interrogea le docteur du regard. Devinant qu'elle souhaitait lui poser une question, le chauve lui accorda la permission d'un hochement de tête approbateur.

— Cela veut donc dire que vous... vous disséquez des cerveaux ? Je veux dire... humains ?

Le docteur éclata de rire et ébouriffa maladroitement les cheveux de la fillette. Cette dernière s'écarta vivement, sans que le docteur ait eu l'air de le remarquer.

— En quelque sorte oui. Mais je ne fais d'analyse que sur des morceaux préalablement découpés. Je n'interviens pas directement si tu veux.

Même si Lucie n'avait encore rien mangé, elle sentit la nausée l'envahir. Arrivés devant la salle où elle prenait d'habitude son petit-déjeuner et ses autres repas, l'homme l'invita à entrer, sans remarquer son trouble.
Lucie se râcla la gorge.

— Je... hum. Je crois que je vais me passer de nourriture ce matin. Je n'ai pas très faim.

— Tu es sûre ? Nous sommes formels.

— Oui, oui.

Lucie détourna le regard. Cet homme venait de lui avouer qu'il triturait des bouts de cervelle il y a à peine cinq minutes et il espérait qu'elle avale la moindre chose ? Subitement, Lucie maudit sa curiosité excessive. La prochaine fois, elle se passera volontiers des détails.

— Très bien. Comme tu voudras, capitula le docteur. Mais ne viens pas te plaindre après.

— Aucun risque. Je vous le promet.

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