Besoin de sang
Quand Stéphanie entra dans la salle d'attente des urgences, elle se sentit abattu. Il était tard et depuis six heures déjà elle travaillait, cavalant partout dans l'hôpital et il semblerait bien que la nuit soit loin d'être finie. Il y avait encore de nombreux patients attendant d'être examiné qui venaient de se tourner vers elle, les yeux plein d'espoir. Malgré son harassement, elle prit son courage à deux mains, il lui restait encore des heures avant la fin de sa nuit et elle devrait encore en supporter probablement beaucoup, entre les patients insupportables, impatients, qui venaient pour des broutilles et ceux au contraire qui seraient en véritable souffrance et pour qui elle s'inquièterait en se présentant au patient suivant.
Elle s'approcha d'ailleurs de son nouveau patient, une mère visiblement inquiète et épuisée, vêtue d'un ample jogging enfilé à la va-vite avec son bébé dans les bras, qui avait eu une poussée de fièvre et des vomissements. Avant qu'ils n'aient quitté la salle pour un examen plus approfondi, les portes s'ouvrirent et un groupe entra à une vitesse ahurissante en leur hurlant de ne pas bouger. Une dizaine de personne avait débarqué, le teint pâle, vêtu de cape et de loup vénitiens masquant le haut de leurs visages, entre leurs mains pointés sur elle, sur les patients et le personnel de vieux pistolets qui auraient plus eu leurs places dans un musée, et pour d'autres même des épées.
— Que personne ne bouge ou je tire ! menaça l'un d'eux, un homme très grand et élancé comme ils l'étaient tous.
Stéphanie sentit son cœur tressauter. Elle avait connu énormément de situation stressante, avait assisté à beaucoup de chose mais cela elle ne l'avait jamais vu. C'était un hôpital ! On en prenait pas d'assaut ou en otage un hôpital ! Qu'est-ce qu'ils espéraient faire ? Ils n'avaient pas d'argent et on était là pour sauver des vies. La panique serra sa gorge, elle était terrifiée et devait se montrer forte pour ses patients.
Elle tourna la tête vers ces derniers qui attendaient. Devait-elle désobéir pour eux ? Et si l'un d'eux mourrait faute de soin. Mais la menace d'une arme, la perspective de mourir au moindre mouvement la paralysait, l'empêchant d'agir. Pourquoi fallait-il qu'ils débarquent ce soir, qu'ils la menacent elle ? Elle ne méritait pas de mourir. Elle n'en avait pas envie.
Désespérée elle ne savait que faire. Allaient-ils vraiment lui faire du mal ? Elle ne pouvait croire que ce soit réel, qu'elle ne soit pas en plein milieu d'un délire dû à la fatigue ou que savait-elle encore. N'y avait-il pas moyen que ces hommes rebroussent chemin et partent ? Peut-être n'étaient-ils pas si dangereux. Probablement fallait-il appeler un psychiatre plutôt que la police au vu de leurs armes et leur allure. Peut-être au fond étaient-ils aussi des patients, échappés d'une unité psychiatrique, qu'elle pourrait donc peut-être prendre en charge.
— Enfin Monsieur...commença une infirmière en avançant vers celui qui avait parlé.
— J'ai dit pas un geste ! Vous allez faire ce qu'on dit et tout ira bien. Ce sera rapide et après ça vous pourrez continuer votre travail !
L'infirmière semblait paralysée de peur, les yeux et la bouche écarquillés. Stéphanie ne pouvait s'empêcher de l'admirer. Elle avait tenté quelque chose au moins. C'était son tour maintenant. Il fallait agir ! Pour les patients qui avaient besoin de soin et pour qui c'était un précieux temps de perdu, pour sa santé mentale aussi, elle allait devenir folle de peur sinon. Mais décider d'agir était une épreuve. Tremblante de peur, elle avala sa salive et tenta alors de proposer le plus gentiment possible, sans chevroter :
— Est-ce qu'on peut vous aider ? Tout ce qu'on a c'est des soins médicaux à offrir mais si....
— Du sang ! la coupa l'homme en se tournant vers elle tandis que ses acolytes hochaient la tête. On veut du sang !
Elle ne sut que répondre. C'était une demande incongrue. Que pouvaient-ils bien faire avec du sang quand eux en avait un besoin vital ? Ces hommes étaient bel et bien des déséquilibrés pour faire une telle requête. Celui qui avait donné ses exigences tendit son revolver à barillet sur elle. La peur lui tournait la tête, elle qui était si épuisée, qui ne voulait pas mourir. Elle était venue travailler pour sauver des vies pas perdre la sienne ! Mais ce pistolet pointer vers elle lui criait que c'était son tour d'y passer. Elle allait se mettre à pleurer, comme une enfant, tellement l'angoisse la dévorait. Il fallait faire quelque chose.
— Vous voulez du sang ? répéta-t-elle pour gagner du temps.
Il fallait que quelqu'un s'éclipse et appelle la police ou l'hôpital psychiatrique. N'importe qui, mais quelqu'un pouvant les aider. Il fallait évacuer les patients aussi. Et appeler à la maison, dire à sa mère qu'elle l'aimait, à son père qu'il lui manquait, à son frère qu'elle était désolée et rentrer embrasser son chat.
— Oui ! approuva un des agresseurs. On veut du sang. Vous avez des poches de sang non ?
— Oui on en a mais ...
— Alors donnez-nous-en ! la coupa le premier qui avait pris la parole.
— Des globules rouges, des plaquettes ou du plasma ?
— Vous n'avez pas juste du sang ? demanda celui qui semblait mener cette prise d'otage, d'un air dépité.
Toutes les personnes masquées affichaient un air abattu. Le cœur battant à une vitesse folle, elle leur apprit la vérité :
— Non ça n'existe plus.
Cette nouvelle semblait les affliger. Elle se demandait si au final ils n'étaient pas parfaitement sains d'esprit mais plutôt dans une situation désespérée. Stéphanie aimait aider les autres, elle avait dédié sa vie à cela et le faisait au quotidien, au travail et en-dehors. Alors ils avaient beau la menacer avec des armes elle et ses patients elle voulait leur tendre la main eux qui ne lui semblaient plus si effrayant.
— Dites-moi quelle est l'utilisation que vous comptez en faire et je pourrais vous dire lequel il faut prendre. Mais si c'est un blessé...
— On prendra un peu de tout ! déclara le chef.
Il avait repris une voix qui se voulait menaçante bien qu'elle voyait dans ses yeux sombres de la crainte et du doute. Les autres agresseurs semblaient eux aussi apeurés plus qu'autre chose. Elle n'avait peut-être pas à avoir peur. Au final s'ils n'avaient pas eu un ton si agressif, des masques et des armes elle n'aurait rien craint d'eux, ils étaient certes très grands mais plutôt décharnés, bien trop maigre pour leur bien, et également bien trop pâle pour que ce soit normal.
- D'accord ! Je vais vous chercher ça ! accepta-t-elle.
Peut-être pourrait-elle en profiter pour appeler du secours. Mais malheureusement son interlocuteur semblait avoir suivi le même raisonnement puisqu'il ordonna :
— Mitrofan va vous accompagner ! Vérifier que vous ne faites pas de bêtises, du genre empoisonner le sang ou appeler les autorités.
— Bien sûr ! ne put-t-elle qu'accepter.
La doctoresse quitta donc la salle avec l'un des agresseurs, le plus grand et le plus costaud, comme pour lui faire peur, surtout qu'il ne quittait pas son sabre et semblait très méfiant. Mais elle espérait encore pouvoir faire quelque chose. Calmer la situation :
— Si vous m'expliquiez c'est pour quelle utilisation, je peux peut-être vous aider.
Puisqu'ils étaient tous les deux à déambuler dans les couloirs de l'hôpital elle espérait l'amadouer. En vain :
— Donnez-nous ce sang et ça ira !
— Si vous devez transfuser quelqu'un c'est mieux qu'une personne expérimentée soit présente. Ce n'est pas un acte médical basique. Et puis je dois connaître le groupe sanguin du receveur...
— On prendra de chaque.
— Vous savez pour nous aussi c'est précieux. On n'a jamais assez de donneur, surtout de certains groupes sanguins...
— Vous en faites pas, tout sera utilisé jusqu'à la dernière goute.
Et il s'esclaffa. Stéphanie, voyant qu'elle n'obtiendrait aucune information de lui, fit ce qu'on lui dit, ce qui était probablement le mieux pour ses patients. Ensemble ils ramenèrent les poches de sang aux autres agresseurs. L'homme au pistolet les observa d'un œil avide pendant que les poches étaient distribuées à chacun de ses camarades avant de se retourner vers elle.
— Merci bien ! Maintenant on va partir. Pas la peine d'appeler la police.
— Vraiment je préfèrerais que vous m'envoyez le ou les patients plutôt si c'est une question d'argent...
— Ce n'est pas la peine mademoiselle. Merci encore et désolé du dérangement ! Allez continuer à sauver les vôtres !
Il fit même un sourire au bébé dans les bras de sa mère qui pleurait attendant toujours des soins avant de s'éclipser à une vitesse anormalement rapide avec les siens. Stéphanie espéra qu'elle avait contribué à sauver une vie et pas à en tuer une pendant quelques secondes avant de se retourner vers la mère et le nourrisson.
Les hommes aux loups, leurs capes battant dans leurs dos, marchèrent un moment dans des ruelles peu éclairées épiant précautionneusement les alentours.
— J'en peux plus ! dit l'un d'eux.
— Très bien, concéda le chef. Moi non plus de toute façon.
De leurs canines pointues ils déchirèrent l'emballage pour se nourrir du délicieux nectar qui leur faisait tant défaut. Chacun s'arrêta dès sa première gorgée, un air dégouté sur le visage.
— C'est ignoble !
— On n'a pas le choix ! On n'a rien d'autres à manger !
Avec un coup d'œil peu enthousiaste, chacun se remis à boire. Leur chef avait raison : ils n'avaient rien d'autre. Cela faisait des semaines qu'ils n'avaient bu une goutte de sang. Jadis on pouvait tuer discrètement, effrayer les paysans. Aujourd'hui ils n'étaient plus qu'un mythe qui n'effrayait personne et tuer quelqu'un revenait à se dévoiler aux autorités, se condamnant à mort par la même occasion. Alors peu importe, quand on avait autant faim qu'eux on ne pouvait pas faire les difficiles. Ils burent donc bien les poches jusqu'à la dernière goûte avant même le lever du soleil.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top