- Veux-tu du whisky ou du vin ? questionna l'homme dans son costard. Bien que je me doute que tu préfères un alcool plus doux.

- Aurais-tu du champagne ? rétorqua la femme, un air de défi dans les yeux.

Il parut dépité quelques secondes avant de se souvenir de qui était sa soeur. Sans broncher, il alla chercher dans son réfrigérateur une bouteille de champagne, un des plus chers qu'il avait et en versa dans une coupe qu'il lui tendit ensuite. 

Milla Jaesen accepta la flûte avec un sourire ravi sur son visage. Depuis toujours, elle adorait provoquer son frère, par n'importe quelle manière. Que ce soit en lui faisant changer ses plans, en demandant plus, ou encore en lui volant des actionnaires à la compagnie. Entre eux, une guerre avait éclaté à leur naissance. Timothé était plus vieux que Milla d'environs deux ans, c'était donc lui qui avait hérité du groupe Jaesen en tant que Président après la mort de leur paternel. La femme avait été par la suite nommée Vice-présidente. Toutefois, ils se tiraient dans les pattes sans cesse.

Ce qui n'était pas logique. Au contraire, ils auraient dû œuvrer ensemble et s'entraider. Mais non. Chacun d'eux avait leur propre entreprise qu'ils géraient en parallèle. Timothé Jaesen était connu dans le monde entier pour être le producteur et directeur d'une station radio qui s'occupe exclusivement de répandre les dernières nouvelles. Milla Jaesen était encore plus respectée pour être la créatrice d'une association d'aides aux enfants. 

Au sein du groupe Jaesen, ils se souriaient, se serraient la main, dirigeaient les actions bras dessus bras dessous. On les surnommait les jumeaux infernaux, tant les opposants n'avaient nulles chances contre eux. Par derrière, ils se plantaient des couteaux dans le dos, se dérobaient des associés et se livraient des batailles violentes et sans merci. 

- Apparemment, c'est le premier jour du Projet MJ. Tu dois être contente qu'il voit enfin le jour ! s'exclama l'homme.

Timothé avait le regard mauvais. Un verre de whisky dans une main, l'autre appuyé sur sa jambe majestueusement et assis sur son fauteuil de cuir, il paraissait arrogant. Sa soeur constatait parfaitement l'exécration en lui et cela lui faisait bien rire. Elle prit le même air supérieur et esquissa un sourire fin sur les lèvres minces. 

- Je suis honorée que Monsieur le Président est accédé à ma requête. 

- Tu l'as dans la botte ! s'écria t-il.

On ne pouvait conclure s'il était énervé ou bien enjoué.

- Pas vraiment, répliqua calmement Milla. Sinon, nous serions déjà mariés. Ces jours-ci, il a de plus en plus de mal à s'ouvrir à moi. Je ne comprends pas ce qui est différent.

- Peut-être en a t-il assez de te voir tous les soirs pendant son seul repas de tranquille. Tu devrais lui laisser plus d'air.

- Et me le faire prendre par une de ces femmes bien garnies ? Non, je ne crois pas. 

Elle but quelques gorgées de son champagne. Tous ces gestes étaient souples, exécutés avec légèreté, comme sa bonne famille le lui avait enseigné. 

- Je soupçonne qu'il ne soit pas en accord avec mon projet.

- Pourquoi l'aurait-il accepté dans ce cas ?

La brune se contenta d'étirer ses lèvres en coin et de prendre une nouvelle gorgée.

- Honnêtement, sœurette, je ne sais pas ce qu'il te trouve. Tu es aussi pourrie qu'un trognon de pomme qu'on aurait fait moisir trois jours.

Pour illustrer ses propos, il fit mine de tressaillir de dégoût. Elle lui répondit par un maigre gloussement qui resta coincer dans sa gorge. Bien évidemment, ce n'était pas sur sa personnalité qu'elle comptait, mais davantage sur son physique. Milla Jaesen avait été élu à plusieurs reprises la femme la plus belle par des magazines. Ce qui marquait les esprits était surtout sa peau. Laiteuse, douce, pure, sans imperfection, blanche mais naturel. Son corps était très peu épais mais elle assumait de généreuses formes. Ni vulgaires, ni trop voyantes. Au goût de chaque homme. Ne parlons même pas de ses yeux en amande bleu brillant et de ses cheveux ébènes soyeux et lâchés en une coupe au carré lisses.

Ses vêtements étaient toujours de premier choix et extrêmement coûteux, voire uniques. Le physique en lui seul apportait déjà un charme indéniable. Mais pour bien comprendre l'engouement autour de Milla, il fallait également visualiser le personnage qui allait avec. Sa démarche était élégante, élancé ; le charisme et l'assurance respiraient par tous ses pores. Milla Jaesen était chérie des riches ainsi. Par ailleurs, les pauvres, lorsqu'ils voulaient rêver, songeaient à elle. C'était un modèle de beauté, de féministe, de richesse et de perfection pour certains.

- Moi, au moins, je n'ai pas une tête atroce ! asséna t-elle tout à fait apathique.

Ce n'était pas totalement vrai car Timothé lui ressemblait assez. Ils n'était pas appelés "jumeaux" pour rien. Cependant, il ne s'en formalisa guère et un gloussement -tel que celui de sa soeur un peu plus tôt- s'échappa d'entre ses lèvres. 

- Je suis ce qu'on peut dire "nature-peinture", contra t-il. Les femmes ne sont pas surprises, alors que ton Président prendra peur quand il te connaîtra suffisamment. 

- D'ici là, je l'aurais déjà fait mien et il ne pourra plus s'enfuir.

Elle était espiègle, joueuse et elle aimait cela. Milla déposa sa coupe sur la table basse, se redressa, décroisa ses longues jambes et déclara :

- Ce n'est pas que notre discussion m'ennuie mais j'ai un discours à préparer !

- Un discours ? 

- Le lycée où seront accueillis les élèves m'a demandé de réaliser une bande sonore pour proclamer à quel point mon idée est géniale.

Elle se leva et alla à sa porte. Elle l'ouvrit et ordonna à ses gardes du corps de ramener le dispositif nécessaire. Alors, débuta des allées-retours. Au final, sur son bureau, il y avait un micro et un boitier pour enregistrer. Elle se glissa sur sa chaise et fouilla dans ses tiroirs pour en sortir une feuille. Sur celle-ci, ses mots étaient déjà préparés et écrits. 

- L'as-tu rédigé toi-même ? s'enquit le frère, curieux.

Milla soupira, un sourcil relevé, et bougonna :

- Comme si j'en avais eu le temps. Les gens tels que nous ne se préoccupent point de ce genre de détails. N'es-tu pas d'accord ?

- Absolument !