2. Une désirable intruse
Cela fait maintenant deux nuits que je ne sors plus de mon bureau, les affaires sociales de la société de mes grands-parents vont mal, j'ai beau multiplier les donations, les visites du château lors de mes absences. J'ai même pour projet d'organiser des bals ainsi que des banquets aux profits d'associations...
Rien à faire, les gens ne souhaitent plus avoir à faire avec mon nom de famille, ce que je comprends entièrement pour mon plus grand dam.
Hofman, un nom bien trop entaché depuis que mes chers parents s'en soient occupés pendant une centaine d'années...
Il faut que je trouve par quel moyen je peux redorer l'image que je renvoie aux gens, mon image, celle de mes grands-parents, et non celle que mes géniteurs et mon cher frère ont laissés derrière eux.
Malheureusement, les réputations sont plus faciles à détruire qu'à reconstruire... J'avais toujours été le chouchou de mon ancêtre, j'étais pour lui le petit-fils parfait pour reprendre ce qu'il avait créé, à savoir la société et le château Hofman.
Quand ma grand-mère adoptive décéda, mon grand-père ne souhaita plus continuer sa vie sans celle qu'il avait aimé durant tant de temps, il mit donc fin lui-même à ses jours. Mes parents ont donc de suite repris la société, entachant la réputation d'années en années.
Quand les finances se sont amoindries, ils sont partis sans laisser de traces, laissant la société aux mains de mon frère, me traitant d'incapables, trop gentil, trop naïf pour arriver à multiplier le peu qu'ils avaient laissé...
Mon frère, jamais statique bien longtemps, as rapidement pris la fuite en voyant tout le travail à accomplir pour maintenir la demeure, regonfler l'estime de la famille et fructifier les derniers sous restants.
Me voilà donc depuis quelques mois, à reprendre les affaires après le passage dévastateur de ma famille toxique. Mes géniteurs n'ont jamais été de bons parents... Entre la torture psychologique qu'ils m'infligeaient et le fait qu'il favorise mon frère à mes dépens, je n'ai jamais eu vraiment ma place de fils auprès d'eux.
Il n'y avait presque plus de fond, j'ai su investir dans de bons filons que je tenais d'amis proches, j'y ai consacré une grosse partie et le reste a servis a acheter les vivres pour mes employés et moi jusqu'à présent.
Heureusement, tout cela a été temporaire, les fonds investis commencent à rapporter, ce n'est plus qu'une question de temps avant que la trésorerie ne soit de nouveau en de bonnes voies. De quoi m'aider à redorer l'image des Hofman.
J'ai eu la chance d'avoir le château de mes grands-parents, en plus de la valeur sentimentale que je porte à celui-ci, je ne sais comment j'aurais pu faire face à la crise pour pouvoir garder l'entièreté du personnel qui sans moi, ma fortune ainsi que cette demeure immense, se retrouveraient à la rue.
Tous les quatre ont besoin que je nous sorte la tête de l'eau. Eux comme moi.
À présent, tout ce dont j'ai besoin, c'est d'un peu de divertissement si je ne veux pas finir en dépression.
Je passe avec lassitude la main dans mes cheveux, je devrais penser à retourner les couper ou ceux-ci vont bientôt atteindre mes épaules, ce qui ne me dérangerait pas forcément, mais qui exaspérerait Oriane au plus haut point, elle qui d'ordinaire les aime bien court.
Je me laisse mollement tomber sur les piles de dossiers posées sur mon bureau. Je devrais peut-être l'appeler tient, cela fait longtemps que je ne l'ai pas vue... Elle serait de bonne compagnie pour me sortir le nez de mes affaires le temps d'une soirée.
J'attrape mon portable, un des rares objets électroniques dans ce château avec mon ordinateur, tout deux m'étant indispensable pour mes affaires, compose le numéro de mon amie et attend que celle-ci me réponde.
- Endrick... Je me demandais quand j'allais commencer à te manquer ! Dit-elle avec son éternelle voix enjôleuse.
Je ne sais pas pourquoi j'ai laissé passer autant de temps depuis notre dernière soirée, mais entendre sa voix derrière le combiné me donne déjà envie de la voir, et ce, rapidement.
- Ce soir, 22 h, Madeline t'ouvrira. Lui répondis-je juste avant de raccrocher directement.
Je n'attends pas de réponse de sa part, je connais déjà celle que la jeune métisse m'aurait répondue, je range l'appareil dans ma poche et décide de me replonger encore ne serrais qu'une heure dans les dossiers pour les futurs banquets.
Après à peine dix minutes, pas de quoi avoir grandement avancé, un bruit tonitruant dans le couloir me fait sortir à la hâte de mon bureau. Rien que l'idée que Madeline puisse avoir encore fait une chute, m'alerte directement. Je sors donc aussi vite que possible sans oublier de fermer derrière moi à clé par prudence.
Madeline est ma gardienne de maison, et ce depuis bon nombre d'années maintenant. Elle est arrivée parmi nous quand j'avais une centaine d'années, je venais de revenir de mes nombreux voyages d'errance, elle a été plus une maman pour moi que ma propre mère. Présente à mes côtés quand j'étais au plus mal, elle m'a aidé à revenir les pieds sur terre, m'empêchant de devenir comme mes parents et mon frère. Je ne saurais gérer ce domaine sans son aide.
Au vu de sa santé fragile, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'elle soit installée le mieux possible. Une chambre au rez-de-chaussée pour lui éviter les escaliers en bois glissant, ceux dans lesquels elle avait eu sa précédente chute. Ainsi que les meilleurs médecins en cas de besoin, s'il lui arrivait quelque chose. Je tiens à elle presque autant que je tiens à ma propre vie, c'est d'ailleurs en partie pour elle que je suis toujours en vie, alors je veux que chaque jour qui passe, elle me voit comme le fils qu'elle n'a jamais eu et non pas comme son employeur.
Je traverse rapidement le couloir secondaire où se trouve mon bureau pour attendre le couloir principal d'où semblait provenir le bruit.
À moitié entre la sérénité et l'énervement, je ne tombe pas nez à nez avec Madeline, mais bel et bien avec deux inconnues, dont une se frotte les vêtements et l'autre me surprend avant de crier à son amie de courir. La première, une grande rousse semble agile comparée à la petite brune qui l'a suis maladroitement.
Ça pour un divertissement... S'en est un !
Je cours derrière elles et attrape le poignet de la seconde largement à la traîne. Un petit coup sec pour la stopper et celle-ci vacille manquant de trébucher une seconde fois.
Que font-elles donc chez moi ?! Et comment sont elle rentrées...
Je prends le soin de la stabiliser avant de la fixer des yeux. D'ordinaire, cela suffit à avoir des aveux.
Je sens la jeune femme trembler comme une feuille, le regard paniqué, mais aucune explication qui ne vient...
Tout le monde le sait, les gentils flics ont plus d'infos que les méchants ! Alors je vais me la jouer propriétaire sympa, mon regard se radoucit, déliant les traits de mon visage jusqu'à présent tiré et desserre ma poigne autour de son minuscule poignet.
- Puis-je savoir ce qui vous amène ici ? Dis-je sur un ton que je n'espère pas trop énervé.
Ce que je suppose être de la peur la paralyse sur place, la jeune femme ne réagit plus, elle semble comme pétrifiée... Et dans un sens, je la comprends, qui oserais pénétrer dans une demeure qui n'est pas la sienne en étant sereine... J'en profite pour la détailler le temps d'un instant, des cheveux bruns, des yeux bruns, un petit grain de beauté sur le menton, plutôt d'une beauté banale si je peux me permettre.
Je pourrais très bien appeler la police, se serrais l'idée la plus logique qui soit. Mais j'ai enfin mon divertissement alors je compte bien jouer un peu... La terreur ne tue pas, au pire, elle ne recommencera pas de sitôt.
Alors que je m'apprête à sortir mon portable et feinté d'appeler les services de police, la jeune femme s'élance vers moi et plaque ses lèvres chaudes sur les miennes. Il me faut plusieurs secondes avant que mon cerveau ne capte qu'elle m'embrasse, et quelques autres supplémentaires avant de me mettre à apprécier son baiser, le poursuivant au passage.
Ma langue caresse à présent la sienne dans une danse passionnée dont je m'étais privé depuis longtemps. J'avais oublié a quel point embrasser quelqu'un nous émoustillais de la sorte, ou alors est-ce elle qui sait s'y prendre ?
Quand ma main s'aventure dans le creux de ses reins pour venir la coller contre moi dans le but d'approfondir notre baiser, elle se libère, la bouche encore entrouverte et rougie par notre contact prolongé, ses joues elles aussi avaient pris une teintée rosée, un portrait bien moins banal que celui dont je m'étais fait quelques minutes auparavant. Elle me jette un dernier regard avant de partir aussi vite, me laissant le souffle court me remettre doucement de mes émotions.
Je passe délicatement mon pouce sur mes lèvres...
Elle est partie... Sans son reste.
Mais aussi sans que je ne sache par où elles étaient entrées...
J'aurais pu la suivre, évidemment, mais comment aurais-je réagi ? La seule pensée présente actuellement dans ma tête étant de la ramener dans mon lit, et non en garde à vue pour être entré chez moi...
Je dois être bien trop en manque de divertissement pour avoir l'esprit autant embué par cette inconnue.
Je suis resté sans bouger, perdu dans mes pensées pendant un long moment, l'image de son visage juste après notre baiser encore fermement encré dans ma mémoire.
Une beauté banale, je disais ? Les premières impressions ne sont définitivement jamais bonnes !
Ce n'est que lorsqu'une main féminine se pose sur mon épaule que j'émerge de mes pensées. Au diable, comme j'aurais aimé y rester encore un peu, même remémorer, ne serais-ce qu'une minute encore ce baiser si mémorable.
Mais Oriane est bel et bien devant moi... Je l'avais oubliée avec tout cela !
- Bonjour chéri ! Anna amène du thé et des mignardises dans le salon, depuis le temps que tu ne m'as pas appelée nous en avons des choses à se dire ! S'exclame-t-elle surexcitée comme à son habitude tout en me prenant par le poignet pour me guider dans ma propre maison.
J'aimerais pouvoir me réjouir de sa visite comme elle m'enchantait, il y a tout juste un peu plus d'une heure, mais à présent, c'est la présence de cette mystérieuse inconnue qui brouille mes esprits et s'immisce dans les moindres recoins de ma tête. Ses lèvres me hante a tel point que le temps passé avec Oriane me paraît fade au possible, je me contente de quelques hochements de tête évasifs pour répondre a son flux de paroles sans vraiment écouter avec grande conviction.
Je la vois pourtant, assise dans le salon principal dans le canapé en face de celui où je me trouve, ses lèvres bougent, elle me raconte sûrement l'une de ses dernières soirées, ou autre, je ne saurais dire, je suis comme complètement perdu dans mes propres pensées, qui reviennent inévitablement sur la jeune femme de tout à l'heure.
- Endrick ?! Je te sens ailleurs... C'est donc la société qui t'accapare a ce point ? Dit-elle en faisant valser ses cheveux merveilleusement bien bouclés dans son dos d'un mouvement de la main après être venue se poser sur mes genoux.
- Hum... Oui, c'est cela, j'ai été pas mal occupé dans les papiers et certains détails me restent encore en-tête apparemment... Tentais-je sans grande conviction.
Seul, moi sais que le seul détail indélébile dans mon esprit est ce putain de baiser que je n'arrive pas à me sortir de la tête !
Je n'embrasse pas moi !
Personne.
Ni Oriane, ni personne alors pourquoi j'ai laissé une inconnue le faire, qui plus est pourquoi j'ai poursuivi... J'aurais pu la repousser comme je le fais avec mes deux amies... Mais là, le désir m'a emporté bien trop fort pour que je puisse résister... Je n'avais qu'une envie, continué, sans ne plus jamais m'arrêter tellement ses lèvres m'envoûtaient.
- Rick ?! Dit-elle en me prenant la tête dans ses mains le regard entre la curiosité et l'énervement.
À nouveau perdu dans mes pensées, toujours et toujours pour la même raison... Je dois me sortir cette femme de la tête avant de devenir complètement fou !
Je plonge le regard dans celui de mon amie, place une main dans sa nuque, attrapant doucement la naissance de ses cheveux dans ma main et vient poser mes lèvres dans le creux de son cou, embrassant chaque centimètre de sa jolie peau naturellement dorée.
Je remonte lentement, couvrant de baiser le lobe de son oreille, passant sur sa délicate mâchoire où se trouve un ravissant point de beauté discret, puis je fini par poser mes lèvres doucement sur les siennes. Elles sont plus pulpeuses que celle de mon inconnue et pourtant, elles ne sont pas plus agréables, je persiste à embrasser Oriane espérant recevoir la même décharge d'émotions dans ce baiser que dans mon précédent... Mais rien.
Le néant.
Il ne se passe absolument rien. Mon amie, celle que je connais depuis la nuit des temps, avec qui j'ai partagé un nombre incalculable de fois mon lit, qui connais pourtant mon corps autant que le sien, celle qui connaît chacun des moments de ma vie... Ne me transmets aucune émotion à travers notre baiser. La passion et le désir qui me transperçait pourtant plutôt ont complètement disparu.
Je n'arrive pas à ressentir le moindre plaisir avec elle.
Voilà la raison pour laquelle je n'embrasse pas !
Parce que rien ni personne n'arrive à me donner autant de plaisir sans un acte pourtant si commun.
Personne, à part elle visiblement. Il a fallu que la seule femme capable de me faire ressentir du désir en m'embrassant soit une inconnue rentrée chez moi par effraction et dont je n'aurais probablement plus jamais de nouvelles.
L'incompréhension et la haine dépassent le désir que je ressentais et je mets rapidement fin à notre contact, la reposant sur le sofa pour me lever.
J'ai besoin d'un verre. Immédiatement.
- Que se passe-t-il ? Tu n'avais jamais accepté que je t'embrasse et là, tu prends toi-même l'initiative avant de me laisser pantelante dans le canapé ?! Dit, elle choquée de mon attitude contradictoire.
Je me sers un grand verre de whisky sec et me contente de lui répondre d'un mouvement de main, sans même prendre la peine de la regarder. J'ai bien conscience que j'agis comme un véritable connard... Mais c'est plus fort que moi. Je me sens vulnérable pour la première fois depuis longtemps.
- Est-ce que c'est par rapport à Ysaline ? Dit-elle en posant gentiment sa main sur mon bras.
Je la repousse assez brusquement, renversant une partie de mon verre, ce qui a le don de me mettre encore plus hors de moi.
- Tu ne dois jamais prononcer son nom ! Tu le sais ! Maintenant, dégage ! Je veux être seul. J'en ai besoin. Dis-je le ton glacial et le regard noir de colère sans même la regarder dans les yeux.
Je me retourne et bois d'une traite ce qu'il reste dans mon verre avant de m'en resservir un second dans la foulée. Je ne prends même pas la peine de dire au revoir à mon amie, si jamais cette dernière me considère toujours comme tel après la manière dont je l'ai traitée... J'entends le bruit de ses talons de luxe claqué contre le sol en bois du salon dans lequel nous nous trouvons et une fois que je me suis assuré qu'elle soit partie, je me laisse tomber lasse dans le fauteuil pour fermer les yeux un instant.
Par la senteur hors du commun du parfum qui emplit mes narines, je reconnais Madeline qui vient m'enlacer par-derrière et caresser doucement ma joue comme elle le faisait quand je n'étais encore qu'un enfant.
- Te mettre dans cet état ne te mènera à rien Rick... Vis mon petit, profite sans te retourner, souris, de tes plus belles dents, et ce, sans jamais te soucier de ce que pensent les gens. Oriane ne t'en voudra pas bien longtemps, mais je compte sur toi pour t'excuser, tu as toujours été le meilleur des Hofman, ne laisse rien ni personne changer le cœur pur en toi.
Je sens la colère diminuer au fil des minutes qui s'écoulent, ses paroles et ses actes tellement plein de sagesse et d'amour m'apaisent toujours autant que lorsque j'étais un ado en pleine crise. Madeline a raison... M'énerver pour un baiser ne sert à rien. Je ne la reverrai probablement jamais.
Et s'il arrive que je la recroise, je tenterai de rester insignifiant... Si j'en suis capable. Ce que je doute... Je ne dois pas laisser perturber mon quotidien déjà bien compliqué avec la reprise du manoir que pour qu'une inconnue me fasse vaciller.
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