Les souvenirs ne sont que des spectres



Je parcourais la salle vide de mon regard de damnés. Jamais je n'avais vu cet hôtel ainsi lorsque j'étais encore vivant. Quelle dérision dans mes paroles et dans mon cœur ! J'avais espéré que revenir ici ne serait pas tant douloureux. J'avais passé des vacances merveilleuses ici, dans cet hôtel qui semblait appartenir à un tout autre temps, un temps qui ne passait pas aussi vite que le notre. J'avais même escompté qu'il me fasse accepter ma nouvelle nature, après tout je suis à présent comme lui, je ne subis plus les contraintes du temps. Mais le fait est là, tout ce que cet hôtel représente est le bonheur absolu que j'avais connu mortel. Encore une chose que j'ai perdu sans nul espoir de le retrouver.

Je jetais un bref coup d'œil au comptoir de la réception. La jeune hôtesse qui y était balayait la salle de son regard. Je désirais m'approcher d'elle, parler à quelqu'un de vivant serait tellement rassurant, j'aurais encore l'impression d'être de ce monde ; mais en m'approchant d'elle j'eus le sentiment qu'elle aurait peur en voyant mon teint laiteux, mes yeux rougis et peut-être mes canines. J'avais tellement de mal à masquer ma nature. C'était dur pour moi de l'accepter, peut-être cela rendait les choses compliqués alors qu'elles étaient simples, mais j'en doutais. Rien ne pouvait me faire croire que ça pouvait être simple.

« Monsieur, murmura-t-elle de sa voix douce.

La seule pensée qui traversa mon esprit fut Oh mon dieu ! Elle m'a vu. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir vivant en voyant ses yeux marrons posés sur moi. Difficile ne pas croire à l'illusion que cette vision me donnait. J'étais un homme vivant à ses yeux. Comment aurait-elle pu deviner quel sorte de monstre j'étais devenu ? Personne ne pourrait le deviner. J'aurais dû le comprendre, les vivants sont trop terre à terre, il y a deux siècles j'aurais été bien en mal de paraître pour un vivant, les hommes étaient perdus dans leurs superstitions. Mais aujourd'hui, en 1990, les hommes croient tous en la science. Ils ont oublié ce que leurs arrières arrière-grands-parents croyaient.

– Oui, mademoiselle, répondis-je poliment.

Mais je restais à une distance respectable. Cet hôtel n'était pas très réputé. Il y avait eu une sale affaire de meurtre en 1978 qui avait littéralement fichu en l'air la réputation de cet hôtel. Résultat le prix des chambres avait baissé et l'hôtel avait fermé le troisième étage où avait eu lieu le meurtre, ce qui n'empêchait pas les jeunes de s'y risquer à la recherche du fantôme de la victime. Je dois avouer que j'ai bien faillit ne pas y venir à cause de cette affaire il y a deux ans, mais je m'étais dit que ça ne pouvait pas arriver deux fois dans le même hôtel. Tout compte fait, je me suis peut-être trop avancé.

– Vous n'aviez pas réservé une chambre ? Il me semble bien que vous soyez cet homme qui est venu tard hier soir pour demander une chambre et qui n'est jamais venu y coucher.

La jeune femme me fixait avec un air las, elle avait sans doute assez de voir des clients à longueur de temps venir se plaindre pour ceci ou cela. Ou simplement n'avait-elle plus la force de sourire parce qu'elle avait sourit toute la journée. Mais je ne l'imitais pas et lui adressais un sourire. Un faible sourire, parce que malgré tout j'avais toujours peur qu'elle voit mes canines ou que mon charme surnaturel puisse agir sur elle. J'ignorais tout de mes pouvoirs ou presque et redoutais de les activer involontairement.

– Oh oui je m'en souviens. C'est que j'ai eus une nuit très agité.

Dois-je préciser que nous sommes le matin, que je suis venu justement prendre possession de la chambre pour la journée et que je redoute qu'elle se doute de quoi que ce soit ? Je n'ai rien d'un milliardaire excentrique et je doute qu'on me passe tout mes caprices juste parce que j'ai une jolie gueule ! Mais elle sourit.

Elle baisse les yeux et ses joues se poudrent de rouge. Oh mon dieu ! Mes pouvoirs sont en train d'agir sur elle et je n'en ai même pas conscience. Une pensée tout à fait effrayante. Je ne peux détacher mon regard de ces joues toutes rougies. J'ai si peur qu'elle tombe amoureuse d'un tel monstre que mes mains tremblent. J'essaie de me contrôler, de ne pas lui laisser voir mon embarras et ma peur. Mais j'ai du mal à me contrôler, c'est à peine si j'arrive à empêcher mes mains immenses de briser le comptoir. Fichu pouvoir !

Rectification elle ne tombe pas amoureuse de moi. Son regard se pose sur moi et je ne sais comment mais je sais qu'elle me trouve tout simplement à son goût. Quelle chance ! Néanmoins je suis heureux qu'elle ne soit pas sous mon envoûtement. Je dois le montrer un peu trop car elle émet un son qui ressemble drôlement à un rire. Elle sort une clé avec un numéro de chambre. Bordel ! Je lui ai dis par la pensée que je la désirais ? Mon dieu ! Je vais devenir fou si je ne peux pas savoir lorsque j'utilise mes pouvoirs ou non.

– Je comprends, monsieur est un fêtard. Vous avez dû bien vous amusez pour oublier de rentrer dormir.

Je porte la main à mon front imitant un mal de crane naissant. Je crois qu'elle a tout gobé mais en fait, je n'en suis pas du tout sûr. Elle a un air de pitié. Je me demande bien pourquoi. Ais-je l'air aussi mal que ça ? Après tout j'ai ce teint blanc qui peut passer pour celui d'un malade et puis ce regard vide d'expression que j'ai à présent peut appartenir à quelqu'un de fatigué. Elle est très jolie avec cette petite moue. J'ai envie d'elle mais pas comme un vivant aurait envie d'elle. C'est très désagréable comme sensation. J'essaie de l'oublier, de me concentrer sur ma persuasion.

– Oui, les nuits à LA sont bien plus agitées qu'on ne le pense.

Elle sourit. Peut-être se demande-t-elle pourquoi je suis allé jusque là-bas tout en sachant que j'avais prit une chambre ici. Je ne sais pas. J'ai pas envie de pénétrer son esprit. Trop dangereux. Elle continue à me sourire si bien que je me demande ce que j'ai fait pour mériter ça. Avec un certain humour j'imagine l'hôtel s'effondrer autour de nous et elle me souriant paisiblement. Incroyable que mon humour ait résisté à ma transformation. Bien qu'à la réflexion je suppose que c'est normal.

– Vous devez drôlement aimer cet hôtel pour y revenir après une soirée à LA. »

Je hoche la tête. Elle me tend les clés ce qui rompe le charme. Elle me fixe à nouveau avec cet air absent et ce regard fatigué. La magie a disparut. Tout compte fait, c'était bien mes pouvoirs qui agissaient sur elle. Je crois que c'est mal. Néanmoins j'ai du mal à croire que redonner le sourire à quelqu'un est mal. Je m'écarte d'elle réalisant que je m'étais trop approché d'elle. Elle ne cille pas. Je ne sais pas ce qu'elle a. Je suis un mort, je n'ai pas le droit de m'immiscer dans l'intimité des vivants. Bien que ça puisse paraître dérisoire, j'ai envie de conserver un peu de morale.

https://youtu.be/IryFtcBJeZE

Je monte l'escalier. L'ascenseur c'est trop risqué. Éviter la proximité avec des vivants, ne pas les regarder droit dans les yeux. Une bonne tactique pour un mort qui veut passer pour un vivant. Du moins ça y ressemble. C'est curieux que mon mal au rein ait disparu depuis ma transformation. Certes je suis devenu immortel, mais je ne pensais pas que le sang démoniaque puisse purger mon corps de maladie. J'ai aucun mal à monter l'escalier. Je suis redevenu un jeune homme plein de vitalité. Quelle ironie ! Lorsque j'étais vivant je me sentais proche de la mort, il faut dire que les médicaments ne m'ont jamais aidé à me sentir vivant ; et à présent où je suis mort, je me sens plus vivant.

Je croise un homme plutôt vieux. Ses veines bleues attirent mon regard. Je dois détourner les yeux même si je risque de passer pour un parfait snob. Mais il passe devant moi sans un bruit, sans un murmure. Juste le bruit de sa respiration un peu lente et troublée. Je me rends compte que je sais parfaitement de quoi il va mourir et que je pourrais presque prévoir quand. Troublant. J'ai envie d'oublier ça mais c'est impossible. Un vampire peut devenir un médecin ? Je n'ai jamais rien dit d'aussi ridicule. Je me demande si tout de même la mort n'a pas agis sur mon cerveau. Je hausse les épaules. Je n'étais pas un génie avant de mourir. Et j'ai toujours eu un humour pitoyable. Bref il n'y a pas de quoi s'alarmer.

Le silence était revenu comme un vent glacial. Je souffrais de la solitude plus que n'importe quel vivant. J'étais revenu d'entre les morts dans la plus insondable solitude. Celui qui m'avait fait ça m'avait bel et bien abandonné. J'avais espéré qu'il me rejoint ici. Mais je ne devais pas être si important pour lui. Je réalise que je suis tout à fait perdu ici. Je ne me sens pas plus vivant que je le croyais il y quelques instants. J'ai envie de rencontrer un autre immortel et lui demander ce qu'il en pense. Quelle merveilleuse discussion nous pourrions avoir ensemble ! Je me force à oublier ça. Trop douloureux.

Ne pas penser à l'existence d'autres immortels, ne pas penser non plus à leur non-existence, trop effrayant comme pensée. Il faut que je réalise que je suis le seul mort de l'hôtel. Je veux dire le seul client mort de l'hôtel. Je parviens enfin à ma chambre. L'escalier m'a paru interminable. Curieuse expression dans la bouche d'un immortel. J'enfonce la clé espérant que mon créateur est là, à m'attendre, dans ma chambre. Ridicule. J'ouvre la porte.

Je regarde un peu la télé. Il y a un Tom & Jerry qui passe. Je ne peux m'empêcher de rire à la première gamelle de Tom. Je me sens encore un enfant. Une fausse impression. J'ai l'impression d'étouffer. Je réfléchis deux secondes, ce n'est pas l'air que je respire qui me maintient en non-vie. Pas de quoi s'affoler. Je ne pense plus à cette sensation de resserrement dans la gorge. Il faut que je me rappèle que je suis immortel. La sensation de fait plus faible et finalement disparaît. Je m'en veux d'avoir eu peur de mourir. C'était idiot. Je ne peux m'empêcher de repenser à mon désir de mourir lorsque je dus tuer pour me nourrir. J'éteins la télé.

Il va bientôt être l'heure. Le soleil va se lever. Je m'approche du lit avec ces gestes humains dont j'avais tant l'habitude. Ils me paraissent ridiculement maladroit et lent. Mais j'essaie de conserver cette image de moi vivant. Je suis vivant. Tout simplement vivant. Je respire de l'air pour vivre. Dommage que l'auto persuasion ne marche que sur le mental ! J'ai un peu peur quand même. Durant mon sommeil je serais totalement faible et mortel. Un retour vers mon passé de vivant ? Non pas du tout. Il faut que j'arrête de rêver. Ca devient assommant à la fin ce désir puéril de revenir en arrière. J'ai bien précisé qu'on ne me dérange sous aucun prétexte. Voilà un bon point. Les volets en métal sont fermer. J'ai fermé aussi les rideaux pour plus de sûreté. Je ne devrais pas sentir le cramé au réveil. Super ! Je m'allonge. Mes yeux se ferment tout seul. Normal. Je me sens partir, l'obscurité m'entoure totalement. Je perds connaissance.

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