Les mains toujours liées dans le dos, l'apprenti magicien fut poussé par la jeune fille. Erden cherchait désespérément comment il allait pouvoir se sortir de cette situation ; il était hors de question de s'enfuir sans son frère et son familier. Mais les mains attachées, il ne pouvait faire appel à aucune magie. Et même s'il arrivait à se libérer, il ne voyait pas comment il pourrait trouver seul le remède pour Aedan. Il lui fallait donc se plier au bon vouloir de cette demoiselle, en priant pour qu'une fois son ami délivré, elle les laisse repartir comme elle l'avait fait la première fois...

Elle l'emmena jusqu'à la clairière où ils s'étaient affrontés. Là, pétrifié par sa magie, un griffon était étendu au sol. Dans une autre situation, il aurait trouvé la créature magnifique. Sa fourrure était parsemée de milles teintes, du brun jusqu'au doré, et ses plumes plus claires étaient d'un beige moucheté de noir. Ces ailes puissantes était assez grandes pour camoufler un homme adulte. Poussé par sa tortionnaire, il s'approcha encore un peu. Il n'avait jamais vu un tel animal d'aussi près. Prisonnié entre ses griffes figées, le magicien aperçut un petit tas d'écailles noires et rouges. Erden se précipita à genoux près de son dragon.

"Vysserön ! Tu n'as rien ?"

Le familier secoua la tête mais lui envoya une émotion de peur intense.

"Ne t'en fais pas, je suis là maintenant..."

Il essaya de penser au plus vite, puis se tourna vers l'inconnue :

"J'ai besoin de mes mains."

Comme elle hésitait, il insista.

"Sinon, je ne peux rien faire !

-Au moindre geste suspect, tu es mort. Rappelle-toi : je suis la seule à pouvoir soigner ton ami." lui répéta-t-elle avant de trancher ses liens.

Erden frotta ses poignets rougis par la corde, pris une grande inspiration et souffla un grand coup, sentant peser sur ses épaules la charge de la vie de ses amis. Il prononça une courte formule magique et claqua des doigts. Le griffon se cabra sous l'effet de surprise, faisant tomber le magicien d'un puissant coup d'aile. Vysserön profita de son moment d'incompréhension pour filer entre ses pattes et regagner les bras réconfortants de son maître.

Erden recula en vitesse pour se mettre hors de portée des énormes griffes effilées de la créature. Lorsqu'il regagna ses esprits et qu'il vit le jeune homme, le griffon se jeta sur lui, l'immobilisant d'une de ses pattes massives tout en le fixant d'un regard sévère. Le jeune homme en eut le souffle coupé. Ces bras étaient plaqués le long du corps, il ne pouvait plus faire le moindre mouvement.

Le petit dragon, juste à côté de la tête de son maître, resta pétrifié devant ce monstre. La jeune femme courut enfouir son visage dans l'épaisse fourrure de son épaule.

"Switch ! Tu n'as rien ! "

La bête fixait toujours ses deux prisonniers. Se ressaisissant et affrontant ses peurs, Vysserön déploya ses ailes de façon à se faire le plus grand possible et rugit du plus fort qu'il put. En dépit de tous ses efforts, cela resta un petit cri ridicule face au glapissement résonnant que le griffon lui envoya en réponse. Mais le dragon ne bougea pas d'un poil, bien décidé à protéger Erden, malgré ses pattes qui tremblaient de peur. Il émit un second cri plus long, et ses naseaux se mirent à fumer. L'apprenti magicien, qui pouvait à peine respirer, entendit l'inconnue intervenir d'une voix grave, sans pour autant se dégager de l'épaule du monstre.

" À ta place, je ne ferais pas ça."

Le familier ne tint pas compte de l'avertissement et déversa tout le feu dont il était capable au griffon, lui couvrant la tête de flamme, et lorsqu'il s'arrêta, il vit avec effroi que son bec s'était changé en museau, sa tête était surmontée de pics et son poil était remplacé par des écailles noires et rouges. Vysserön se retrouva face à une réplique géante de lui-même, ce qui le laissa tremblant de tout son petit être.

L'apprenti magicien resta émerveillé. S'il n'avait jamais vu de griffons autrement qu'en illustrations, il avait encore moins croisé de changelin, ces créatures qui pouvaient changer de forme à leur guise et auraient existé au temps des légendes. Le dragon s'enfuit pour gagner maladroitement une branche en hauteur.

"Ne lui faites pas de mal..." souffla Erden avec le peu d'air que lui permettait ses poumons comprimés par la patte de la créature.

L'inconnue reporta son attention sur lui. Du sac probablement caché sous sa peau de loup, elle sortit un flacon empli d'un liquide rosâtre. Elle s'accroupit près de lui et glissa la fiole dans sa poche.

"Mets ça sur la piqûre de ton ami. Il se réveillera rapidement. Partez et ne revenez pas." lui chuchota-t-elle d'une voix ferme.

Lorsqu'elle se releva, Switch libéra le jeune homme. Erden se mit rapidement debout, mais, au lieu de partir, il lança le flacon à Vysserön avec l'instruction imagée de secourir son frère. Le petit dragon attrapa la fiole au vol et Erden fit de nouveau face à son adversaire.

" Pourquoi effrayez-vous tout le monde ?

- Le démon de la forêt ne laisse personne la traverser. Fuyez tant qu'il est encore temps."

Erden aurait dû partir, mais il voulait comprendre. Maintenant que ses mains étaient libres, il pouvait se défendre. De plus, il était trop fier pour prendre la fuite devant une fille, même accompagnée d'un changelin. Tendu comme un arc, le magicien attendait dans une position de combat. Sous sa peau de loup, son adversaire le toisa un moment.

" Je ne me battrais pas contre toi."

Le tas d'objets qu'elle sortit de derrière elle et qu'elle lança vers lui atterrit dans un bruit métallique. C'était leurs armes.

" Allez-vous en. Ne remettez plus jamais les pieds dans cette forêt."

Le ton était sans appel. Des pas se firent entendre derrière lui. L'apprenti magicien jeta un œil en arrière et fut soulagé de voir son frère et son familier le rejoindre. Lorsqu'il se tourna de nouveau vers la jeune fille, son animal et elle avaient disparu.

" Erden ! Tout va bien ?

- Oui...Elle est partie. Mais c'est plutôt moi qui devrait te poser la question !

- Pour ne rien te cacher, j'ai la tête qui me tourne un peu..."

Ses jambes tremblaient, Erden devina qu'il avait couru à son secours en dépit de son état.

Ils décidèrent de camper sur place pour la nuit.