Chapitre 5


La lumière du soleil couchant entrait à flot dans le grenier, teintant tout ce qu'elle touchait de rouge et d'orange. Erden se concentra. Il ferma les yeux, les sourcils froncés, entrelaçant ses doigts, et ouvrit la bouche. Des mots fluides s'échappèrent de ses lèvres, incompréhensibles pour son frère. Aedan contempla la lumière qui commençait à émaner de son frère avec curiosité. Il était toujours fasciné de voir Erden faire des sorts compliqués, qui recquéraient plus de trois mots. Erden l'avait entraîné à percevoir la magie, et même s'il n'était pas très doué, il sentit les cheveux de sa nuque se hérisser devant l'afflux de puissance. Vysserön grimpa sur sa jambe pour se percher sur son épaule gauche, grondant avec inquiétude après son maître.

"Calme-toi, l'enjoignit Aedan, habitué à ce comportement. Tu ne peux pas l'empêcher de faire des bêtises, de toute façon. »

Ils savaient tous les deux que tenter d'empêcher Erden d'outre-passer ses limites relevait de l'impossible. Il ne les écoutait jamais, et c'est à peine s'il semblait désolé lorsqu'il avait besoin des soins de Vysserön (ou Aedan, lorsque celui-ci refusait). Aedan se mit à inspecter le tranchant de ses couteaux de lancer, surveillant son frère du coin de l'œil.

Erden était bien loin de ces pensées. Dès qu'il avait commencé à réciter la formule, il avait senti son esprit s'étirer, s'étendre et s'éparpiller autour de lui. Il lui avait fallu faire appel aux dernières bribes de concentration qui lui restait pour s'intimer de chercher les traces de magie alentour. À présent, il se laissait porter, évoluant dans un monde bien différent de celui auquel il était habitué. Malgré ses yeux fermés, sa vision s'étendait bien au-delà de la chambre d'auberge et s'étendait progressivement au fur et à mesure qu'il récitait. Il ressentait le flux d'énergie dans tout le village, sa perception augmentant au fur et à mesure que les mots s'écoulaient de sa bouche. Il éparpilla son attention, cherchant une source bien plus puissante. Il ressentit une énergie, vers la forêt, qui semblait correspondre à ce qu'il cherchait. Il voulut pousser un peu plus loin, mais il sentit son esprit se heurter à une barrière intangible. Il comprit dans un coin de son esprit encore conscient du monde matériel qu'il venait de finir de réciter la formule. Il s'efforça de répéter encore et encore le dernier mot, sentant son esprit se distendre pour réussir ce tour de force, cherchant à continuer la piste, mais il n'y arrivait pas. C'est comme s'il tombait et se rattrapait encore et encore, la friabilité de l'instant l'empêchant de garder prise. Il poussa une dernière fois de toutes ses forces, sachant qu'il allait profondément le regretter à son retour en sentant une pulsation rendre sa progression erratique. L'effort fut fructueux et il put progresser de quelques mètres. Il ressentit les bribes d'un violent éclat de magie avant d'être arraché de force au monde psychique. Il avait atteint sa limite. Il se sentit aspiré, son esprit se rassemblant en un point focal, là où se situait son corps, et reprit brutalement conscience de ses sens.

Il ressentit d'abord la lourdeur et la consistance de son corps de chair et de sang. Ses yeux s'ouvrirent et il croisa les regards inquiets d'Aedan et Vysserön, juste avant de perdre l'équilibre et de s'effondrer au sol.

" Erden !"

Le cri lui vrilla les tympans. Il serra les paupières, les mains plaquées sur chaque oreille, les paumes frottant sur ses anneaux brûlants. Il gémit, reprenant lentement place dans la réalité. Il ressentait une violente pulsation dans ses tempes, comme si son esprit encore éparpillé cherchait à se libérer de sa tête trop petite pour l'accueillir en entier.

Rapidement cependant, il sentit une douce chaleur se répandre depuis sa poitrine et dans tout son corps. Il roula sur le dos, la respiration sifflante, et ouvrit lentement les yeux. Vysserön avait la patte posée sur son torse, et Aedan était accroupi près de sa tête avec inquiétude.

Cette barrière intangible n'était pas seulement due au fait qu'il était arrivé au bout de la formule, réfléchit-il en voyant que Aedan parlait, sans pour autant se sentir suffisamment présent pour écouter. D'ordinaire, ce genre de sortilège laissait bien assez de temps pour que l'esprit puisse faire son travail. Seuls les débutants ne savaient pas faire bon usage du temps imparti, et il n'en était pas un. Non, ce qui l'avait empêché d'identifier la source exacte de la magie était une autre magie, qui interférait avec le plan sur lequel voguait son esprit lors de ces sortilèges. Cette forêt était protégée par quelque chose de très puissant... C'était peut être la protection qu'avait posé Merwin pour protéger sa maison ?

"Oh !"

Le cri colérique résonna avec la claque qu'il reçut en plein visage, et qui eut le mérite de le faire définitivement reprendre conscience de son environnement. Il cligna des yeux plusieurs fois, sentant la pulsation refluer lentement. Il sentit qu'Aedan l'aidait à s'asseoir, puis il fixa son attention sur le visage de son petit frère.

" C'est bon ? Tu es entièrement de retour ?"

Erden s'apprêta à ouvrir la bouche pour répondre affirmativement, mais ses paroles s'étranglèrent dans sa gorge à cause d'une violente quinte de toux. Aedan lui fit aussitôt passer une gourde, qu'il vida goulûment. Il s'essuya brièvement la bouche et prit enfin la parole :

"Oui, merci. J'ai mis combien de temps ?

- Un peu plus de trois minutes. Et à la fin, tu n'arrêtais pas de répéter le même mot."

Erden hocha la tête, et ce simple geste fit tanguer sa perception. Je suis vraiment allé trop loin, cette fois, songea-t-il. Effectivement, avec le mal de crâne qui pointait, il regrettait profondément d'avoir forcé autant. Vysserön le fixait d'un œil noir, et Erden lui adressa un sourire d'excuse.

" Ça ne me fait pas rire Erden, dit Aedan en lui faisant prendre conscience qu'il avait recommencé à parler. Tu tremblais, tu transpirais, et je t'ai rarement vu aussi pâle de toute ta vie.

- Oui, pardon. " s'excusa Erden en baissant la tête, à moitié penaud.

L'inquiétude d'Aedan le transperçait, et il regrettait d'y avoir mis autant d'énergie. Il entendit son frère soupirer, signe qu'il lâchait l'affaire, en tout cas pour le moment.

"Tu as trouvé ce que tu voulais, au moins ?

- Pas vraiment. Il y a quelque chose dans la forêt, c'est certain. Mais je me suis heurté à un mur quand j'ai voulu trouver la localisation exacte. J'ai essayé de le briser, mais je suis revenu avant.

- On dirait qu'il va falloir utiliser la deuxième méthode, alors." Cette fois, Erden prit son temps pour hocher la tête.

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