Chapitre 1
Des cris de joie et des exclamations colériques s'échappaient de la taverne, dominant le fracas des chopes de bière qu'on cogne maladroitement sur les tables. Un petit événement s'était créé autour d'une table ronde, où quatre personnes jouaient aux dés. Trois d'entre eux étaient de solides gaillards, des bandits de grands chemins à l'œil fouineur et perfide. Le quatrième était un pauvre homme qui ne portait désormais plus qu'une chemise sur son dos et gardait la tête baissée, supportant les rires et les moqueries des convives autour d'eux. Il jeta un regard envieux et désespéré à l'ensemble de ses possessions. Quelques pièces d'or, ainsi qu'un sac de cuir solide et usé trônaient sur la table du côté des trois bandits.
"Je ne suis pas sûr que tu puisses faire une autre partie, vieil homme, ricana le plus grand des trois. À moins que tu paries ta chemise, et ta dignité avec."
Des éclats de rire résonnèrent alors que l'homme portait une main tremblante au col de son vêtement.
"Je vous en prie...Je n'ai que ça...Ma-ma femme..."
Soudainement, une chope assénée sur la table fit taire les rires, et sursauter l'homme. Ils levèrent la tête en direction d'un jeune homme aux cheveux pourpres, une couleur peu commune dans le coin, et au regard un peu vitreux à cause de sa chope déjà bien vide.
"Ça vous dérange si je vous rejoins? J'ai besoin d'un peu de piment dans ma soirée!"
Les trois bandits l'observèrent sous toutes les coutures, puis s'entre regardèrent avec des sourires carnassiers, ravis de trouver une nouvelle victime. L'un d'eux, qui portait une hideuse balafre au travers de sa face, lui désigna la dernière chaise du menton. Ses yeux fixaient les anneaux d'or qui ornaient les lobes du nouveau venu.
" Parfait! fit le jeune homme. Moi, c'est Erden. Par contre, je vous préviens, j'ai pas grand chose de valeur qui pourrait vous satisfaire, dit-il en montrant son sac à dos un peu décousu. Enfin, si vous vous abaissez à des chemises, ça ne devrait pas être trop difficile de trouver."
Ils serrèrent les mâchoires, piqués au vif par sa remarque. Ce petit insolent en avait de bonnes! Il était venu se jeter dans la gueule du loup de son plein gré avec sa langue trop bien pendue, et ils allaient lui rabattre son caquet.
"Paris tes anneaux!" suggéra le balafré
Le jeune homme resta pensif un instant, triturant les fameux anneaux. On aurait dit que réfléchir demandait un effort supplémentaire à son esprit alcoolisée.
'D'accord. J'ai jamais aimé les grosses brutes dans votre genre, ça vous fera une bonne leçon.
-Tiens ta langue, gamin, siffla le troisième, le plus proche, en se penchant sur le jeune homme. Tu la ramèneras moins à la fin de la partie."
Erden ne pu retenir une grimace en sentant son haleine trop près de sa figure et tourna son attention vers l'homme qui venait de se faire dépouiller. Il serrait les poings en tenant sa chemise, une lueur d'espoir dans le regard.
-Bon, et bien allons-y! Mes anneaux contre tout ce que vous avez pris à ce pauvre homme... et contre l'argent de cette bourse!
Il désigna la petite besace pendu à la ceinture du plus grand des hommes.
" Tu plaisantes, j'espère ! s'esclaffa son propriétaire, le plus grand d'entre eux. C'est déséquilibré."
- C'est vrai, ses possessions ne valent rien, et mes anneaux valent bien plus que vos quelques pièces. Ce sont des reliques en or pur, des artefacts gravés ! Mais je me sens l'humeur joueuse ce soir...
- Tu mens. fit le balafré. Où est-ce que t'aurais dégoté un truc pareil?
- Disons que j'ai plus d'un tour dans ma manche, répliqua le jeune homme en croisant les bras sur la table. Alors?"
Ils échangèrent à nouveau un regard. Avaient-ils affaire à quelqu'un de leur profession? Il n'en avait pas l'air. Mais, confiant en leur adresse, l'esprit embué par les vapeurs éthyliques et avide d'or, ils acceptèrent.
Le troisième homme, dont le nez était tordu, se pencha vers leur nouveau concurrent.
"Le 4 21, tu connais? En une manche, continua-t-il lorsque le jeune homme acquiesça. Nous, on joue avec onze jetons, pas vingt-et-un. Les figures les plus fortes restent les même. Et tu dois gagner contre nous trois pour récupérer tout ça. Si tu perds à un seul moment, la partie s'arrête pour toi.
- Parfait! fit le jeune homme d'une voix rendue exubérante par l'alcool. Dans ce cas, je commence!
Il se saisit des dés qui trônait au milieu de la table avant de se retourner au passage d'une serveuse.
- Une demoiselle pour me porter chance?"
Il était de tradition qu'une femme souffle sur les dés de son champion pour lui apporter le vent de la fortune. Il tendit les dés à la serveuse, qui l'ignora. Il ne s'en offusqua qu'à peine.
" Rabat-joie, va. Je vais me porter chance moi-même, alors."
Prononçant trois mots si bas que personne ne l'entendit, il souffla sur les dés.
"Je demande...un 4 21!"
Les dés dégringolèrent de sa paume et vinrent rouler vivement sur la table, suivis des yeux de toute l'assistance, traversant le bois à toute vitesse avant de ralentir et de s'arrêter sur trois 6.
" Aww... pas de chance, soupira le jeune homme. Mais bon, ça fera l'affaire aussi.
- T'es un petit veinard, toi!" ricana le plus grand en jetant les dés à son tour.
Une nouvelle fois, le garçon souffla quelques mots entre ses dents, fixant intensément les dés. Le bandit les fit rouler. 2,2 et 1.
" Comme c'est dommage! Toi, par contre, ça n'a pas l'air d'être ton jour! "
Le bandit serra les dents, agacé par ses fanfaronnades. Sous la table, son frère lui fit signe et une étincelle méchante s'alluma dans son regard.
- Ah! Ne croit pas que c'est comme ça que tu vas m'avoir! C'est que six jetons que tu me refiles, dit-il avec de grands gestes pour détourner l'attention de sa jeune victime. C'est un jeu de hasard!"
Et pour montrer qu'il était confiant, il vida sa chope d'un trait et s'essuya avec sa manche défiant d'un signe de tête le jeune homme à faire de même. Erden n'hésita pas un instant après quelques gorgée reposa sa son tour son verre vide sur la table.
Le balafré joua à son tour, un score faible, mais pas assez pour avoir à prendre les jetons.
Il jeta les dés, et aussitôt le regard du jeune homme se fit plus perçant alors qu'il scrutait les dés. Ceux-ci atterrirent sur un 4 21, la plus forte figure, qui valait 8 jetons.
- Je vois que la chance a tourné, gamin!
- Ouais, je vois ça! À moi!"
Il s'empara des dés d'un geste vif et les porta à lui. Au regard inquiet des trois brigands, il comprit très vite qu'il ne s'était pas trompé.
- C'est à moi de jouer, petit con! J'AI fait le plus petit score ! s'écria le balafré en lui retirant les dés d'un geste brusque.
-Pas la peine de s'énerver!" répondit le jeune homme, levant les yeux au ciel d'un air excessif pour lui faciliter la tâche.
La partie continua, et bientôt il ne restait plus qu'Erden et le balafré. Les coups s'enchaînaient très vite, mais bizarrement, il y avait beaucoup plus de 4 21 du côté du bandit. Erden se retrouva acculé. Il avait 8 jetons, et le bandit en avait 3. Le bandit jeta les dés et hurla, victorieux:
"4 21 !"
La salle explosa dans un éclat de rire, ravie de voir une si belle partie. Aussitôt, Erden saisit les dés avant que le bandit ne puisse les récupérer et se leva de son siège d'un air dramatique. Pour ce lancer décisif, il n'y avait qu'une seule combinaison qui pouvait encore l'empêcher de perdre.
"De l'aide, mesdemoiselles! Vous n'allez pas laisser un pauvre jeune homme se débattre ainsi avec sa fortune!
-C'est toi qui a voulu jouer avec eux!" répliqua quelqu'un.
Erden soupira et lança les dés ignorant l'expression tendue de son adversaire. Les cubes roulèrent sur la table et atterrirent à nouveau sur un 4 21! Tout allait donc se jouer sur leur prochain et dernier tour. Erden s'exclama, faussement surpris
-Ça alors! La chance est de mon côté!"
Il récupéra à nouveau les dés avant que le balafré ne les récupère, malgré la vivacité de ce dernier, qui commençait à suer à grosses gouttes.
"Pour ce qui est ou pour ce qui vient? demanda le jeune homme, une lueur amusée dans le regard.
-Pour ce qui est, répondit le balafré sans hésiter, et la foule l'acclama. À moi de jouer !
L'homme essaya de récupérer les dés mais Erden s'esquiva.
-Eh nan, vous savez bien que c'est toujours mon tour!"
Il fit son lancer, et au moment où ils atterrissaient encore sur 4 21, il s'empara de l'un d'eux, alors que l'homme abattait littéralement sa main sur les deux autres dans l'espoir de les récupérer.
-C'est fou, quand même, ils sont vachement sales!" s'offusqua Erden.
Il frotta le dés, et souffla dessus, avant de le rendre à son propriétaire. Celui-ci eut un sourire tendu, et lança les dés. 4,2 et...3.
-Une tierce, belle défense." fit remarquer Erden et prenant les jetons dans son poings pour les laisser tomber sur la table
Les trois bandits ouvrirent des yeux ronds, bouche bée. Comment cette crapule avait-elle réussi un coup pareil ? Le jeune homme ne prit pas le temps de savourer sa victoire et rassembla son pactole dans son sac, excessivement enjoué.
-Voilà, voilà, j'ai gagné! Tenez, vieil homme, dit-il en s'emparant du sac pour le donner à son juste propriétaire, prenez vos affaires et partez! L'argent est plus léger quand il est durement gagné. Et je vous prends ceci." ajouta-t-il s'emparant de la bourse des trois bandits qui relançaient les dés avec frénésie, trop stupéfaits pour réclamer une revanche.
"Sur ce, au plaisir de ne jamais vous revoir!
-Attends une minute !" beugla le plus grand des brigands.
Erden se figea sur le pas de la porte, la main sur la poignée. Une goutte de sueur froide coula sur sa nuque et il se retourna, les sourcils froncés.
"Quoi ?"
Le bandit au nez tordu le fixait d'un air mauvais.
"Oh, je vois ricana Erden. Vous ne voulez pas admettre que c'est bizarre que vous ayez perdu, parce que les dés étaient pipés. Qu'est-ce que vous voulez, ça arrive!
-Tu les a enchantés! hurla le balafré, qui serrait le dé défectueux dans son poing. T'es un magicien!
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