Chapitre 8
Reims
11 janvier 1916
Nous avons dressé le camp à l'écart de la ville. Mon commandant refuse toujours de quitter la position sans avoir reçu de nouveaux ordres au préalable. Cet acharnement borné pourrait causer notre perte mais le contredire serait peut-être encore pire. Nous sommes donc réduits à l'obéissance. Le jour, nous patrouillons dans les décombres toujours plus importants. Le soir, nous rentrons au camp aussi déboussolé qu'au matin. Tu serais surprise comment on apprend à s'habituer à tout. Les bombardements sont devenus courant autour de nous et c'est d'autant plus dangereux. Cette routine fait baisser notre vigilance et notre temps de réaction. Mais grâce à John, je n'ai jamais été aussi méfiant. Il est d'ailleurs temps pour moi de te raconter la suite de mon récit. Tu as le droit de savoir ce qui a suivi Lucile.
Les obus étaient presque sur nous. John est arrivé à point nommé pour me mettre à terre. Tout s'est passé à une vitesse telle que les évènements m'ont paru claire plusieurs jours après. Le choc contre le sol, l'explosion assourdissante, les flashs lumineux aveuglant, le souffle du vent et la poussière ont été un vrai supplice. Je ne savais pas comment j'avais survécu avant d'apercevoir John, les mains en l'air et le visage grimaçant. Devant moi, il puisait dans ses forces pour maintenir une sorte de bouclier orange afin de nous protéger. Après réflexion, c'était de la sorcellerie. Mais sur le moment, j'étais bien trop soulagé d'échapper à l'horreur du bombardement. Mon ami souffrait. Des gouttes de sueurs abondaient sur son front. Pourtant, il tenait bon. Il nous maintenait en vie et je lui en étais reconnaissant. Les questions viendraient après.
Finalement, le silence est revenu. L'atmosphère s'est dégagée et l'on parvenait à voir au travers de la fumée. John poussa un grognement et est tombé à genoux, laissant s'effriter l'étrange énergie dorée. La suie et la poussière sont brutalement venu nous entourer, nous plongeant dans l'enfer qu'on était parvenu à éviter. Sans un mot, je l'ai pris par le bras et l'ai soutenu jusqu'au campement. Les explications viendraient plus tard même si un millier d'interrogations me traversait l'esprit en attendant. A notre arrivée, mes compagnons se sont étonnés de nous voir. J'ai joué la carte de la prudence et m'en suis cantonné au strict nécessaire. A savoir : nous nous sommes abrités dans une maison, loin du point culminant de la déflagration. J'avais préparé toute une liste d'argument, prévoyant déjà les soupçons à notre encontre. Mais manifestement, je n'en ai pas eu besoin. Et c'était de nouveau grâce à mon ami. John exerçait une sorte de pouvoir de persuasion et je m'en apercevais seulement maintenant.
John s'est effondré sur un lit de camps et moi, j'ai attendu à ses côtés. Je ne savais pas quoi faire d'autre, en réalité. L'adrénaline commençait à me quitter et l'irréalité de ce qui venait de nous arriver me frappait de plein fouet. Sortir sans aucune égratignure d'un bombardement ? Il faudrait être fou pour y croire. A moins de l'avoir subi.
Mon attente avait pris fin par mon ami. Il m'a demandé une cigarette. J'ai repensé à notre première rencontre. Se pourrait-il que tout soit lié ? Après avoir lâché un premier nuage de fumée, John commença son récit. Je me rappelle comme j'étais suspendu à ses lèvres, assoiffé de connaissance, écoutant jusqu'au bout sans l'interrompre une seule fois. Et l'envie n'y manquait pas. Il m'a raconté son étrange pouvoir : celui d'exorciser les démons. Les démons existent et je n'en étais pas si étonné. A la guerre, on côtoie des démons chaque jour. Encore aujourd'hui, je le crois malgré toute ma raison qui me dicte le contraire. J'ai vue de mes propres yeux ce dont il était capable mais les fondations de l'existence ne sont pas des plus faciles à berner.
Il m'a confié être à la recherche du démon aux yeux rouges. Celui qui m'avait hanté il y a plusieurs semaines. Les derniers évènements se sont enchainés de telle sorte qu'il m'était complètement sorti de la tête. Mon ami a continué en m'expliquant que le démon se méfiait de sa présence mais qu'il était parvenu à lui tendre un piège. Il m'a affirmé être à deux doigts de le tuer mais que les obus l'ont distrait de sa tâche. Sa cible s'est enfuit et il est venu me sauver. Je lui en étaient reconnaissant, bien entendue cependant, si John n'était pas parvenu à l'exorciser alors ou était-il ?
Après ces explications, j'ai tout de suite voulu t'en faire part. Ne m'en veux pas. Tu es la seule en qui j'ai réellement confiance. La seule qui m'empêche de devenir fou. Mes forces me quittent peu à peu tu sais. Même sous le pouvoir de John, mon corps commence à me lâcher. J'ai parfois l'impression que mon état est bien plus préoccupant que durant ma période dans les tranchées. La faim, la soif, le froid. Oui. C'est ce dernier qui me faisait souffrir le plus. Il faisait nuit noire. Mon régiment dormait à poing fermé. John ronflait derrière. Et moi, je me trouvais près du feu, à t'écrire ces lignes. Le froid m'empêchait de fermer l'œil. Mon souffle formait de la bué, la chaleur des flammes ne m'atteignait pas. Oh Lucile je...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top