Chapitre 8 : Sauver ces malheureux (1)
- Grandfort ! Je me réjouie de vous retrouver enfin.
- Beauvey ? Ce...
Le jeune militaire affichait une mine particulièrement étonnée. Son ami revenait, mais cela faisait bien deux jours qu'il avait disparu ! Et sans eau ! Et, car ce n'était pas tout, dans un état des plus lamentable.
Le voyageur glissa de son mehari et s'affala sur le sable. En se penchant vers lui, Tarana vit qu'il ronflait déjà. Les yeux ouverts, égaré et fievreux, il gémissait, grinçait des dents, haletait et se retournait sur le sable. Déjà il dormait. Déjà épuisé, il délirait. En criant quelquefois deux mots vers le ciel. Deux mots... Deux cris ! Oh Dieu ! Et c'était tout. Et le murmure s'éteignait. Et le sommeil s'apaisait.
- Mais...! Soufflait Tarana surprise.
- Mais !
Les yeux humides, où perlaient une larme d'incompréhension et de stupeur. Beauvey dormit tout le jour. Délira tout le jour. Tout le jour, Tarana et Grandfort l'attendirent, marchant, songeant, rêvant. Mais silence ! Et le moindre de leur murmure était aussitôt happé par la chaleur du soleil. Un calme impressionnant reposait sur ce petit oasis abandonné.
Dans les heures où l'air devenait réellement irrespirable, Tarana sentit la moiteur couler de son front et crut perdre l'esprit. Elle se leva du coin d'ombre où elle était assise et voulut courir comme pour échapper à un étau qui l'emprisonnait. Elle soulevait ses voiles et les laissait filer dans le sillage de sa course. Elle fuyait vers l'horizon, en gémissant et criant. Puis elle s'effondra sur le sable en pleurant, à une centaine de mètres de l'oasis.
Grandfort qui l'avait observée courir, s'approcha alors et vint s'accroupir à ses côtés. Il souleva le rideau de cheveux pour remarquer un visage dévasté par les pleurs. Elle lui tourna le dos.
- Tarana...
Il se redressa pour la considérer de haut. Elle ne bougeait pas, le regard vers le lointain. Il se pinça les lèvres, embarrassé par ce comportement étranges et fronça ses sourcils en murmurant :
- Tarana...
- Ce désert me rend folle.
- Qu'est-ce qu'on va devenir ?
- Je ne sais pas. Viens ! Rentrons.
Et joignant le geste à la parole, elle se leva et revint vers l'oasis de son pas assuré et altier. Peu de temps après, Beauvey émergeait de son sommeil. Il avait ses yeux étrécis encore par la fatigue et la bouche pateuse. Il ferma les yeux très forts, en les rouvrant il était sûr de lui.
- Maintenant, il est temps que je vous conte mon périple. Comme vous le savez, j'ai d'abord éloigné nos deux soldats. Et je devais revenir aussitôt mais... J'ai fait un détour par Tamanssaret.
- Tamanssaret ?
- Oui, un message. Puis j'ai voulu repasser par le campement de la tribu. Tout n'était que ruine.
- Ruine ?
- Oui, un massacre. Alors, j'ai filé vous rejoindre.
- Mais... Et maintenant ?
- Ils sont prisonniers. Nous allons commencé notre résistance et les délivrer.
Aussitôt, l'intérêt de Grandfort fit briller deux lumières dans ses yeux et il se rapprocha. Beauvey lui sourit, heureux de susciter un tel engouement. On sortit cartes, compas, plans et équerres. Et l'on se pencha sur ces grandes feuilles.
- Tamanssaret, là. Le camp est ici. Les prisons, là. Cette maison appartient à un targui avec qui j'ai sympathisé du temps où... J'étais lieutenant. Vous remarquez qu'elle touche de près l'enceinte derrière laquelle sont les prisons.
- C'est exact.
- Nos visages sont connus. On ne peut espérer entrer sans être reconnu. Mais si nous envoyons mon homme...
Beauvey s'arrêta soudainement pour se concentrer sur ses pensées. Sa main vint tracer d'habiles cercles sur le sable tandis qu'il réfléchissait. Pendus à ses lèvres, ses deux compagnons attendaient la suite. Il préféra cependant garder le mystère et dit seulement :
- Et nous les libérerons. Alors commencera une nouvelle étape vers notre indépendance.
- C'est-à-dire ?
- Nous chercherons à allier toutes les tribus.
Tarana se leva gracieusement pour exécuter une jolie volte. En revenant, elle s'inclina et dit :
- Quand nous rendrons-nous dans le Hoggar ?
- Après cela. Tu nous serviras de guide, n'est-ce pas belle demoiselle ?
Elle battit des sourcils et sourit. Beauvey lui prit sa main pour y déposer un baiser.
- Vous êtes si belle que j'en perds mes mots.
- Quand partirons-nous, interrompit alors Grandfort soucieusement ?
- Eh bien... Nous n'avons plus rien d'autre à faire à In Ecker, alors allons-y ! Je... Je sais ce que vous penserez... Vous vous dites que nous nous ferons remarquer.
- Oui.
- Je... Pourtant je n'ai pas de solutions. Mais je vous fais confiance pour garder tête basse sans que l'on voit vos traits.
Après un petit geste hésitant et un pincement des lèvres, Beauvey prit la route, entraînant à sa suite ses deux compagnons. Il jeta un coup d'œil au ciel désespéremment bleu et luisant, en déglutissant. Il aimait ces paysages ocres et majestueux mais par moment cette uniformité le rendait fou. Les dunes où glissait le sable volatile, et les dunes où brillait un rayon de soleil ; les dunes où l'ombre rainée traçait sa courbe ondoyante et les dunes dorés où le frémissement d'un vague souffle de vent venait dessiner des formes arabesques et éphémères. En deux mots : c'était troublant.
Mais ces paysages enchanteurs ne parvenaient pas à susciter assez d'émotions pour tenir éveillé nos trois voyageurs. Bercés par le roulement de leurs mehara, ils sombrèrent dans un demi sommeil où, la bouche ouverte, les yeux à demis-clos et les épaules voûtées, ils se laissaient aller.
Leur pas tranquille les mena tout de même vers la ville alors que l'air se raffraichissait. Beauvey parut comprendre qu'il lui faudrait afficher une mine plus sûre. Il rabattit tout d'abord son burnou sur sa tête, regarda ses pieds et adopta une démarche rapide. Derrière lui, ses deux compagnons firent de même. Ils passèrent les portes sans trop de difficultés... Beauvey serrait les poings. Et déambulèrent dans les rues de l'allure des passants. Le jeune lieutenant pestait contre son habit bleu qui le faisait remarquer.
En passant devant le camp militaire, pourtant, les trois fugitifs sentirent leur cœur s'accélerer. Il ne suffisait pas de grand chose pour qu'on les reconaisse. Quelques regards en biais, vaguement curieux, les traversèrent. La tension grimpa en flèche. Un bref geste vers eux de la part du garde. Mais ce fut tout. La tension se relâcha chez les trois voyageurs.
Beauvey s'approcha d'une petite maison accolée aux remparts, pauvre et particulièrement petite. Il frappa et attendit. Le targui qui lui ouvrit eut un sursaut de stupeur :
- Vous ?
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