Chapitre 7 - Le soleil bleu (2)
- Lieutenant, ordonna froidement Vermet, dites à un des hommes de galoper au plus vite jusqu'à Tamenssaret et de revenir dans les deux heures qui suivent armés et nombreux. Disons une petite centaine.
Montbert déglutit et acquiesça sombrement. Quelques instants plus tard, un cavalier filait vers la ville. Et quant au petit groupe, il fit mine de s'en aller et s'écarta d'un ou deux kilomètres.
Vers midi, alors que la chaleur se faisait insoutenable, les soldats de Tamenssaret rejoignaient leur commandant. Dans la foulée, Vermet appelait ses principaux lieutenants dont Montbert pour leur expliquer la situation :
- Je veux donner une sérieuse leçon à cette fière tribu. Nos prisons sont vides... Remplissons-les ! Mettez en fuite les femmes, les enfants et capturez les hommes, surtout ceux qui vous paraissent importants. Tâchez de tuer le moins possible : si nous pouvons éviter le massacre, je préfererais. Puis nous ramenerons les prisonniers à Tamenssaret pour qu'ils servent d'otages avec les autres tribus.
- Mon commandant, l'interrompit Montbert, les autres tribus ne se font-elles pas la guerre entre elles ?
- Je pense surtout à faire flancher l'Amenokal.
Le lieutenant acquiesça. Vermet pinça ses lèvres quelques secondes avant de demander :
- Avez-vous tout compris ?
Et les autres opinèrent.
- Eh bien allons-y.
Aussitôt, tous sautèrent à cheval et s'élancèrent vers le campement de la tribu. En les voyant arriver à toute vitesse, les touareg s'effrayèrent. Comme Vermet s'y attendait, les femmes et les enfants prirent aussitôt la fuite ; et les hommes sautèrent sur leurs mehara. Les français tirèrent les premiers coups de fusils en l'air. Les montures se cabrèrent sous l'effroi. La tension montait sous l'horreur. Quelques coups de sabres... Le pire arriva !
Un coup de feu partit et vint frapper à mort l'un des soldats français. Un instant de stupeur... D'où venait que les touareg possédaient des armes à feu ? Absolument surpris, tous se tournèrent vers le commandant. Et Vermet avait les yeux brillants de colère. Il serra les dents et les points, comme pris par une colère dévastatrice. Il dit :
- Tous ceux que vous ne capturerez pas, tuez-les. Ils ont des fusils, Dieu sait comment ! Mais passez outre et vengez votre camarade.
Les cris redoublèrent soudainement et le bruit des armes à feu s'intensifia. Quelques hommes tombèrent à terre et finir foulés par les sabots des mehara ou des chevaux. Les traits se déformèrent sous l'effet de la haine et de la colère. Tout était rouge ou doré et tout était terreur. Mais l'armée française gagnait. Au prix de lourdes pertes, le massacre s'arrêta. Les touareg restants levèrent les mains en l'air, prisonniers. Sur le bord, l'Amghar reposait mort, presque méconnaissable. Triste chaos.
Alors le commandant ordonna le cesser-le-feu. Les combats avaient été prompts et sanglants et tous en ressortaient surpris par ce qu'ils venaient de subir. Les soldats français et les indigènes avaient une mine hébétée, un peu idiote. Mais le commandant, resté légèrement en retrait, gardait un air grave et soucieux. Et Montbert, accroupi sur le sable, pleurait ce sang versé. Tant d'horreur pour si peu, finalement. Il y avait de quoi devenir fou.
Tous prirent lentement le chemin du retour. Las, les mehara étaient fatigués. Les hommes, exténués et horrifiés, trainaient du pied. La caravane prit du retard. Le soleil tapait. Des mouches volaient. Et l'angoisse montait.
- Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous, nom de Dieu !
L'allure s'accelérait imperceptiblement. Le lieutenant criait toujours, angoissé... Dépêchez-vous ! Mais rien ne se passait et les hommes étaient près de s'écrouler... La caravane avançait.
Et quant au loin l'armée quittait les lieux, exténuée et lente, un homme approchait des ruines du campement, à dos de mehari. À la vue de ce désastre, il glissa de la bête et se mit à errer au milieu de ce carnage. À pas lents et mesurés, songeur et mélancolique, la gorge nouée, il marchait. Tranchant par son attitude paisible dans ces ruines.
Un léger vent se levait en balayant les débris du combat. On entendait son murmure souffler dans les voiles déchirées des vieilles tentes qui claquaient lamentablement.
Et le sable venait doucement recouvrir les corps mutilées dont le sang pourpre s'écoulait en sillons ténébreux. Une vague odeur pestilencielle qui s'en dégageait flottait sur ses décombres. Sans un murmure, sans un cri, ses êtres abandonnés exprimaient leur souffrance.
Les pas de l'homme bleu creusaient le sable et laissaient leurs traces indélibiles par un chemin sinueux. Beauvey repoussait d'une main ferme et tranquille les ruines qui empêchaient son passage. Il avançait comme un spectre invisible flotterait sur les nuées et les dernières fumées de l'horreur. Sa marche en devenait presque effrayante par sa lenteur et sa solennité.
Quant tout à coup, soit pris d'une révélation subite, soit pris d'un sentiment jaillissant, ce fantôme tomba à genoux dans un grand cri de douleur. Il leva les mains au ciel en laissant couler quelques grosses larmes amères. Le souffle hâché et les épaules tressautant au rythme de ses pleurs, il s'écria vers les nuées :
- Je hais la haine ! Oui, je l'abhorre au plus haut degré. Et ma vieille et tranquille naïveté ne comprend pas... Ne comprend pas ! Ne comprend pas comment le Mal peut venir tout envahir et submerger les plus purs. Mes vieux compagnons, mes chers et autrefois tendres compagnons d'arme, vous saviez, vous, que ce que vous faisiez étaient inhumains ? En êtiez-vous conscient ? Ou la folie de vos supérieurs et de votre sot idéal avait tout envahi ? Pourquoi...? Je demande à Dieu pourquoi les hommes frappent-ils de leur sang les naïfs et les purs ? Vous souillez les âmes nobles, aveugles arriérés ! Quelle horreur ! Quelle tyranie ! Mais quelle stupidité !
Essoufflé et tremblant, l'homme bleu se redressa et frappa de son pied la terre avec colère. Au même instant, un oiseau passa au-dessus de sa tête en criant de façon stridente. L'homme bleu se remit à marcher, d'abord énergiquement puis de plus en plus lentement. Et finalement, il se remit à voguer sur la marée ensablée. Fuyant, mehari en longe et le regard perdu vers le lointain.
Un dernier coup de théâtre se jouait à Tamenssaret. Rentrant dans son bureau et exténué, Vermet s'affaissa sur une chaise. En relevant lentement sa tête, il vit un petite lettre posée sur le bureau.
"Vous pouvez courir. Vous pouvez chercher. Mais vous ne trouverez pas. Vous ne parviendrez jamais à votre but car je serai là et je vous en empêcherai autant que je le peux. N'avez-vous pas honte de voler à ce peuple son identité ?
HB"
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