Chapitre 6 - Entrevues (1)
Beauvey arborait maintenant un air si sûr de lui que les deux soldats, tout intimidés, reculèrent un peu. Les deux militaires avaient pointé leurs pistolets sur le mehariste, mais en réalité ils étaient terrifiés. Beauvey fit un bref salut militaire avant de commencer à leur tourner le dos.
- Attendez ! S'écria le premier, épouvanté.
Le fugitif s'arrêta pour les observer longuement. Le second murmura :
- Où est la piste ?
Il leur fit simplement signe de le suivre et prit la route vers l'Ouest. Les trois soldats se taisaient dans un silence embarrassé. Qui était prisonnier ? Qui dominait ? En réalité, les restes de la hierarchie restait. Le lieutenant, du temps de son service, avait tant impressionné qu'on lui gardait encore un profond respect. Et lui, en ce moment-même, s'en amusait.
Les trois hommes parvinrent à la piste. On ne voyait personne. Sans doute avait-il remonté la route en un autre endroit que là où ils l'avaient traversée. Perdu, le premier soldat murmura :
- Mais où sont-ils ?
Et Beauvey comprit qu'ils avaient espéré sur leur soutien pour l'emprisonner. Il ne put retenir un geste de mépris et fit mine de s'en aller.
- Attends ! S'écria le soldat.
Le fugitif se retourna avec un geste d'étonnement. Il fronça des sourcils en attendant leur réaction.
- Lieutenant... Pourquoi ?
- Pourquoi j'ai fui ?
- Oui...
- Parce que les touareg méritent leur liberté et que je ne veux en aucun cas avoir le poids de leur massacre sur ma conscience.
- Je ne vous crois pas, lieutenant.
- Tu as commencé à me tutoyer, continue.
- Mais tu étais le plus intelligent ! Promis à une carrière absolument prodigieuse !
- Je sais.
- Tu... Tu sais ?
- Tamenssaret est dans cette direction. Ravi d'avoir pu discuter et peut-être à une prochaine fois !
- Mais...
Trop tard, l'homme bleu s'était déjà élancé sur une dune et fuyait vers le Nord.
- Je l'espère bien que nous nous reverrons, murmura le second soldat.
Et les deux cavaliers reprirent leur galop vers la ville, embarassés malgré tout par la scène qui venait de se passer. Ils atteignirent Tammenssaret dans la soirée et y pénétrèrent timidement. Leur crainte était justifiée : dès leur arrivée au camp, Montbert vint se planter devant eux, les bras croisés.
- J'attends vos explications.
Le ton n'était pas encore colérique, mais pas encore.
- Nous l'avons rattrapé, s'écria fièrement le premier !
- Mais il nous a réchappé...
- Nous avons pu lui parler !
- Mais il ne voulait rien dévoiler...
Intrigué, Montbert leur demanda de préciser. Le premier soldat répondit :
- Il a dit qu'il avait d'importantes affaires. Il a dit qu'il savait qu'il était le plus intelligent. Il a dit, il a surtout dit qu'il avait fui parce qu'il ne voulait pas avoir le poids du massacre des touareg sur sa conscience.
Et contre toute attente, le lieutenant Monbert éclata de rire. Un rire glacial. Et très vite il reprit son expression froide pour s'exclamer :
- Balivernes ! Un beau tissu de mensonges que voilà ! Beauvey a fui comme un lâche parce qu'il était amoureux ! Oubliez ces sottises et la prochaine fois tâchez de me le ramener ! Maintenant filez chez le commandant, je crois que lui aussi aura deux mots à vous dire, incapables !
Les deux soldats quittèrent prestement les lieux en affichant une mine terrifiée. Vermet, qui s'attendait à ce qu'ils revinssent avec Beauvey, ne put retenir sa colère et leur ordonna deux jours aux arrêts. Le sort semblait s'acharner sur ces pauvres malheureux.
Quant à Montbert, il vint lui aussi trouver son commandant. Mais alors qu'il aurait dû être vertement réprimandé, il ne reçut que des soupirs de Vermet :
- Je ne vous en tiens pas rigueur... Je sais que vous avez fait de votre mieux. Cet homme est un démon et j'ai dû sous-estimer ses capacités. Il s'en est fallu de peu que vos deux cavaliers ne se retournent contre nous.
- Si j'osais, mon commandant... Ce n'est pas lui le démon, c'est sa sorcière.
- Tarana ? Ainsi vous dites qu'elle est avec lui ?
- Avec eux, corrigea distraitement Montbert.
- Cette enchanteresse vous en fait voir de belles ! Mais nous avons besoin d'elle tandis que nos deux lieutenants en fuite... Eux ne sont que des déserteurs. Importants à retrouver, certes, parce qu'ils contestent notre autorité et sont susceptibles de pousser aux révoltes. Mais moindre par rapport au poids de Tarana. Une sorcière, peut-être, mais bondieusement précieuse !
- Que faire alors ?
- Je veux que vous me trouviez une petite escorte. Tous deux, nous irons parler à l'Amghar. Jusqu'ici, nous avons plutôt communiqué par la force, la violence... Voyons maintenant comment réussit la douceur.
- Et le contraste entre nos manières fortes et celles que nous utiliserons, mon commandant, n'en paraitra que plus doux.
- Vous avez tout compris. Tenez-vous prêt pour après-demain, entendu ?
- Entendu, mon commandant !
Montbert salua, arborant un grand sourire, et fit claquer ses talons. Vermet eut un regard attendri : il commençait à s'attacher à ce petit lieutenant un brin arrogant, brillant et preux. Il pensait à l'aider à faire carrière et avait déjà appelé en ce sens Alger. On lui avait dit qu'il y avait possibilité de lui donner une compagnie et le grade de capitaine. Le commandant s'en était tenu là, attendant le moment favorable pour lui donner cette promotion.
Montbert resta calme toute la journée du lendemain. Il chercha quelques hommes pour former l'escorte mais cela ne fut pas long. En revanche, il passa son après-midi penché sur des cartes à élaborer des stratégies. Il était seul dans sa chambre, mais à le voir parler tout seul on aurait pu le prendre pour un fou...
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