Après ses révélations, Vermet revint dans son bureau, soupirant. La convocation pour lundi le mettait mal à l'aise. Et ce fruit jeté... Pourquoi tout tournait-il soudain mal quand durant des années il n'avait eu que des succès ?

Et surtout... Surtout ! Pourquoi ce rappel à Alger ? Dissimulé entre deux "imbécile" mais y aurait-il une autre raison ?

Et qui prendra la direction temporaire du fort ?... Oh ! Tant de problématiques nouvelles quand Vermet extenué n'aspirait qu'au calme.

Le messager de la caravane devait repartir au lendemain. Il fallait s'assurer qu'il emportât tout pour le lieutenant et le capitaine.

Par rapport au fruit jeté, le commandant avait à rédiger un nouvel édit augmentant encore la peine encourrue pour manque de respect à l'égard de l'autorité.

Et puis dans six jours, c'était lundi. Alger était loin. Vermet devait partir demain.

Terrifié par tout ce qu'il avait à faire, il sonna rapidement la cloche pour appeler un obscur lieutenant à qui il s'était décidé à confier la garde du fort. Il n'avait confiance qu'en Montbert, donc à défaut du meilleur on prenait le pire.

***

- Le commandant Vermet est ici, monsieur.

Le général, aussi gouverneur du territoire algérien, ne réagit qu'à peine et se contenta d'acquiescer. L'homme se retira pour le laisser travailler...

Au bout de quelques secondes où il s'était plongé dans la lecture d'un dossier, le général soupira et reposa les documents sur son bureau en se promettant d'y revenir plus tard. Il attrapa la cloche, la fit tinter et se leva pour aller jeter un coup d'œil dans la glace et vérifier qu'il était présentable. La porte s'ouvrit.

- Général Lescaire, salua Vermet en entrant.

- Commandant, veuillez vous asseoir.

Le ton s'était fait dur soudain, mais non dénué de courtoisie. Troublé, Vermet obéit.

- Vous savez, reprit le général, que le territoire algérien tente de s'agrandir au sud et d'intégrer les tribus Kel Ahaggar à la France. Cette intégration était presque réussie et bien que la zone restât troublée, nous vous l'avions confiée. En quelques semaines, vous avez réduit tous nos efforts à néants.

- Les tribus Kel Ahaggar restent soumises, mon général. Mais à certaines conditions...

- Au diable ces conditions !

- Mon général, deux de mes lieutenants se sont rebellés et sont passés du côté des touareg. L'un a pris le commandement de toutes les forces rebelles et l'autre...

- Est parti à la conquête de Zerzura. Et alors ? J'espère que vous l'avez fait suivre ?

Vermet sursauta et ouvrit de grands yeux :

- Co... Comment savez-vous ? Ce... Cette histoire était pourtant... Restée secrète...

Le commandant mit du temps à se remettre de son étonnement. Et le général ne répondit rien, attendant simplement que la stupeur passe avant de poursuivre :

- Je croyais que vous et le commandant Faumont iraient au bout de cette révolte. Je suis déçu. Mais ce n'est pas pour cela que je vous ai appelé. Et ce motif cachait parfaitement la mission secrète que je vais vous demander.

Lescaire se leva, planta un regard ferme vers Vermet avant d'aller ouvrir une porte à l'arrière du bureau où il disparut quelques temps. En revenant, il était accompagné d'un grand touareg vêtu entièrement de blanc.

Aussitôt impressionné, le commandant se leva et vint saluer le nouvel arrivant.

- Moussa Ag Amastan, présenta le général. Commandant Vermet du fort de Tamanssaret. Votre mission, commandant, est de conduire l'Amenokal des Imenokalan à l'oued Tifirt. Vous aurez à le surveiller mais avec tous les honneurs dus à son rang. Vous passerez me voir dans mon bureau demain, une heure avant votre départ. C'est tout.

L'homme était vieux, plus vieux même que le général. Vermet salua et se retira. Mais lorsqu'il fut seul dans sa chambre d'hôtel, les questions vinrent danser dans sa tête.

Qui était cet Amenokal ? Il avait vaguement entendu parler du personnages... Un symbole parmis les touareg car il était au sommet de la hierarchie, qui tirait les ficelles de la révolte mais directement contre les politiques français à Alger.

Alors pourquoi se retirait-il à l'oued Tifirt ? Et qu'y avait-il là-bas ?

Ce personnage étrange, apparu derrière la forte personnalité du général... Oh ! Ce général pour qui le commandant avait tant de respect !

- Je crois que je l'ai toujours vu à Alger, gravissant rapidement les échelons de la hierarchie jusqu'à parvenir à ce poste de toute puissance, gouvernant une région plus grande que la métropole française. Le général Lescaire impressionne, il est vrai. Et que se passe-t-il dans ces bureaux algériens ?

Frissonnant et désireux de mieux comprendre, le commandant franchit le lendemain la porte du bureau du général. Celui-ci le fit asseoir mais resta debout :

- Commandant, vous êtes en droit de vous poser des questions et c'est pour cela que je vous ai fait venir. Qui est cet Amenokal ? Un prince, il aurait pu être roi. Héritier de la plus glorieuse dynastie touaregue.

Vermet, n'y connaissant rien en histoire algérienne, se taisait.

- Lorsque la France a cherché à annexer les tribus Kel Ahaggar qui vous ont donné du fil à retordre autour de Tamanssaret, il habitait Alger. De nombreuses suppliques lui sont parvenues, le priant de mener son combat, ici à Alger. Et je l'ai vu prendre en main la révolte jusqu'à mettre notre diplomatie en péril. Vous aviez vos affaires, j'avais les miennes. Habiles tacticiens, nous sommes parvenus à vaincre sa résistance et nous l'avons condamné à l'exil. La résistance de cette tribu ne se trouvait plus qu'autour de Tamanssaret. Et si je comprends bien... L'issue de cette résistance tient seulement en la découverte de Zerzura ?

- Oui mon général. Mais cet Amenokal ?

- J'y viens. Fatigué de combattre et vaincu, condamné à l'exil comme je viens de vous l'expliquer, il a accepté de se retirer à l'oued Tifirt. Vous connaissez ?

- Non mon général.

- Eh bien renseignez-vous un peu sur la culture du lieu... Car vous risquez d'apprendre de forts interressants renseignements.

------------------------------------------------------

Imenokalan : pluriel d'Amenokal

Je fais ici introduire deux personnages : l'Amenokal des Imenokalan et le général Lescaire. Ils auront leur importance et je vous laisse cogiter sur leur fonction dans l'histoire.

Comme vous le voyez, l'histoire commence à s'établir à une échelle plus grande. D'où ma mise en garde : Moussa Ag Amastan a bien existé et conduisit bien les révoltes des tribus Kel Ahaggar contre la France mais il fut leur Amenokal directement et non pas l'Amenokal des Imenokalan. Tout le reste est faux. Et le général Lescaire n'a tout bonnement jamais existé, à ma connaissance. Je crois qu'avec ça tout est à peu près dégrossi...

Et dites-moi ce que vous pensez de ce chapitre !!!!