Chapitre 16 - Siège (2)

- Quoi qu'il arrive, nous n'avons pas le choix. Il nous faudra tenter une sortie mais nous avons plus de chances de réussir si nous la préparons de notre mieux. Plusieurs idées pourraient nous sortir de ce siège et voyons un peu si Grandfort, seul, a pensé à parer à tout. Vous, j'attends vos suggestions.

Le commandant Vermet désigna les trois hommes et se cala un peu plus dans son fauteuil. L'un prit la parole :

- Nous n'avons jamais vu Grandfort mener avec faste quelque entreprise. C'est un homme qui se cache derrière des ordres ou derrière une forte personnalité. Autrefois, il suivait notre homme bleu. Maintenant que celui-ci est parti, il a certainement dû s'allier à une autre forte personnalité.

- Qui est ?

- L'Amenokal, mon commandant.

- Et vous pensez qu'il ne dirige pas tout ?

- Nous en sommes sûrs.

- Vous vous trompez. Passez au second point faible...

Après une hésitation, Vermet explicita ses propos :

- L'Amenokal est trop vieux et j'ai déjà vu Grandfort en meneur. C'était en situation de crise, il y a quelques années. Mais nous sommes aujourd'hui en situation de crise. Second point faible.

Un autre prit la parole :

- Quand bien même il commanderait, ce n'est pas un homme multitaches. Il est facilement débordé ou alors les entreprises accomplies dans le même temps ne sont que partiellement réussie.

- Ici je vous rejoins, opina Vermet. Que proposez-vous ?

- Si nous envoyons une attaque, il nous faudra diviser nos forces.

- Vous savez que nous manquons d'hommes.

- Sauf si, tout en protégeant notre retraite, nous envoyons régulièrement des petites piques pour les affaiblir.

- D'autres défauts à exploiter ?

- Les autres ne pouvaient être réutilisés. C'est tout pour nous trois.

- Bien, soupira Vermet. D'autres ont-ils pensé à une technique de combat ?

- Oui, mon commandant : percer le front en un endroit peu gardé et prendre à revers un autre campement.

- Mon commandant, nous pourrions même en profiter pour envoyer une petite escouade réparer le télégraphe et avertir In Salah de la situation.

- Demain, ordonna Vermet, je veux toutes les unités armés dans la cour. Notre réplique sera rapide et sanglante. Elle visera le Sud où les touareg sont les moins nombreux. Et nos trois plus rapides meharistes auront pour tâche de traverser le front et de réparer ce télégraphe OU rejoindre In Salah.

***

Cinq heures du matin. Grandfort fut appelé à la hâte par un targui alerte car on attaquait le Sud du blocus. Il partit sur le champ, emportant à sa suite une dizaine de touareg armés jusqu'aux dents des armes subtilisées lors des raids. Les touareg plus nombreux parvinrent à repousser l'attaque. Mais nul ne vit passer les trois meharistes.

L'attaque avait partiellement échoué. Vermet était bourru. Las, toutes les attaques suivantes échouèrent aussi lamentablement. Il prit d'une main de fer la ville et imposa un drastique rationnement. Comme le blocus de fer perdurait, Tamanssaret connut vite la famine et l'horreur. On était en état de siège...

***

- Mass Grandfort ? Il y a un soucis.

Le nouvel Amghar de la tribu libérée par l'homme bleu quelques semaines auparavant s'était approché de la tente du français avec inquiétude. Il sursauta lorsque ce dernier sortit sa tête de la tente avant de murmurer rapidement :

- Il y a un soucis, mass Grandfort.

Ce murmure décida l'ancien lieutenant à sortir tout à fait. Sursaut de frayeur !

Il avait ordonné de refouler les villageois qui viendraient les supplier de les laisser quitter le blocus. Trois semaines avaient passé depuis le début du siège et...

- Mass, mass... Laissez-nous passer ! Pitié, laissez-nous...

Des femmes, des enfants, des vieillards... Sales et maigres, à s'en déchirer le cœur. Impossible à décrire : ce n'était pas humain. Et Grandfort, bouche ouverte, bouleversé, et même atterré, dut prendre appui sur l'épaule de l'Amghar pour ne pas tomber. Il murmura d'une voix blanche :

- Dites-moi. Racontez-moi la ville...

- C'est des rats maintenant, gémit une voix grêle. Avant nous nous nourissions de maigres portions de blé et parfois d'un mince morceau caoutchouteux de viande. Maintenant c'est les rats, c'est la faim...

- Et que fait le commandant ?

- On dit qu'il boit, qu'il se saoule. Au moindre targui qui ne s'écarte pas assez vite de son chemin, ou de celui d'un blanc, il tire une balle et le tue. Couvre-feu, ville morte et sans activité. Faim ! Faim ! Laissez-nous passer, pitié !

- Les hommes meurent ?

- Par dizaine, tous les jours. Pitié !

Grandfort, dégoûté, se recula et leur tourna vivement le dos. Les Imgharen et l'Amenokal le rejoignirent avec anxiété. Il avait les yeux brillants de larmes contenues. Il s'écria :

- Mais si nous les laissons passer, nous perdons ! Pourquoi Vermet ne se rend-t-il pas ?

- Il boit. Il ne se rendra pas, mais mourra.

- Et pourquoi n'accepte-t-il pas la défaite ?

- Il doit avoir un espoir.

- Et quel ?

- Mass Grandfort, calmez-vous. Cette situation vous a ému et je conviens qu'elle était fort troublante. Vous tenez en vos mains le destin de ces femmes, de ces vieillards, de ces enfants rejetés par votre détestable commandant. Vous voulez sauver des vies mais si vous les libérez, si vous les soignez et que vous les aidez, Vermet saura utiliser ce sentiment de compassion à vos dépends. Triste, abominable politique car seul le rêche et constant masque de fer peut vous faire gagner une bataille. Si vous l'abandonnez, vous perdez tous les touareg qui vous suivent, et tout le Sahara.

- Et tout le Sahara.

Un ange passa.

- Ne pouvons-nous pas aider tout le monde ?

- Choisissez.

- Je choisis tout. Ordonnez à ces femmes de se taire quant au blé que nous leur passerons, sinon la riposte sera vive. Et demandez-leur de retourner dans la ville.

Regard de travers ou émerveillement... L'un des Imgharen obtempéra.

Mais Grandfort s'écria avec inquiétude :

- Vous ne savez donc pas ce qui empêche Vermet de déclarer la paix ?

- On... Mass Grandfort... On murmure que lors de la première attaque... Trois meharistes seraient passés et traverseraient le Sahara vers In Salah.

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