Chapitre 16 - Siège (1)
- Pliez les tentes. Rangez vos affaires. Prenez chacun une arme dans les sacs derrière moi. Chargez votre mehari. Rejoignez votre tribu. Et attendez le signal du départ... Pliez les tentes. Rangez...
La voix se fondait dans un brouhaha excité. Les touareg s'agitaient fébrilement avec un semblant d'excitation dans leurs gestes. Et Grandfort, au milieu, imperceptible, poursuivait sa litanie d'une voix puissante et ferme. La même voix grave, seul repère constant dans cet émoi général. L'Amenokal, à ses côtés, raide et sévère, paraissait se bercer de ce chant lancinant et autoritaire, tandis que grimpait en son cœur un fort sentiment de respect pour cette jeunesse directive.
Peu à peu, les tentes se pliaient, les mehara se chargeaient, les sacs d'armes se vidaient et les touareg se regroupaient derrière les deux principaux chefs. Les Imgharen vinrent les rejoindre et eux quatre fixèrent du regard une masse infinie, disciplinée et prête. Un spectacle extraordinaire dont Grandfort, jeune et si intrépide, ne se lassait pas. S'il avait sû ce qu'il deviendrait...!
- Nous sommes forts !
La foule répondit par un grand cri sauvage.
- Nous sommes décidés !
Le cri se répéta.
- Et nous voulons justice !
Grandfort gardait son poing en l'air, attendant pour reprendre la parole que les hurlements se soient tus.
- Les trois tribus se sépareront. Oubliez notre habituelle organisation du camp car tout sera bouleversé. Je demande aux femmes, aux enfants et aux vieillards de partir à l'oasis sur le bord de la frontière avec le Tanezrouft. Les hommes de l'Amenokal installeront un campement au nord de Tamanssaret. Les hommes des deux autres Imgharen choisiront leur place entre le sud-ouest et le sud-est de la ville. Les trois camps à distance respectable les uns des autres et plus de cinq cent mètres des remparts. Je vous demande d'intercepter tout échange commercial venant de l'extérieur ou de l'intérieur. Toute sortie armées de la ville sera vivement réprimée au fil de la baillonette et au sabre. Mais aux suppliques des villageois, vous répondrez avec calme et fermeté. Je me tiendrais dans le camp de l'Amenokal et tout ordre, tout conseil viendra du nord de la ville. Le siège de Tamanssaret commence aujourd'hui, alors que vos mines rayonnent, que vos armes scintillent et que votre port soit bombé par la fierté de défendre votre liberté, vos tribus, vos valeurs et votre histoire !
La fin du discours, criée, s'était confondue avec le hurlement qui arrivait en réponse à ses fortes paroles. Les touareg étaient désormais prêts pour le combat.
Et leur pas s'engageait sur le sable qui conduisait vers la ville. La machine s'ébranla et ne s'arrêta qu'une fois que les remparts furent en vue. Une sorte de crainte saisit alors le convoi et les premiers reculèrent d'un pas. La foule exaltant les sens, leur marche reprit. Les camps s'élevèrent. Les touareg prirent place tout autour de la ville.
Et au soir, un soldat courut des remparts jusqu'au camp militaire pour avertir le commandant Vermet que...
- La ville est assiegée, mon commandant. Les touareg nous encerclent.
Et la nouvelle, par trop extraordinaire, fit le tour de la ville en quelques heures et effraya la population.
Quelques uns incrédules se massèrent sur les remparts pour observer ce phénomène. Certains se hasardèrent au seuil des larges portes sans oser sortir. Mais la plupart vinrent récriminer contre le commandant aux grilles du camp militaire. Et cet affolement gagna l'armée française.
Au mess, Vermet vint tenir un conseil extraordinaire où étaient conviés tous les officiers. L'ambiance de la salle s'échauffa extrêmement vite et on entendit crier de tous les côtés.
- Vous saviez que les touareg allaient venir ! Nous aurions pu les attaquer quand ils étaient en chemin et non maintenant qu'ils sont installés et prêts à nous recevoir.
- Ils sont plus nombreux que nous, que voulez-vous que nous fassions ?
- Il faut jeter hors de la ville tous les touareg déjà sédentarisés. Il y a sans doute bon nombre de traître en leur rang.
- Es-tu fou ? Nous nous battons pour qu'ils se sédentarisent. Si nous les chassons, c'est comme si tout ce que nous avions accompli jusqu'ici était à jeter à la poubelle ! Mais interrogeons-les, torturons-les...
- Oh toi avec des idées sanglantes... Envoyons simplement toutes nos forces les combattre.
- Ils nous écrabouillerons, nous sommes bien moins nombreux. N'avez-vous tous donc que des idées stupides ?
- Stop !
Vermet s'était redressé de la table où il écoutait tout avec stupeur. Sa voix résonna longuement dans le mess, portée par le silence soudain.
Il vint faire quelques pas, lents, solennels et un brin fatigué, au milieu des officiers. On s'écartait hâtivement sur son passage. Le cœur battant. Il se mit à parler.
- Pourquoi vous ai-je fait appeler, d'après vous ? Pour que vous laissiez l'angoisse vous gagnez à son tour ? Nous en avons assez d'une ville et d'une caserne entièrement terrorisées. J'espérais de vous un peu plus de dignité. Vous êtes l'élite, j'attends vos illuminations.
Il fit une brève pause avant de reprendre :
- Qu'avons-nous sur les bras ? Une émeute des trois plus grosses tribus de la région. C'est effrayant ? J'en conviens. Mais ayez un peu de jugeote par pitié... Qui dirige tout ce beau monde ? Hein ? Un gars que vous connaissez tous très bien, qui fut votre ami, votre camarade, un gars empli de faiblesses et vous les connaissez. Je veux à l'instant-même que trois hommes se proposent pour réfléchir sur les tactiques à opter qui prennent appui sur ses faiblesses.
Après une hésitation, trois hommes sortirent de la foule. Vermet acquiesça, avant de poursuivre :
- Et, bougres d'idiots, je suis mille fois surpris que pas un d'entre vous n'ait songé au moyen le plus simple et le plus évident pour se débarasser d'eux. Que vous apprend-t-on à Saint-Cyr ? Les cocottes en papier ?
Blêmissement.
- Qui parmi vous a songé à télégrapher In Salah pour prendre les touareg à revers ?
Gêne générale. Des murmures. Des hésitations. Des regards désespérés. Et une voix, plus ferme que les autres, qui déclare avec angoisse :
- Mon commandant... Nous n'avons pas envisagé cette éventualité car... Les touareg ont aussi coupé le télégraphe. Nous... Nous sommes coupés du monde.
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