Chapitre 15 - Les gorges du Hoggar (1)

Les regards rivés vers cette ombre dans le lointain qui sortait lentement de la brume, à chaque pas. Il semblait que rien d'autre n'agitât leurs pensées. Le Hoggar comme un rêve qui se concrétisait, ou une énigme qui touchait à sa fin.

Tarana s'était glissée entre les bras forts et réconfortants de l'homme bleu. Elle fixait, elle aussi, les hautes montagnes et songeait qu'elle était de retour. Sa maison.

- C'est comme si vous voliez mon enfance.

- N'as-tu pas donné ton accord ?

- Je n'avais pas compris que vous me voliez mon enfance.

- Mais nous ne la volons pas. Nous ne resterons pas longtemps.

- Quand nous atteindrons les montagnes, je...

- Tu ?

- Rien. Pourquoi est-ce que c'est si lent ?

- Le désert.

- Il n'a jamais été aussi long.

- Tu es impatiente.

- Peut-être. Et toi ? Est-ce que tu m'aimes ?

- Peut-être.

Il lui sourit moqueur, mais elle était sérieuse. Alors il ajouta gravement :

- Oui.

Et ce fut tout. Tarana pinça ses lèvres en méditant ce simple "oui". Il ne lui en fallait pas plus pour qu'elle divague et divague des heures durant. Elle se sentait heureuse parce qu'on l'aimait. Elle souriait béatement, sans penser à rien d'autre qu'à ce " oui".

Mais quand elle sortit de sa rêverie, qui lui avait parut aussi longue qu'intense, elle crut que les montagnes ne s'étaient toujours pas rapprochés d'un milimètre.

- Y-a-t-il longtemps que nous sommes partis ? Questionna-t-elle avidement.

- Bientôt trois heures.

- Et en trois heures, on n'avance pas ?

- Tarana, tu es étrange. Nul ne connait mieux que toi ce coin de désert et tu es la première à t'étonner des distances !

- C'est que je suis impatiente !

Ce fut long mais vers la fin de la journée la caravane parvenait au pied des montagnes. On installa le campement au pied d'une source avant de se regrouper autour de la jolie targuia :

- Il nous faudra contourner ces deux montagnes par l'Est. Puis nous nous engouffrerons dans ces gorges et grimperons par une rampe qui se trouve par ici. D'ici, nous rejoindrons cette ligne de crète et nous la suivrons jusqu'à ce sommet.

- C'est long...

- Puis nous descendrons par une sente étroite avant d'arriver à un cirque où nous laisserons la caravane. La grotte se trouve dans ce cirque.

- Nous parviendrons au cirque, chargés comme nous le sommes ?

- Cela devrait se faire.

- Eh bien demain, à l'aube, nous partirons.

***

- Est-ce que nous arrivons ?

- Bientôt.

- C'est que la nuit tombe...

- Bientôt. Nous arriverons vers le milieu de la nuit et je vous promets repos et abondance.

L'ascension était raide et tous fatiguaient. La caravane traversait un étroit défilé entre deux pans de couloirs. Un peu plus haut, derrière un couloir escarpé, se trouvait l'objectif final. On tirait les mehara par la longe. On suait, pestait, grinçait des dents car la fatigue commençait à se faire insistante. Les touareg se retournaient quelquefois pour observer le chemin parcouru. La tentation de rester sur place et d'admirer ces beautés les envahissait alors, les amolissait et les troublait. Mais chaque fois le claquement sec et sauvage d'un fouet, le prompt éboulement de quelques pierres, le renâclement saccadé d'un mehari ou le gémissement d'un targui les sortaient de leur torpeur jusqu'à les faire tressaillir. Puis la marche reprenait longue et éreintante.

La nuit était tombée et couvrait les épaules des voyageurs d'un sombre et inquiétant manteau. Le pas régulier, les yeux rêveurs, le temps long, long, long... Mais pourquoi cette lenteur ? Et ce même ciel étoilé qui n'avançait pas, ces roches qui s'enfilaient à l'infini en abrupts méandres, ce calme presque oppressant, ce seul claquement régulier du pas des mehara...

L'homme bleu sursauta !

Ces yeux songeurs se muèrent soudainement, comme s'ils avaient été frappés par une idée, et se durcirent dans l'instant. Le chef de file se retourna pour jeter un coup d'œil en arrière avant de fixer de nouveau la route. Ce manège recommença plusieurs fois. L'homme bleu était nerveux, presque fébrile. Un cœur qui battait à rompre sous l'effet d'une terreur soudaine.

Tout à coup, ses regards accrochèrent le sommet d'un rocher et il parut se calmer. Il venait de prendre une décision.

- Gardez mon mehari, suivez Tarana, je vous rejoindrai dans la soirée.

Sans ajouter un mot de plus, il sauta à terre et grimpa lestement sur un arpent abrupt de la montagne. Leste, il avançait vite. Mais en bas, la maigre caravane s'était arrêtée pour l'observer avec un air incrédule et un peu niais. Ce comportement déroutait bizarrement.

- Faut-il envoyer quelqu'un le rejoindre ? Ou l'attendre avec ses affaires ? Demanda un targui.

- Non, murmura Tarana. Il a dit de poursuivre. Nous accrocherons son mehari à la suite de la caravane.

- C'est un homme étrange.

- Un homme ?

- Et qui le comprends ?!

- Continuons.

La caravane reprit son train tranquille, le cœur battant, les yeux équarquillés par l'incompréhension. Tout était comme un mauvais rêve, flou, incompréhensible, déroutant, mais mystérieusement captivant.

En haut filait la frêle silhouette roy de l'homme bleu. Et bientôt il fut hors de vue, dissimulé derrière plusieurs roches.

Il commençait à s'essouffler. Ses mains fortes agrippaient les prises et le poussaient d'une forte secousse toujours plus haut. Mais son souffle se faisait irrégulier et son cœur battait si fort... Qu'il dut s'arrêter.

L'ascension était devenue une véritable escalade, tant ce rocher était raide. Ses pieds battaient les roches en recherchant quelques prises à la recherche d'un appui où il aurait pu s'appuyer en toute sûreté. Et tout le poids de son corps reposait sur ses deux bras, muscles bandés. Il trouva une fine interstice où il put glisser un pied et se retourna vers l'horizon.

Il n'était pas encore parvenu au point qu'il voulait atteindre, de sorte qu'une partie du paysage était obstruée par cet énorme rocher. Mais déjà une vue extraordinaire se préparait, souffle coupé !

L'interstice sembla se déchirer et l'homme bleu glissa légèrement. Cette circonstance le résolut à reprendre son escalade. Tête chaude, un peu de sueur, bras bandés et mains en feu. Mais le sommet du rocher était proche et en quelques mouvements il y parvint.

Un peu plus bas, il pouvait voir sa propre caravane et celle de Tamanssaret. Un éclaireur maintenait la liaison entre les deux groupes.

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Cirque désigne une vallée encerclée par des pics et l'où ne peut accéder que par un col.

Rampe est un sentier artificiel, sur une pente.

Ça ne fait pas partie du vocabulaire du désert mais je me suis dit que certain ne connaîtrait pas.

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