Chapitre 14 - Voyage (2)

Lorsque la chaleur fut la plus insistante, Tarana chercha son voile pour se couvrir la tête. Ces derniers jours avaient été frais, ce qui faisait qu'elle n'en avait point eu besoin. Aussi ne s'était-elle pas rendu compte que son châle avait disparu. Inquiète, elle fouilla par trois fois son sac mais ne le trouva pas. Elle sentit un sentiment d'effroi se déverser en son cœur et hésita à demander conseil à l'homme bleu. Mais non, on ne le dérangeait pas pour de pareilles futilités. Alors elle ne dit rien et poursuivit tranquillement, tâchant d'oublier un mal de tête croissant.

L'après-midi avançait et Tarana sentait ses forces fondre, son état empirer. Mais elle se fustigeait intérieurement :

- Idiote ! Tu vas très bien. Si le mal de tête persiste, alors tant pis tu demanderas de l'aide. Mais à présent tout va bien.

Un targui, étonné, la vit chanceler vers la fin de l'après-midi. Il amena prestement son mehari à côté de celui de la jeune fille et lui demanda :

- Ça va ?

Incapable de répondre, elle acquiesça.

- Mais tu es toute pâle ! Et où est ton châle ?

Elle haussa des épaules. Il devint rouge.

- As-tu donc passer l'après-midi sans voile ? Es-tu folle ! Prends mon chèche et ne joue plus avec ta vie.

Elle l'attrapa et sourit en remerciement mais le mal était fait et progressait. Tarana se sentait entrer dans une bizarre léthargie. Tout son corps s'était mis à trembler. Ses paupières tombaient. Elle croyait que son cœur brûlait follement et ne s'appartenait plus. Toutes les expressions de son visage amorphes, ternes. Sans vie dans ses yeux. Elle se laissait aller.

Cela commença par de petits vertiges et des mirages... Tarana s'était mise à trembler, mais presque imperceptiblement. Puis la sensation allait croissante et elle peinait de plus en plus à se tenir droite sur son mehari. Ses yeux hagards fouillaient l'horizon dans l'espoir de bientôt rencontrer un oued, ce qui signifirait un pause, et parfois croyaient voir émerger d'une brume fiévreuse deux ou trois palmiers. Son cœur faisait un bond et elle souriait fébrilement. Mais en se concentrant, elle constatait son erreur et retombait dans une forme de désespoir trainant.

Très vite, le mal de tête se fit plus persistant et sa gorge enflammée. Tarana se résolut alors à demander de l'aide mais sa voix cassée n'avait plus la force d'atteindre ses compagnons. Les mots retombaient, brisés, sans franchir le seuil qui la séparait du targui le plus proche. Et la jeune fille se crut perdue. Elle glissa à terre. Toutes ses sensations de brûlures vives étaient exactement les mêmes que ce jour où l'homme bleu la découvrit dans le Tanezrouft. Pourquoi ne voyait-on pas sa détresse ?

Les touareg se retrouvaient dans une sorte de brouillard vaporeux où leurs pensées tourbillonnaient en orbite autour d'eux. Mais ils ne percevaient rien de l'extérieur et avançaient par automatisme, bercés par le pas roulant et régulier des mehara. Aussi Tarana était déjà loin lorsque l'on se rendit compte que son mehari n'avait plus de cavalière.

- Mass ! S'écria Meltiti en trottant rapidement vers un homme bleu rêveur et le regard au loin dans l'horizon. Mass ! Tarana... Choûf, son mehari !

Le jeune homme sursauta imperceptiblement en constatant que le mehari était sans cavalière. Il comprit immédiatement ce qui était arrivé à la jeune fille et devint plus blême encore que sa blancheur naturelle. Simplement en levant sa main, il donna ordre à tous de s'arrêter et de l'attendre le temps qu'il reparte chercher Tarana. Il y eut des protestations : elle était sans doute loin et l'eau commençait à manquer. Mais Beauvey railla :

- Comment voulez-vous trouver la cachette du sage sans Tarana ?

Et sans ajouter un mot de plus, il mit sa monture au trot et fit demi-tour. En suivant les traces, il ne tarda pas à retrouver la jeune fille étendue sur le sable, son voile à moitié défait. Et si elle ne tenait pas jusqu'au prochain oasis ? Que feraient-ils ?

Il l'installa fébrilement devant lui sur le mehari et fit repartir l'animal. De temps en temps, il lui jetait un coup d'œil. Sa poitrine se soulevait de façon irrégulière en même temps que ses lèvres absolument desséchées cherchaient l'air. Ses yeux vitreux s'entrouvraient pour observer un ciel limpide, trop bleu, et se refermaient aussitôt pour ne plus voir le soleil. Mais ces quelques réactions rassuraient l'homme bleu sur l'état de la jeune targuia.

Dès qu'ils eurent rejoint les autres, le français leur fit signe de reprendre la marche. Mais ce n'était plus de l'allure tranquille coûtumière. Les mehara fatigaient et commençaient à ressentir la soif. Il ne restait qu'un fond d'outre que l'homme bleu réservait pour la jeune fille. Tout devenait difficile.

- Meltiti, appela le français. Sais-tu combien de temps il nous reste avant d'atteindre le prochain oasis ?

- Pas d'oasis, Mass, pas d'oasis. Mais il y a un puit pas très loin.

Le jeune homme jeta un regard derrière lui, frémit et murmura :

- Nous y passerons. Nous remplirons nos outres. Mais nous n'y resterons pas. Nous nous installerons plus loin, car ainsi nous serons plus discrets.

Il mordilla sa lèvre inférieure, comme hésitant après l'ordre qu'il venait de donner. Mais finalement intima au groupe de reprendre la route.

La caravane de l'armée française, conduite par Montbert et Albret, avait pris quelque retard. Elle avait vu au loin Beauvey seul avec Tarana et s'était arrêtée inquiète. Puis avec la nuit venue, les français avaient cherché un puit. Sans plus s'étonner de le trouver libre, ils s'y installèrent et y passèrent la nuit.

Devant eux, la caravane avait tout pour partir plus tôt que l'aube. Mais après maintes réfléxions, Beauvey n'ordonna de ne lever le camp qu'à l'aube. Nul ne se posa de questions car un autre sujet préoccupait bien plus : on approchait des montagnes du Hoggar.

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