Chapitre 13 - Sauver Tarana (1)
- Il faut agir et vite !
- Mais comment ? Ils sont forts, puissants, et nous sommes tous occupés par ce départ imminent pour In Ecker.
- Exact. Et je suis fort, intelligent, non occupé par ce départ imminent et je dois prouver que je suis digne d'être leur chef car nul ne me connait ici, disait l'homme bleu.
- Es-tu fou ! S'exclama son ami. Es-tu complètement fou ? Idiot ! Tu sors de captivité, tu es faible, admiré ici à tel point que si tu redevenais prisonnier, nous perdrions tout espoir...
- Et je connais Tamanssaret et je sais exactement comment récupérer Tarana.
- Comment ?
- C'est mon secret.
- Beauvey, mon ami...
- Ici, leurs louanges ne sont qu'un vernis qui recouvre une profonde méfiance. Comment veux-tu que je m'impose ? Moi qui ait créé ce mouvement. En me tournant les pouces ici ? Ne rie pas, s'il-te-plait. Ne rie pas.
Grandfort était sérieux. Il se mit à marcher, quittant la tente et vers le désert. Sa démarche était tranquille mais vive. Il avait le pas hésitant, qui tournait en laissant une marque plus grosse sur le sable. Tourmenté par des sentiments contradictoires... Il marchait souplement et songeusement. L'homme bleu le suivait.
- Mon ami, reprit doucement Grandfort. C'est toi qui commande... Et pourtant regarde-toi !
- Tu me trouves changé.
- Tu es épuisé, c'est tout.
- Non, il y a autre chose. La fatigue passe mais ce qui te tourmente est une chose pérrenne.
- Je t'assure qu'il n'y a rien.
- Puisque tu ne veux pas le dire, c'est moi qui vais t'expliquer ce que tu ressens. Tu te souviens que j'étais sage, audacieux, mais sage. Je réfléchissais longuement avant de prendre chaque décision. Cette sagesse est parti.
Grandfort voulut parler mais l'homme bleu l'interrompit d'un geste et poursuivit :
- Mais cela, c'est le moindre. Car autrefois je maîtrisais mes passions, aujourd'hui elles explosent. Tu as bien deviné, c'est la colère qui m'habite en cet instant même. La colère et... Autre chose. L'Amour.
À ce nom, Grandfort se retourna subitement vers son ami pour l'attraper par le col, d'un geste violent. Leurs regards se croisèrent et Grandfort fut surpris par l'apparente flegme de son ami. La lumière vive qui brillait dans ses yeux s'éteignit progressivement et il relâcha l'homme bleu.
- Tiens... Voilà une chose que je n'avais pas deviné, murmura Beauvey. Il y a donc aussi un peu de jalousie de ta part qui vient soupoudrer ce tableau.
- Tu...
Mais Grandfort ne dit rien de plus. Il serra fortement ses poings comme pour retenir une profonde colère. Mais il se tut. Beauvey plissa des yeux, attendant une réponse de sa part, mais finit par prendre une grosse respiration pour ajouter :
- Tu crois que ma gentillesse est partie, n'est-ce pas ? C'est faux. Je suis toujours bon, du moins je crois l'être. Mais je suis extenué. Il faut le temps pour que je retrouve mes réflexes et sentiments passés. Mais pour l'heure, je veux prouver ma vaillance. Alors écoute, je te fais confiance, je te cèderai tout-à-l'heure officiellement le commandement de la révolte. Quant à moi, je crois que je suis de trop dans cette organisation. Et je ne suis pas fait pour l'arrière. Je vais aller chercher Tarana à Tamanssaret, puis je partirai en direction du Hoggar, sur la piste de cet oasis oublié. Nous aurons ainsi un avantage immense et notre révolte sera gagnée. Les touareg auront leur liberté.
Grandfort se tourna enfin vers lui et acquiesça silencieusement. Ses traits s'étaient fait graves, presque mélancoliques. À tel point que Beauvey en fut surpris.
À l'heure du déjeuner qui était pris exceptionnellement tous ensemble, l'homme bleu se leva pour annoncer :
- Bonjour à tous ! Pour ceux qui ne me connaissent toujours pas, je suis l'homme bleu. Vous ne m'avez presque jamais vu car les événements se sont emparés de moi... Je vous ai créé la révolte car j'estime que votre peuple si noble ne peut vivre noblement sous le joug de nous, français, et pour d'autres raisons plus personnelles... J'ai aussi tenté de parlementer pour éviter cette guerre, en vain. J'ai cherché des armes pour que vous puissiez vous battre en toute égalité. Vous connaissiez tous ces actes mais vous ne me connaissiez pas. Me voilà !
On applaudit mais lui était ailleurs. Il dit encore :
- Mais je ne souhaite pas m'imposer de force. Votre organisation est déjà toute faite, sans moi, et je serai de trop. Aussi je laisse ma place à mon ami Grandfort, que vous connaissez déjà bien, et à notre Amenokal qui a déjà prouvé sa sagesse. Quant à moi, je repars sur le terrain. On nous a pris Tarana. On veut nous voler Zerzura. Je pars et je trouverai Zerzura. Alors vous aurez gagné.
Les applaudissements éclatèrent une fois encore. Tous les touareg se levèrent pour acclamer l'homme bleu. Mais celui-ci s'était rassis et n'écoutait pas. Il songeait. Nulle ovation n'atteignait son cœur songeur.
Cette fois, Grandfort, qui avait compris que son ami était retombé dans une mélancolie dévastatrice, se leva pour poursuivre le discours de l'homme bleu :
- Mais pour ces deux expéditions, nous avons besoin des dix meilleurs touareg de nos trois tribus. Chaque chef sélectionnera donc le meilleur pisteur et linguiste, ainsi que ses huit meilleurs guerriers. Je choisirai moi-même cet après-midi ceux qui seront dignes, parmi ces trente touareg, d'accompagner l'homme bleu.
Le repas était terminé.
L'après-midi fut dense pour Grandfort mais au soir tout était prêt. L'homme bleu grimpa sur un mehari, salua et s'en fut, suivi de dix meharistes. Le camp était démonté et les trois immenses tribus quittaient les lieux vers In Ecker. À Abalessa, il ne restait plus que le sable piétiné, de maigres pousses vertes et un châle blanc que le vent emportait... Le chèche de Tarana.
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