Chapitre 12 - L'homme bleu captif (1)
On avait apporté l'homme bleu dans l'hôpital où il avait immédiatement sombré dans un profond sommeil. Montbert avait demandé à ce qu'on le fouille. Sans succès : il n'avait rien sur lui. Puis le jeune lieutenant avait placé trois gardes en permanence. Il se méfiait sérieusement du prisonnier blessé.
Beauvey était inconscient maintenant. Un médecin s'approcha pour l'ausculter. Montbert s'était adossé au mur, bras croisé, et observait toute la scène d'un œil attentif.
Le toubib souleva le drap pour observer le torse nu du malade. Près de l'épaule, on pouvait appercevoir le trou de la balle, heureusement ressortie. Puis le médecin découvrit les jambes pour remarquer une autre blessure un peu plus grave au mollet. Il grimaça : ici il fallait extraire le plomp.
Il saisit un scalpel et fit signe à une petite infirmière dans un coin de s'approcher. Et l'opération commença, peu compliquée en réalité mais longue.
Beauvey gardait un air tranquille et rêveur : les yeux fermés, la bouche entrouverte et tout son corps détendu. Il paraissait dormir, hors du temps. Et soudainement Montbert lui envia cette tranquilité perpetuelle et cette assurance dans chaque épreuve.
"Même inconscient, blessé et prisonnier, il me nargue. Il me dit que je suis un raté et que lui a déjà tout dans sa vie. Que peut-il souhaiter de plus ? Je suis certain qu'il se moquerait de la Mort."
Beauvey fut soigné et le médecin donna l'ordre de quitter la pièce. Le jeune lieutenant hésita un instant à obéir car il se complaisait dans l'observation de son rival, mais obéit finalement. Et seuls restèrent trois gardes : deux devant la porte et un à veiller au chevet.
Montbert ne savait que faire... Son enquête devait attendre le réveil de l'homme bleu et il n'avait aucune autre affaire en cours. Impatient, il décida de se rendre en ville pour se dégourdir les pattes. Il allait doucement en retraçant dans son esprit pour la énième fois tout ce qu'il savait de Beauvey, c'est-à-dire peu de chose. Oui, Saint-Cyr et oui une mission diplomatique en Egypte. C'était tout. Désespéremment tout.
Perdu dans ses pensées, il ne voyait pas la foule autour de lui qui s'écartait peureusement en le reconnaissant. S'il avait pu voir la crainte qu'il inspirait, peut-être serait-il retourné vers un peu plus d'humanité.
Mais au fil de ses pas, il s'éloigna du centre-ville et se retrouva face au bouge où s'était trainé l'homme bleu ces derniers jours. On y voyait encore ses habits en paquet, salis par la poussière, les excréments d'animaux et le fumier entassés dans ce coin obscur. Effaré, Montbert se boucha le nez et s'écria :
- Comment a-t-il fait pour vivre ici ? Lui ! Et pourquoi ?
Il voulut s'avancer pour aller voir de plus près mais l'odeur le rebutait trop. Pour marquer son incompréhension et sa colère, il buta dans un sac d'immondice avant de tourner les talons.
En passant sur la place principale et devant le bureau de poste, Montbert eut l'idée, une forte intuition, d'aller vérifier s'il n'y avait pas de télégramme. Son instint ne le trompa pas et le sauva d'une situation fort complexe car le message, émanant d'Alger, était classé top secret.
"Sû que vous aviez l'homme bleu STOP Amenez-le en secret rapidement STOP Général Lescaire STOP"
Et le jeune lieutenant sentit son sang se glacer et toutes ses forces fondre. Il frissonna, le regard tremblant, et sortit en titubant du bureau avant de courir jusqu'au commandement.
La nouvelle surprit son supérieur et l'inquiéta au plus haut degré. Qu'Alger se mêle de cette affaire pouvait leur faire perdre tout contrôle. Vermet sentit sa gorge s'enrouer et il frappa du point la table, larmes de colère aux yeux...
- Mais comment puis-je exercer correctement mon rôle si l'État-Major m'interrompt tout le temps ! Et comment allons-nous l'emmener là-bas ? Il est aussi faible qu'un nouveau-né ! Bon Dieu, quelle affaire ! Mais Dieu quel embaras !
Il fit une pause, le visage soudain extrêmement dur, et s'adressa violemment à son subalterne :
- Évidemment vous conduirez l'expédition, lieutenant. Pas de fautes, sinon vous serez dégradés comme Beauvey et Grandfort.
Montbert déglutit, livide, et acquiesça. Il hésita quelques secondes avant de saluer maladroitement et de quitter rapidement la salle.
Secret ! Fichu secret ! Le jeune officier pestait en lui-même contre cette mission impossible qui lui tombait sur le nez. Il se trouva irrité et se mit à crier sur deux soldats pour leur ordonner de tout préparer pour le voyage.
- Secret ! Ridicule... Eh bien ! Nous ne serons que... Six soldats pour l'encadrer. Mais s'il s'échappe... Non, il ne s'échappera pas sinon j'en prendrai les frais.
Il ne fallut pas plus de trois heures pour préparer ce voyage. Et ils partirent. L'homme bleu malade et encore inconscient allongé dans les bras même d'un Montbert excédé, sur un solide mehari. La caravane avait une étrange allure en réalité. Elle trottait rapidement à travers le pur désert. Mais les nerfs étaient à vif. Très à vif.
Lentement, troublé par les cahotements irréguliers de l'animal, l'homme bleu reprenait conscience. La réalité apparut d'abord à travers de légers voiles effilés et des papillonements de cils. Et la brume se leva doucement, comme les rideaux d'un théâtre. Tout était confus, ténébreux, déroutant. Et les idées se remettaient à leur place... Jusqu'à ce que l'homme bleu comprennent tout à fait où il était et frémisse.
La première pensée qui lui vint à l'esprit fut qu'il était impératif qu'il ne bouge pas et reste couché. Mais en même temps, ces yeux rentrèrent en pleine activité pour noter tous les détails... Analyser... Il sentit son cœur s'accélerer brusquement et fut parcouru de légers tremblements. Mais nul ne le remarqua.
La caravane continuait son train-train lancinant, traversant d'épaisses falaises. Multiples cachettes... Beauvey prit une profonde inspiration, réunit ses forces. Et mit tout son cœur à sauter dans ce dédale.
Son cœur battait fort, il courait, affolé, téméraire, déterminé... Derrière, surpris et terrifiés, les soldats français sautèrent à terre et le poursuivirent dans ce dédale de roches.
- Arrêtez-le ! Cria au désespoir Montbert en butant contre un rocher.
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Est-ce qu'il va réussir à s'enfuir ? Que lui arrivera-t-il ?
Merci à vous tou(te)s !!!!!!!
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