Chapitre 10 : Pas de compromis (1)

- Vous ?

- Moi, sourit l'homme bleu.

- Vous voulez que je vous arrête ? C'est d'ailleurs ce que je vais faire... Êtes-vous inconscient ? Se jeter dans la gueule du loup ! Et... À quel prix ! Car vous êtiez dans le Tanezrouft voilà deux heures. Vous êtes donc un diable ?

- Un dieu.

- Lieutenant Beauvey, vous blasphémez ! Vous vous rendez ?

- Peut-être...

- Et pourquoi avoir fait tout ce cirque cet après-midi ?

L'homme bleu émit un léger rire et s'assit nonchalamment sur le divan. Sans répondre.

- Mais expliquez-vous, nom de Dieu !

- Vous blasphémez.

- Vous êtes étrange, lieutenant. Vous agissez bizarrement. Vous parlez par énigmes. Que dites-vous ?

- Je suis venu pour vous montrer que je ne vous crains pas.

- Quoi ? Qui est ce fou...? Murmura Montbert pour lui-même.

- En réalité, il y a autre chose. Mais j'aurais tout aussi bien pu vous le dire sur la route. Je voulais jouer.

- Un fou...

- Jouer.

- Eh bien dites ! Vous me rendrez fou à mon tour...

- Je voulais m'assurer de plusieurs choses... Nous avons Tarana. Nous sommes nombreux. En réalité, Tarana et Grandfort sont en train de réunir les principales tribus touaregues. Nous commençons une alliance : qu'allez-vous faire ?

- Vous m'excusez... Je vais appeler le commandant.

L'homme bleu plissa des yeux, suspicieux. Mais laissa échapper un léger sourire et acquiesça. Quelques instants plus tard, le jeune lieutenant revenait tremblant avec son commandant :

- Ce doit être un fou, un démon, murmura-t-il à l'oreille de son supérieur.

- Lieutenant ! S'exclama Vermet avec surprise. Vous... Vous...

- Je vous le répète : qu'allez-vous faire ? Je serais stupide de risquer des vies alors qu'un compromis est possible.

- Vous avez toujours été le plus intelligent. Vous brillez encore aujourd'hui mais quelle stupidité d'être venu ici ! Croyez-vous que nous vous laisserons repartir ?

- Nous verrons.

- Nous aurions pu communiquer par message.

- Oui.

- Bien. Mais venons-en au fait : si les tribus Kel Ahaggar persistent à refuser une totale soumission à l'autorité française... Nous les obligerons par la violence et en les divisant par des bases militaires, dont Zerzura. Nous voulons Zerzura : nous l'aurons.

- Qu'est-ce qui vous fait croire que vous avez de l'autorité sur eux ?

- Mais les nombreux raids militaires réussis, les otages faits, les négociations... Il y a longtemps que nous menons cette guerre contre ces dernières tribus, lieutenant. Vous ne vous souvenez pas ?

- Si. J'ai même eu quelques victoires moi-même, murmura Beauvey pensif. Pas de compromis ?

- Nous laissons les compromis aux lâches.

- Soit.

Les yeux de Beauvey brillèrent étrangement et il hocha lentement la tête. Il eut un bref instant de réflexion avant de préciser :

- Nous serons nombreux et organisés. Cela ne vous fait pas peur ?

-Lieutenant... Vous le savez, l'armée française possède des moyens supérieurs aux vôtres. Vous gâchez votre génie pour rien... Revenez donc dans nos rangs. Et pensez à votre femme en France ! Que dirait- elle ? Mais que dirait-elle !

- Ma femme ?

L'homme bleu eut un petit rire désabusé et parut soudainement mélancolique. Il hocha la tête pensivement et ajouta :

- Ce sera jugement de guerre pour Grandfort et moi ?

- Oui. Trahison à la Patrie. Très grave. Retour en France et prison ou exécution.

- Alors... Adieu commandant.

- Adieu ?

Vermet, soudainement rouge, se jeta sur une cloche et la fit sonner frénétiquement. Montbert voulut attraper le bras de Beauvey pour l'obliger à rester ici mais le jeune homme se dégagea d'un coup sec. Alors le commandant dégaina son pistolet et le mit en joue en précisant :

- Je n'hésiterai pas à tirer. Je préfère vous voir mort qu'en fuite.

- Quelle gentillesse ! J'en suis touché.

L'homme bleu leva les mains en l'air, en reculant insensiblement d'un pas vers la fenêtre. Il ne lui fallut qu'un bond en éclatant la vitre au passage. Le volet vola en éclat. Et les soldats entrant précipitemment dans la pièce ne virent que la fenêtre béante.

Blême, le commandant donna l'ordre à ses soldats de poursuivre l'homme bleu. Mais déjà, Montbert avait sauté aussi et le pourchassait vers les deux grands portes d'entrée en criant aux soldats paressant dans la cour :

- L'homme bleu ! L'homme bleu ! Attrapez-le !

Et le fugitif manqua plusieurs fois de se faire encercler. Il trébuchait. Son cœur battait à rompre. Il avait si peur ! On le visait. Une balle lui errafla l'épaule et il sentit sa tête lui tourner. Il allait succomber. Une balle dans le mollet. Il tomba à terre. On lui sauta dessus. Vermet intervint :

- Vivant.

On le souleva par les aisselles. Il n'avait plus de forces et se laissait aller comme un pantin. Mais au fond de ses yeux brillait une lueur emplie de détermination.

Une force au-dessus de toute nature qui le poussa à se dégager brusquement des deux bras qui l'étreignait et à s'enfuir vers la porte du campement. L'action avait été si soudaine que nul ne réagit et il put fuir en toute tranquilité. L'homme bleu avait disparu.

- Il a fui ?

- Le diable est parti rejoindre sa sorcière.

Le commandant s'avança jusqu'à Montbert et lui commanda de prévenir In Salah d'envoyer plus de renfort à Tamanssaret. Et il ajouta, d'un ton grave :

- Il me semble que nous l'avons mal jugé.

- Commandant, ses motivations initiales ne sont plus seules. Il est probable qu'il cache un secret.

- Sa femme ?

- Peut-être.

- Ou... Un second mystère ?

- Certainement. Désormais, il n'y a plus de lieutenant Beauvey. Il n'y a plus de lieutenant Grandfort. Nous avons affaire à deux déserteurs et nous les dégradons. Je ferai paraître un édit dans la ville. Malins comme ils sont, ils ne pourront le manquer.

- Bien commandant !

Montbert fit claquer ses bottes en effectuant le salut militaire. Tous les soldats présents autour suivirent le mouvement, rassurés de constater l'assurance de leurs supérieurs. Et cependant, derrière un masque froid, la hiérarchie tremblait, sentant l'agonie proche.

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L'homme bleu est blessé dans une ville ennemie... Pensez-vous qu'il s'en sortira ?

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