Chapitre 1 - Le fugitif (2)

Les soldats, montés sur leurs mehara, leurs uniformes couverts d'une fine couche de sable dorée, l'air fatigué et les traits desséchés, entrèrent lentement. Aucun de leurs gestes n'était empreint de vie et tout se faisait par automatisme. Ils semblaient sur le point de s'écrouler.

Le capitaine d'Albret conduisait l'espèce de caravane épuisée, en tête. Il avait le regard fixé sur son supérieur, mais absent. Le commandant accourut vers lui et lui tint la longe, la mine soucieuse. Il y avait de quoi s'inquiéter...

Les hommes partis la veille à l'aube auraient dû revenir au plus tôt au matin, un voyage de seulement vingt-quatre heures. Ainsi les soldats avaient passés plusieurs heures sans eau et à la plus chaude période de la journée. Ils revenaient dans un état lamentable, assoiffés et exténués. Que s'était-il passé ? Et... Pourquoi... ?

Vermet décida de retenir ses questions pour l'instant où tous se seraient reposés. Il aida son capitaine à descendre du mehari et le soutint jusqu'au mess. Les autres hommes se laissèrent tomber et se traînèrent à leur suite.

Étrangement et bien que ce ne fût pas habituel chez cet homme, Vermet se montra plein de prévenances pour son subalterne. Il le fit asseoir, lui apporta une citronade et le laissa émerger de sa léthargie tout en lui racontant la morte journée qui venait de se dérouler. Il paraissait désireux de le ménager, sans doute afin de pouvoir ensuite le questionner sur cette brève excursion.

Le capitaine Albret gardait un air las et détaché. Il reprenait quelque vie mais ne disait rien et buvait silencieusement sa citronade. Il avait dans son regard quelque chose d'effrayé, comme un petit enfant terrifié par ses parents. Il semblait reculer l'instant où il devrait tout conter à Vermet et en tremblait presque. Mais vint le moment où ses traits s'étaient rosis assez pour que son supérieur estimât qu'il pouvait l'interroger.

- Que s'est-il passé ? Attaqua de suite Vermet d'une voix dure et tranchante.

Le pauvre capitaine se recula dans son fauteuil et prit un air effaré. Il jeta un coup d'œil à l'extérieur en se demandant s'il pouvait encore fuir mais se rendant à l'évidence, il lacha du bout des lèvres :

- Il s'est enfui.

- Et vous êtiez nombreux à le poursuivre. Vous auriez pu l'encercler, envoyer des éclaireurs, que sais-je ! Mais vous aviez les moyens de le rattraper.

- Vous n'y êtes pas, sauf mon respect. Nous l'avons suivi aussi vite que nous le pouvions. Mais il est rusé. Il est un moment où nous avons perdu sa trace et lorsque nous l'avons retrouvé, il..

- Il ?

- Il fuyait par le Tanezrouft.

Vermet releva la tête pensivement. Il mit du temps à comprendre tout ce que cela impliquait. Mais au bout de quelques secondes éternelles, il plissa ses yeux et murmura :

- Donc il est mort.

- Mon commandant...? Si j'osais..
Vous parlez sûrement trop vite. Vous le connaissez : il sait se défendre. Il surprend, est plein d'imprévus.

- Nous l'avons assez vu. Et à nos dépends. Je me pose néanmoins une question : n'avez-vous pas chercher à le suivre ? Il serait tombé mort de soif et vous l'auriez ramassé.

D'Albret baissa les yeux et joua un instant avec son verre vide. Il cherchait les mots les plus justes pour expliquer sa faute.

- Certes. Et c'est ce que nous avons fait. En réalité, j'ai envoyé trois hommes.

- Trois ?

- Les meilleurs, et avec plusieurs mehara endurants et des réserves d'eau. Nous nous sommes postés près de l'oasis et nous les avons attendus. Ce matin, deux sont revenus. Le troisième avait tenu à poursuivre. Il avait gardé deux mehara et quelques réserves d'eau. Comme nous avions vos ordres et que nous étions particulièrement en retard nous sommes rentrés. La chaleur de cet après-midi nous a surpris mais je tenais à ce que nous arrivions au plus vite.

- Qui avez-vous abandonné ?

- Abandonné est un bien grand mot...

- Qui avez-vous abandonné ?

- Eh bien.. Le lieutenant Grandfort.

- Evidemment. Il fallait s'en douter.

- Vous pensez qu'il le retrouvera, qu'il nous le ramenera ou qu'il mourra ?

- Il le rejoindra.

- Parfait ! La mission sera remplie ! Se félicita d'Albret.

- Il sera avec lui. Grandfort est le meilleur ami de... Notre fuyard. Capitaine, Grandfort s'est mutiné et vous êtes un incapable ! Pourquoi diable n'ai-je que vous comme adjoint en cette province sauvage ?

- Commandant... Se défendit faiblement d'Albret surpris par ces dures paroles qui contrastaient avec l'attitude du chef quelques instants auparavant.

- Grandfort, donc. Soit ! S'il n'est pas de retour avant quatre jours, je lancerais un avis de recherche au commandement d'Alger pour avertir de sa disparition ou... de sa désertion. Maintenant, cher capitaine Albret, venez dans mon bureau. Je vais faire appeler le lieutenant Montbert car il est important qu'il reçoive sa punition.

- Ce qu'il fut sur le point de faire n'est pourtant pas si grave...

- Assez pour que notre fuyard intervienne tout de même.

- Son intervention ? Pff ! Une histoire de cœur, dites-vous bien ! Point de politique. Pensez-vous qu'il convienne de le mettre aux arrêts quelques jours ?

- C'est inévitable où tous pourraient se croire permis de faire de même. Mais ensuite, je l'enverrai en mission. Et nous verrons bien s'il saura se tirer d'affaire.

Montbert fut appelé et salua ses deux chefs militairement. Raide et le cœur battant d'anxieté, il attendait son jugement. En réalité, c'était un être fier et impulsif qui laissait trop souvent ses passions déborder. Aujourd'hui, il se doutait bien que deux jours auparavant il était allé trop loin : maintenant il devait payer pour ses forfaits.

- Montbert, vous êtes quelqu'un de sérieux et d'ardent. Et d'ardent. Je loue votre assiduité au travail mais je ne peux que déplorer les débordements que vous vous permettez quelquefois. Ici, vous avez presque dépassé la goutte de trop. Il serait fort dommage que je dusse vous renvoyer à Alger, n'est-ce pas ?

- Mon commandant.

- Et je ne compte pas le faire car vous restez malgré tout l'un de nos meilleurs meharistes, surtout après la fuite de Beauvey.

Il y eut un instant de flottement où les trois hommes frémirent. Ce nom sonnait déjà maudit.

- Montbert, reprit plus doucement Vermet. Ne croyez cependant pas que vous échapperez à votre punition. Vous avez été près de violer une jeune femme et vous vous êtes battu en duel. En réalité, Montbert, vous êtes presque aussi coupable que... Soit je tairai son nom cette fois-ci. Ainsi je vous mets quatre jours d'arrêt. Vous pouvez y aller.

Montbert salua une fois de plus, les yeux brillants de larmes retenus. Il semblait que le poids de sa faute lui pesât lourdement sur le cœur et pourtant il était de tempéramment fier. Il adressa un dernier long regard à ses deux supérieurs, chargé d'admiration et de dévouement. Puis il claqua des talons et disparut.

Vermet, une fois seul, resta longtemps songeur quant aux derniers événements qui avaient malmenés Tamanssaret. Tout d'abord ce duel, la fuite de Beauvey, la chasse par la garnison qui savait qu'il ne partait pas les mains vides, ce retour infructueux. Surtout, ce retour infructueux !

Ah on pouvait le dire ! La compagnie de meharistes n'étaient pas dans une douce position. Il semblait bien qu'une guerre allait éclater.

----

Mehariste : Je pense que ça se devine mais je donne quand même, c'est ceux qui montent les mehara. Le cavalier pour un cheval si vous préférez😉

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top