𝟚 | Prologue

An 2 de l'ère nobiliaire

« Je le jure, père, je vengerai le peuple de Nagarr. »

La femme s’agenouilla devant le lit d’un vieil homme. Le Seigneur de Môr-leidr avait la respiration désordonnée. Les ombres de la mort l’entouraient. Sa fin approchait. Bientôt, il ne serait plus.

Sa main fripée tapa le matelas. D’un geste étouffé, pourtant empli de l’autorité qui fut jadis la sienne, il ordonna à la femme d’approcher.

« Tu dois prêter serment…, dit-il d’une voix sifflante. Jure sur les jours perdus, Niamh… jure-le… »

La femme tressaillit. Un bref instant, elle hésita. Son cœur tambourinait contre sa cage thoracique. Il lui semblait qu’il tentait de s’extraire de sa poitrine pour se précipiter au sol. Si faible, ce cœur battant… Elle l’imagina qui tombait pour de vrai ; il s’écrasait par terre, palpitant, encore chaud et poisseux.

Elle respirait trop vite. Elle piétinait le cœur, encore et encore, le réduisait à néant, effaçait toute trace de faiblesse. Sans cœur, aucune affection. Juste le cerveau qui donnait les ordres et obéissait à son Seigneur et père.

Elle rouvrit des yeux noirs comme la nuit et pressa la main tremblotante du mourant.

« Je jure sur les jours perdus de Nagarr, dit-elle, les traits impassibles. Je vengerai notre peuple. La noblesse paiera pour le sang versé, pour nos cris et notre douleur. Elle paiera pour le vol de nos places, de nos rangs, de nos identités. Elle paiera pour nos morts et pour mon frère. »

Elle s’interrompit. Le cœur tentait encore de s’imposer, morcelé et détaché du corps. Il pulsait dans le vide. Il répétait le nom de son frère, le garçon de l’océan, si libre, cueillit par la mort comme une pomme arrachée à son arbre. Mais un mort ne l’empêcherait pas d’honorer son devoir.

Elle reprit la litanie.

« J’en appelle à Nagarr, le père, la mère, le tout. Divin Nagarr, atteste de mon serment. Je jure devant toi, et toi seul, que je ne connaîtrai nul repos tant que l'ère de la noblesse n'aura pas vu sa fin.

— Tu dois… », commença le vieil homme.

Sa phrase disparut dans une quinte de toux. Il cherchait un souffle erratique qui ne revenait pas. Niamh se mordit les lèvres et serra les doigts faibles. Elle percevait le battement cardiaque, de plus en plus ténu.

« Tu dois payer la dette de sang… »

Elle déglutit. Des larmes se coincèrent dans ses cils mais ne coulèrent pas. Elle hocha la tête et se redressa. Le Seigneur de Môr-leidr s’était figé. Elle se détourna.

Sur la table de nuit reposait une lame en argent.

Le poing fermé autour du manche, elle leva l’arme au-dessus de sa paume. Lorsque son sang coulerait, elle serait prisonnière de son serment. Rien ni personne ne pourrait la délier de cette promesse faite au prix de sa vie. Elle mourrait si elle s’écartait du chemin de la vengeance.

Elle planta la lame. Ses doigts se crispèrent malgré elle. La douleur irradia dans sa main, dans son poignet, remonta le long de son bras et envahit ses pensées. Elle s’obligea à canaliser son souffle. Le liquide chaud coula jusqu’au sol.

« Je le jure, dit-elle en contemplant son père au corps froid. Sur les jours perdus de Nagarr, je le jure. »

Ainsi débute L'Hiver hurlait dans un monde sourd

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Prochain chapitre : « Chapitre I - Celle qui hurlait à l'oreille du monde »

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