𝟙 | Chapitre XXVII - Celui qui protégeait
Margaret
Margaret se fraya un chemin parmi les convives. Priel s'agitait dans ses bras. Son cœur battait à toute allure, mais il ne criait plus. Margaret ne le lâchait pas. Tout va bien, répétait-il à voix basse.
Tout va bien.
Les visages curieux, désapprobateurs, se tournaient à son passage. Il bousculait les convives, presque, dans la précipitation. La sentence tombait comme un couperet. Les murmures étaient sans appel. On excluait Priel et ses manières, incapables de se tenir le jour le plus important de l'année.
Margaret n'y pensait pas. Il oubliait le bûcher et la Puissance. Il accéléra dès qu'il eût atteint le couloir. Priel pesait lourd. Il ne coopérait pas. Ses ongles lui rentraient dans le dos. Il abandonnait la lutte, ne bougeait plus.
Les mains tremblantes, l'assassin s'arrêta devant la porte de leurs appartements. La poignée lui glissa entre les doigts et il dut s'y prendre à plusieurs reprises pour parvenir à entrer.
Un courant d'air dont nul ne savait la provenance les accueillit.
Il aida le jeune homme à s'asseoir dans son fauteuil, tâtonna jusqu'à dénicher deux chandelles, les alluma. Le lustre, lui, resta éteint.Il prit un instant pour ranger ses bijoux dans sa chambre. Le cliquetis incessant ne faisait que le crisper davantage, et il lui fallait être le plus détendu possible pour s'occuper de Priel.
Alors qu'il enroulait un lourd collier doré sur sa commode, un cri retentit.
« N'approche pas ! »
Il se précipita dans l'autre pièce. La flammèche dansante ne suffisait pas à éclairer l'espace. Elle muait Priel en une silhouette d'encre affalée sur le sol, aux pieds de son siège. Il respirait fort et trop vite. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait à un rythme tout aussi rapide. Il inspirait sans expirer. Il s'asphyxiait, les yeux écarquillés, déments, le teint cadavérique. Il était figé dans l'horreur, la bouche ouverte pour chercher son souffle.
« Priel ? »
Margaret s'approcha à pas lents, les mains tendues, comme il le ferait avec un animal blessé. Priel ne réagit pas. Il tremblait de tous ses membres. Son regard ne quittait pas un coin de la pièce que la lueur des bougies n'atteignait pas, à quelques mètres.
Margaret s'accroupit et essaya d'effleurer l'épaule du jeune homme. Avant qu'il eût achevé son geste, celui-ci hurla et le repoussa avec violence. Il semblait frappé par une folie hors du commun. Il se traîna à l'écart et se roula en boule, les jambes contre le torse, les bras autour de la tête.
« Priel, vous êtes en sécurité. »
Incapable d'agir, Margaret l'observait, les bras ballants. Ses propres mains tressaillaient. Ses yeux allaient d'un coin à un autre de l'espace, cherchaient la nature de la panique incommensurable.
Mais on ne protégeait pas quelqu'un aux prises avec des démons invisibles.
« Dites-moi ce qu'il se passe, Priel, dit-il à voix basse.
— La femme en noir..., répondit-il à bout de souffle, elle est là... pitié... Elle est là... »
Il agita les bras et son poignet percuta le pied du fauteuil.
« Je suis là, Priel, dit Margaret en tentant de nouveau de l'approcher. Écoutez-moi, vous n'êtes pas seul. »
Il ne l'écoutait pas. Il se demandait même s'il entendait la moindre de ses paroles.
« Priel, regarde-moi », répéta-t-il avec plus de force.
Pour la première fois, le jeune homme parut se rendre compte de sa présence. La terreur déformait ses traits, mais il le regarda de la manière dont on regardait un sauveur. Margaret s'agenouilla et posa la main sur la sienne. Il était glacé.
« Serre ma main, dit-il avec délicatesse. Il n'y a personne d'autre que moi dans cette pièce. Fais-moi confiance. »
Priel ne le quittait pas des yeux. Il se cramponna à la main tendue. Ses pupilles dilatées se rétractèrent.
« C'est bien, tu es en sécurité. Tu vois ? Je ne suis pas la femme en noir. Passe tes bras autour de mon cou, je vais t'aider à te lever.
— Le feu, Margaret... c'est à cause d'elle, le feu... »
Vidé de ses forces, il bascula et s'effondra contre Margaret, qui referma les bras autour du corps secoué de frissons. Il caressa le dos humide de sueur. Priel retrouva peu à peu une respiration régulière. Une pour six battements de cœur. Ils ne bougèrent pas.
La cire de la bougie coulait sur le tapis. Margaret l'éteignit avant qu'elle ne déclenchât un incendie.
« Margaret ? »
Priel ferma les yeux dans les bras de l'homme. Sa voix avait à peine retentit, plus frêle qu'un murmure.
« Tu peux chanter ? »
Margaret sourit.
« Que veux-tu que je chante ?
— Les dieux dorment dans le ciel. »
Il hocha la tête et se râcla la gorge.
Il appréciait ce chant sans le comprendre tout à fait. Un voyageur le lui avait appris, des années plus tôt et il l'avait chéri pour ne jamais l'oublier.
Sa voix résonna dans l'accalmie de la pièce. Une voix grave dont il maîtrisait les intonations et les notes, qui n'avait plus de secrets pour lui. Il chantait comme il parlait, avec un mélange d'ironie et de franchise. Il autorisa son accent roulant à transparaître, lui qui l'avait éliminé de son élocution depuis son premier passage à Fülle.
Lorsqu'il se tut, Priel s'était endormi. Il écarta une mèche sombre en travers de son visage trop pâle et contempla les traits enfin détendus. On ne trouvait plus de trace de la terreur froide, si ce n'étaient les gouttelettes de sueurs perdues dans les cheveux. Il aurait tout aussi bien pu être un noble sans tourments perdu dans le monde des rêves.
En glissant la mèche derrière son oreille, Margaret sourit. Il méritait de plonger dans de beaux rêves. Plus beau que la réalité de Fülle, aux côtés d'un assassin, avec la mort comme seul désir.
Ce chapitre m'aura donné du fil à retordre... Raison pour laquelle il est très très court, d'ailleurs.
Prochain chapitre : « Chapitre XXVIII - Celui avec un bras étranger en travers du torse »
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