Les premiers flocons d'hiver pointaient leur nez, descendaient lentement en foule pour s'apposer sur le sol gelé, transformant les immensités terrestres en une plaine immaculée figée dans le temps.

Comme chaque année, les arbres avaient perdu leurs feuilles, les marmottes s'étaient paisiblement endormies, le thermomètre avait effectué sa chute sans aucune retenue et les galeries marchandes, déjà, s'emplissaient de jouets et de cadeaux. Leurs vitrines étaient pleines à craquer, pour la plus grande joie des enfants attendant impatiemment que le Père Noël arrive.

Comme chaque année, la boulangerie préparait ses bûches. Celle au chocolat évidemment, mais aussi le dessert glacé à la vanille et au caramel, et les traditionnels gâteaux imbibés d'alcool : il y en aurait pour tous les goûts. Les grands-parents, déjà, préparaient leur foyer pour accueillir dans les meilleures conditions l'ensemble de leur famille réunie en cette fête si spéciale.

Comme chaque année, les grandes chaînes de télévision nous jouaient la même musique lancinante. Les téléfilms sur l'amour et les fêtes s'enchaînaient, tant et si bien que la magie de Noël s'installait dans toutes les maisons dotées d'un poste.

Et comme chaque année, c'était le branle-bas de combat au sein des quartiers généraux d'Aidons-Nous. Décembre allait commencer ! Les enfants allaient bientôt dévaliser leurs calendriers de l'Avent ! L'heure était grave, il fallait vite mettre en place notre grande et fabuleuse Guirlande. Chaque année, elle faisait la fierté de la communauté ; chaque année, elle était fédératrice et iconique de nos activités. Alors, comme chaque année, nous, modérateurs, voulions vous proposer notre Guirlande millésimée.

Les réunions se passaient extraordinairement bien, la chose avançait à tout vitesse. Les bulbes de couleur étaient commandés auprès des lutins du Nord, qui faisaient un travail de précision, digne des plus grands artisans bulbiers. Le montage et la mise en électricité étaient effectués par les rennes. Loin de ce qu'on pouvait penser, ils étaient dotés d'une extrême habileté, et manipulaient avec dextérité les fils pour enfiler les bulbes.

Et pour finir ce collier de perles lumineuses aux couleurs de l’arc-en-ciel, les modérateurs avaient ajouté leur ingrédient secret. Beaucoup se demandaient, depuis la première édition, ce qu'ils pouvaient bien faire pour faire de cette guirlande LA Guirlande. Y mettaient-ils un grain de folie ? À moins que ça ne puisse être un peu d'imagination. Il n'était rien de ça. L'ingrédient secret, c'était leur passion, leur amour, qui les poussaient à s'investir pour la communauté.

Avec ça, LA Guirlande de 2023 était enfin prête. Il ne restait qu’à la dérouler et la mettre en place pour que tout le monde puisse l’admirer. Elle s’attachait aux lustres, se collait aux murs, s’entourait aux appliques, serpentait entre les tableaux tandis qu’elle se déployait dans tous les couloirs du siège d’Aidons-Nous. De douces lumières commençaient à s’étendre sur le sol et se superposaient pour créer de nouvelles couleurs toujours plus belles. Le résultat était fabuleux, dépassant toutes les attentes que l’on aurait pu avoir.

Tout était donc prêt pour accueillir les membres de la communauté.
Tout était donc prêt… si l’on omettait la venue impromptue d’un protagoniste un peu spécial… un antihéros.

Recruté en tant que stagiaire pour la période de Noël, Amaël avait, dès le début, paru ne pas vouloir œuvrer dans l'intérêt communautaire. Au lieu de commander les bulbes, il en avait vendu. Au lieu de les enfiler sur le câblage électrique, il les avait jetés.

Au lieu de poser la Guirlande, il avait pris la décision de la couper.

Peut-être aurions-nous pu le prévoir. Peut-être aurions-nous dû. Après tout, c'était bien connu que les bad boys stagiaires, fans des grands méchants, emo à leurs temps perdus et au passé chargé n’aimaient pas Noël. Le rouge vif du Père Noël était bien trop éloigné du noir galaxie de leurs vêtements. Et la joie, la convivialité, l'espérance, le partage… étaient autant de valeurs qui ne faisaient aucun écho à leur réalité monotone, teintée de solitude choisie et d’isolement social voulu.

Surtout, qu'importe les raisons qui avaient pu pousser Amaël à commettre cet acte destructeur, le mal était fait.

Sa cisaille avait déjà tranché les fils de la Guirlande. Lentement, une à une, les perles de verre chutèrent au sol. Cette pluie à l’éclat cristallin enveloppait tristement les couloirs au fur et à mesure que les bulbes se décrochaient. Et vite, le silence s’abattit sur les modérateurs abasourdis, désespérés devant la perte d’une telle merveille.

Mais le vide laissa place à l’infini courroux.

Ne pas aimer Noël ? Ce n'était pas un problème. Mais toucher à la Guirlande, c'était véritablement un crime de lèse-majesté. Sitôt Amaël convoqué devant le conseil exceptionnel des modérateurs, la sanction fut rapidement prononcée.

— Amaël ! Tu devras, pour excuser ton acte et purger ta peine, réparer d’ici Noël tous les dommages que tu as causés.

Il lui restait 23 jours, et la Guirlande était loin d'être la seule chose qu’il avait détruite. Il devait assumer.

*

{ Daemon_Heart, modérateur }