La Guirlande | 16 décembre
16 décembre
Adelphité
*
Dehors, la neige tombe. Bien au chaud, Amaël la regarde moucheter l’herbe, la télévision en arrière-plan. Un éclat de voix retentit, il lève la tête vers l’écran puis soupire : encore un film de Noël. Il change de chaîne, encore, et encore, puis éteint l’appareil. Dehors, la neige l’appelle. Alors, il enfile rapidement manteau, chaussures et gants, attrape ses clés, et rejoint la rue.
Le froid l’avale immédiatement, s’immisce dans ses vêtements, mais Amaël ne se démonte pas. Il choisit une direction au hasard et commence à marcher, partant à l’aventure. De temps à autre, il s’arrête, regarde autour de lui l’herbe les voitures les arbres, tous recouverts de blanc, et réprime un sourire.
Il avance, la tête dans les nuages, quand une musique au loin le sort de ses rêveries. Du métal. Amaël hausse un sourcil, puis, curieux tout de même, cherche à trouver d’où elle vient.
Le son se fait de plus en plus fort jusqu’à ce qu’il arrive devant une boutique, de laquelle émane une chaude lumière dorée. Des dizaines d’objets qui n’ont rien en commun sont entassés dans la vitrine pleine à craquer, entourés de quelques guirlandes de Noël, le tout créant un mélange étrangement chaleureux. Une fois la porte ouverte, la musique se fait encore plus assourdissante, si bien qu’Amaël porte ses mains à ses oreilles, par réflexe. Aussitôt, le volume diminue, et une voix retentit :
— Pardon, pardon, s’exclame quelqu’un, je ne pensais voir personne cet après-midi.
Une vieille dame apparaît de derrière un rayon. Cependant, elle n’a de la vieillesse que l’apparence : certes, ses cheveux sont gris et sa peau plissée, mais elle a l’énergie et la fébrilité d’une personne qui vient d’entrer dans la vie.
— Je peux y aller si je dérange, répond Amaël.
— Oh non, pas du tout, faites comme chez vous !
Sur ces mots, elle disparaît dans les allées. Amaël hausse les épaules : maintenant qu’il est là, autant faire un tour. Les premiers rayons débordent de décorations de Noël, il les dépasse sans y prêter attention. Il s’arrête face aux hautes bibliothèques d’ébène, remplies de livres organisés par ordre alphabétique. Son regard parcourt rapidement les noms, on y trouve de tout : des auteurs célèbres, des locaux, les nouveaux best-seller… Amaël tend la main vers un roman quand il entend quelque chose tomber à côté de lui. La gérante du magasin, qu’il n’avait pas remarquée, s’est accroupie pour ramasser plusieurs livres, étalés par terre. Amaël s’agenouille pour l’aider, regroupe quelques ouvrages, quand un nom attire son attention.
Sa gorge se serre, et Amaël lâche le livre. Le bruit de sa couverture qui claque sur le sol résonne dans toute la boutique.
— Eh bien, qu’est-ce qu’il vous a fait, ce livre ? plaisante la gérante en le reposant sur une étagère.
Elle se relève, tandis qu’Amaël reste accroupi quelques secondes de trop. Quand il croise le regard de la vieille dame, celle-ci hausse les sourcils.
— Rien, il m’a juste rappelé quelqu’un.
— Oh, vous connaissez l’auteur ?
— Non, hésite Amaël, enfin…
Il fixe à nouveau le nom affiché en capitales en bas de la couverture. Son nom. Le prénom de son frère. Mais ça ne pouvait pas être lui, si ? Leur patronyme était vraiment rare, ce serait une trop grosse coïncidence. Pas vrai ?
— C’est juste… Cette personne a le même prénom que mon frère, qui rêvait de devenir écrivain, alors...
— Vous ne savez pas si c’est lui ?
Amaël hoche la tête.
— Cela fait des années qu’on n’est plus en contact, je ne saurais même pas dire quand est-ce qu’on s’est parlé pour la dernière fois.
Menteur. Amaël regrette déjà ces mots. En vérité, Gaël avait déjà essayé. Plusieurs fois. Chaque année, il recevait un message d’anniversaire, ainsi qu’un pour chaque fête. Des photos aussi, parfois. Amaël n’avait jamais répondu. Et ce dernier SMS, il y a quelques semaines. Amaël esquisse un geste pour saisir son téléphone, mais il n’en a pas besoin, ces quelques lignes sont gravées dans sa mémoire :
« Salut Am, c’est encore moi.
Je ne sais même plus pourquoi je m’acharne à t’écrire, pourquoi je m’efforce d’entretenir ce rituel dénué de sens puisque de toute façon, tu ne me répondras pas.
Bien sûr, toi et moi n’avons pas eu une vie facile, mais j’ai toujours cru qu’une fois adultes, loin de tout ça, on pourrait se retrouver, toi et moi. Apparemment, j’étais le seul à y penser.
Toutefois, comme chaque année, je te propose de fêter Noël avec moi. Mon adresse n’a pas changé, enfin, si tu t’en souviens. Si tu ne viens pas, je ne t’embêterai plus jamais, je le promets. Je ne vais pas me casser la tête pour quelqu’un qui ne veut clairement pas de moi dans sa vie. Même ce message me semble ridicule, mais je me sentirais mal de ne pas l’écrire. Te prévenir que cette fois, ce serait la dernière.
Au revoir ou adieu, cela ne dépend que de toi.
Gaël. »
Amaël cligne plusieurs fois des yeux, pour faire fuir des larmes qui n’ont pas encore coulé. Il relève la tête et constate que l’expression de la vieille femme a changé. Ses yeux sont perdus dans le vague, lèvres dénuées de sourire. Immobile. Soudain, elle lui attrape la manche et l’entraîne dans la réserve. Surpris, Amaël n’oppose aucune résistance et la suit sans broncher. La gérante revient avec une photo sous verre, dans un cadre noir élégant. Deux jeunes femmes identiques sourient à la caméra.
— C’était ma sœur jumelle, commence la vieille dame. Amara. Elle comptait plus que tout au monde. Pourtant, la vie a frappé, et après une grosse dispute familiale, on ne s’est plus parlé. Ce n’est que quelques années plus tard que je me suis rendu compte de cette erreur, de la futilité de notre conflit. Je l’ai cherchée partout, et encore aujourd’hui, je n’ai aucune idée de ce qu’elle est devenue. Qu’est-ce qu’elle faisait dans la vie ? Est-ce qu’elle s’est mariée ? Est-elle encore en vie ?
Elle s’arrête, à bout de souffle. Amaël voit une larme briller sur sa joue.
— Je sais qu’elle aurait aimé cet endroit, reprend-elle finalement. Cette musique, ces allées… Elle aurait adoré. Ce n’était pas mon truc au début, mais j’ai tout organisé, pour elle, dans l’espoir qu’un jour elle passe cette porte et trouve tout ça. Me trouve, moi.
Amaël laisse le silence s’installer. Il ne sait jamais quoi dire.
— Mais toi, continue-t-elle, tu es encore jeune ! Je sais que je ne connais rien de votre histoire, mais il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Tu n’aurais pas été si bouleversé de voir son nom s’il ne te manquait pas, j’en suis sûre. Et puis, c’est bientôt Noël, n’est-ce pas à cette période que se produisent les miracles ?
Tout fuse dans sa tête, les arguments pour, contre, les scénarios, – y aller, ne pas y aller, répondre… Amaël hoche la tête, incapable d’en dire plus. La vieille dame l’imite, puis repart dans le magasin.
Au passage, Amaël saisit le peut-être-livre de son frère. Il l’achète et rentre chez lui. S’installe dans son fauteuil, puis, sans même prendre le temps d’enlever son manteau, commence sa lecture. Et c’est lui, c’est sûr, Amaël le reconnaît dès les premiers mots. Son cœur se gonfle de fierté et d’amertume, il ne peut pas rester là.
Alors il appelle un Uber, pour l’adresse qu’il connaît par cœur mais n’osait jamais dire à voix haute. Le trajet dure un peu moins d’une heure, durant laquelle Amaël devient de plus en plus agité, sa respiration s’affole, il ne sait pas ce qu’il fait mais il ne peut pas faire demi-tour.
Trois coups à la porte. Rien de plus banal, mais pour Amaël c’est déjà tant. Et le stress, qu’il pensait déjà à son paroxysme, continue de monter. Qu’est-ce que je dis ? Et s’il ne me reconnaît pas ? Et s’il avait changé d’avis ? Amaël s’assoit contre le mur et attend, le cœur battant.
Soudain, bruits métalliques. Amaël sursaute, la porte s’ouvre, un jeune homme sort de la maison, regarde devant lui.
— Bonjour ?
Confus, il baisse les yeux, et croise le regard d’Amaël pour la première fois, depuis des années. Ce dernier, ne sachant que faire, lui fait un bref signe de la main, le livre contre son manteau.
Alors, Gaël écarquille les yeux. Il ouvre la bouche, la referme, hésite, puis chuchote :
— Amaël ?
Paniqué, Amaël ne sait pas quoi répondre. « Oui » « Désolé » « Bonsoir », tant de choix possibles, quel est le bon ? Il baisse les yeux sur le livre qu’il tient, lève la tête vers son frère et répond :
— Je peux avoir une dédicace ?
Gaël hausse les sourcils et éclate de rire. Sa voix… Amaël en avait rêvé, mais rien ne pouvait égaler la réalité. Conscient qu’il est toujours par terre, il se relève, et son frère plonge immédiatement dans ses bras. Comme par magie, ce contact libère son cœur, et Amaël sait de nouveau respirer.
— Je suis désolé, chuchote-t-il.
— Je sais.
Et pendant que leur étreinte se prolongeait, une lueur bleu roi scintilla dans la poche d’Amaël, qui poursuivait son aventure pour la réparation de la guirlande.
*
{ ScarlettTheRose }
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