La Guirlande | 10 décembre
10 décembre
La tolérance
*
Amaël poussa la porte et prit une grande inspiration de l’air frais de la nuit. Il avait besoin de prendre un petit temps seul pour se détendre.
Par réflexe, il plongea sa main dans la poche de sa veste mais ses doigts ne rencontrèrent que le tissu rêche qui composait l’intérieur de son vêtement. Un soupir s’échappa de ses lèvres gercées alors qu’il se retournait vers la forêt enneigée non loin de l’endroit où il se trouvait. Évidemment, il n’avait aucune cigarette, et il avait peu d’espoir de pouvoir en emprunter à un·e Eidonnien·ne. Les souvenirs affluaient dans son esprit fatigué…
Seulement quelques années auparavant, il fumait sur les toits de sa petite ville avec lui. Bien des choses avaient changé depuis, et se remémorer cette période douloureuse ne fit que lui rappeler pourquoi il avait initialement cassé la guirlande. On lui avait prouvé que le bonheur disparaissait aussitôt qu’il était apparu, restant juste assez longtemps pour qu’il puisse s’y attacher et chuter encore plus fort. Son abandon, alors qu’il était plus vulnérable que jamais, avait inscrit dans sa chair que la tolérance et la douleur n’étaient que des appâts qui lui offriraient plus de douleur que de joies.
Pourtant, il ne parvenait pas à reconstruire la carapace de glace autour de son cœur qu’il avait lorsqu’il cassa la guirlande. Sa mémoire n’acceptait plus de se changer en arme qu’il utiliserait pour se protéger des autres, se protéger du bonheur, se protéger de lui-même. Il glissa ses doigts entre les bulbes nichés dans sa sacoche et poussa un long soupir. Il ne lui restait que les souvenirs piquants, la culpabilité et l’impression de n’être jamais assez.
Les pas traînants, il s’avança dans la neige jusqu’à l’orée de la forêt. Le vent était doux mais sifflait pourtant loin devant lui. A moins que… Ce ne soit pas le vent qui gémissait de cette manière si lancinante ? Il accéléra et s'enfonça dans le sous-bois, une boule de tension dans la gorge malgré sa curiosité. Sa sacoche battait contre sa cuisse alors que ses yeux fouillaient entre les buissons, les souches mortes et les mottes de neige. Il s’approchait de la source du bruit, et plus il s’approchait, plus se renforçait la certitude qu’il ne provenait pas d’éléments naturels. Un animal en détresse ? Ou pire…
Alors qu’il se demandait à quel point il était dangereux de poursuivre son aventure seul, un mouvement dans les feuilles le fit sursauter. Il n’avait plus le temps de partir chercher des Eidonnien·ne·s à la rescousse, il devait se débrouiller seul ! Il se pencha silencieusement vers la source du mouvement et avança avec précautions… Probablement pas assez de précautions, puisqu’il trébucha sur une racine et s’enfonça la tête la première dans l’arbuste qui l’intéressait. Quand il vit ce qui ondulait sous son nez, son premier réflexe fut de fouiller la neige sous lui pour trouver un caillou, un bout de bois, n’importe quoi qui pourrait l’aider à se défendre. Trois serpents gigotaient maladroitement dans un espace terreux où la neige avait été poussée sur le côté.
Son cœur s’arrêta de battre une seconde lorsqu’il remarqua un nouveau détail : sous les corps luisants des reptiles se trouvaient une main, une toute petite main. Une main d’enfant.
Un cri s’échappa malgré lui de sa bouche et il se releva, passant de l’autre côté du buisson avec une large pierre dans la main. Son regard tomba alors sur le reste de l’enfant, allongé dans la neige, à moitié sous un tronc d'arbre effondré. Sa peau diaphane était parcourue d’écailles grises, noires et vertes et des dizaines d’autres serpents s’entrelaçaient à ses côtés.
— Tu.. tu es QUOI ?! s’exclama Amaël, la pierre levée entre lui et la créature.
Les yeux de la chose se figèrent dans les siens comme des ancres et soudain, son corps ne répond plus. Il était incapable de bouger, de parler ou même de respirer.
— En général, on demande plutôt le nom des gens qu’on rencontre, c’est plus poli.
— Tu es un monstre…
Amaël regretta instantanément ses paroles en voyant des larmes remuer le regard de l’enfant-serpent.
— Si t’es capable de me laisser crever coincé sous cet arbre juste parce que je suis différent·e, c’est toi le monstre, pas moi, répondit-iel en tournant la tête. Même les serpents essaient de m’aider, alors qu’ils vont mourir de froid, ils sont pas faits pour vivre dans la neige. Mais ils sont trop petits pour soulever l’arbre.
Il laissa tomber la pierre qu’il tenait dans sa main sur le sol et s’accroupit lentement, en surveillant tout de même les serpents d’un œil vif. Son cerveau se remettait en marche après le choc et il pesta contre lui-même : il n’avait pas su prendre des leçons de sa propre expérience et il avait blessé une personne innocente par son rejet.
— Je suis désolé, je vais t’aider, murmura-t-il d’une voix tremblante. J’étais juste surpris.
Un rapide regard sur la situation lui permet de comprendre ce qui lo coinçait dans cette position si délicate. Le tronc ne paraissait pas très lourd mais juste assez pour qu’il soit impossible à dégager par quelqu’un étant déjà en dessous. Amaël s’avança courageusement parmi les serpents pour se rapprocher de l’arbre mort et se plaça sur le côté, attrapa le cylindre et tendit ses muscles de toutes ses forces. Il pesait plus qu'il n’en avait l’air. Après quelques secondes et une poignée de gouttes de sueur, il parvint enfin à le soulever et le déplaça de quelques pas sur le côté avant de le laisser tomber dans la neige sur aucun membre.
— Merci, chuchota l’enfant serpent en se relevant. Tu m’as sauvé·e.
— C’est normal… Je suis vraiment désolé de ma première réaction, promis ça me ressemble pas, je suis un peu plus bon que ça.
La créature lui sourit et les serpents sifflèrent d’une manière si douce qu’il ne pouvait l'interpréter autrement que comme un remerciement. Ils filèrent bien vite se mettre à l’abri sous des rochers et des souches, pour finir l’hiver tranquillement et ne pas mourir de froid. Un seul resta, un serpent d’un bon mètre de longueur et aux écailles luisantes vert forêt. Celui-ci s’enroula autour de la jambe de l’enfant pour venir se loger dans son cou.
— Comment tu t'appelles ? demandèrent-ils en même temps
— Moi c’est Amaël, souffla le jeune stagiaire, amusé. Et toi ?
— Lun. Merci encore, je repars mais je ne t’oublierai pas.
— Moi non plus, assura-t-il les yeux dans le vague alors qu’iel filait déjà entre les arbres.
Le temps de remettre ses idées en place et il fit demi-tour pour rentrer avec les Eidonnien·ne·s. Son aventure avait été belle mais le froid commençait à gagner ses os et il aurait bien envie d’un chocolat chaud. Sur le chemin du retour, sa main s’enfouit dans sa sacoche et y découvrit un nouveau bulbe, qu’il sortit et tendit devant ses yeux. D’un vert forêt, il luisait avec douceur sur sa paume, comme un joli souvenir d’une belle rencontre. Un sourire aux lèvres, il se dit qu’il pouvait même faire de belles choses sans le vouloir. Lorsqu’il poussa la porte pour retrouver les autres, une jolie lumière restait dans ses yeux.
*
{ Thalita_472 }
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top