Un dernier câlin ?

      Cette partie de l'histoire est probablement celle que j'aime le moins. Voici la vraie rupture. La dernière possible. Celle que je redoutais autant que je l'attendais.

      J'ai choisi un jour stratégique en vérité. Le soir même, je sortais voir la pièce de théâtre de Milo avec quelques amis. Ainsi, j'étais sûre d'avoir de quoi m'occuper la tête. Je suis donc descendue un peu plus tôt sur place et ai rejoint Juliette. On s'est dirigée vers chez Esmée. Je me souviens avoir été fébrile, avec une boule de stress grandissant au fond de mon ventre. On s'est séparées un peu avant que j'arrive chez Esmée, avec la promesse qu'elle vienne me chercher après.

      Je n'avais qu'une seule envie : prendre mes jambes à mon coup, me défiler, changer d'univers. Tout de suite, j'ai moins fait la fière, et regretté d'avoir dit que j'avais le mérite de quitter ma partenaire en face. Il n'y avait aucun mérite ou fierté à avoir, ça devrait être une norme. Mais à défaut de l'être, elle impose au moins la modestie lorsqu'on se sépare en face. C'est compliqué, bien plus que je ne l'avais jamais imaginé. J'ai détesté chaque instant.


      J'y allais à reculons. Ses voisins prenaient le café ensemble en bas, et je les ai salués, comme à mon habitude. L'une d'entre eux m'a demandé de lui transmettre un message, et j'ai tout juste acquiescé. Entre le rez-de-chaussée et son étage, il m'a semblé devoir gravir l'Everest avec du matériel de plongée. Etrange analogie je le concède.

      Je suis entrée et me suis dirigée directement vers la chambre d'Esmée. Elle était couchée nonchalamment sur son lit. J'ai à peine eu le temps de la saluer qu'elle a ouvert ses bras dans un signe de câlin. J'ai sincèrement hésité, mais j'étais résolue, je ne fléchirais pas à nouveau. J'ai posé doucement mes affaires à l'entrée de la pièce. Chaque pas me rapprochant d'Esmée était pesant. Un lien invisible m'intimait de me stopper. Mais, je le voulais ce dernier câlin.


       D'une certaine façon, elle savait. En fait, non. Esmée attendait que je fasse le premier pas vers la rupture. Cette étreinte avait le goût de défaite et d'un soupçon d'inachevé. Quelques minutes et un certain nombre de larmes essuyées discrètement plus tard, je me suis assise sur la chaise de son bureau, en face d'Esmée.

« Tu veux une clope ?

- Roules en deux. »

      J'avais arrêté de fumer, mais j'ai fait une exception ce jour-là. C'était comme commencer – ou achever – une sorte de rituel. J'ai donc roulé deux cigarettes avec son tabac. Je n'avais pas perdu la main. J'ai tendu à Esmée la mieux faite, ainsi qu'un briquet. La mienne, je la tenais du bout des doigts, comme si elle était prête à me brûler, sans même avoir été allumée. Je l'ai gardée pour un peu plus tard, quand j'aurais fini de parler. J'ai regardé la sienne se consumer lentement, avant de me décider à parler.

« Je pense que tu t'en doutes mais... »


      Dieux que c'était dur. Je lui ai dit que c'était une erreur de ma part d'avoir accepté que l'on se remette ensemble, et je lui ai expliqué pourquoi, de mon point de vue. Je lui ai dit à quel point je l'aimais et à quel point elle aurait toujours une part de mon cœur. Après tout, un premier amour ne s'oublie pas. Je lui ai dit tout ce que j'ai écrit entre ces lignes, à peu de choses près, voir même plus. Ensuite seulement je me suis tue, et j'ai allumé ma cigarette.

      La nicotine me piquait la gorge. Qu'est ce que c'était agréable. Ça me rappelait pourquoi je devais faire face à cet instant à mon premier amour qui allait se transformer en premier chagrin d'amour d'ici une poignée de secondes. Ça me rappelait également pourquoi j'avais décidé de ne plus fumer. Parce que je voulais me sentir vivante. Drôle de paradoxe que de ressentir ça alors que la fumée dans mes poumons m'intoxiquait.

      Esmée a donc parlée, pendant que je grillais ma clope, comme pour me raccrocher à quelque chose. Je ne sais plus ce qu'elle m'a dit, ma mémoire me fait défaut, comme pour m'empêcher d'y penser pour me préserver. Je me rappelle simplement que nous tombions d'accord. Je lui ai avoué que notre relation CDD, ça me rassurait un peu : si elle partait à l'autre bout du monde et qu'entre nous ça se passait mal, j'aurais eu une excuse. Esmée a rit du terme, mais m'a assurée qu'elle pensait la même chose : c'était une garantie qui avait volée en l'air lorsqu'elle a décidé de ne pas partir.

       Elle a d'ailleurs admis qu'elle voulait me quitter lorsque je l'ai confronté pour définir la fin de notre deuxième pause, mais qu'elle avait été trop lâche pour le faire. Elle attendait que j'exécute mes paroles. Je ne peux qu'admettre que c'était la meilleure décision. Ni Esmée, ni moi ne nous reconnaissions plus dans cette relation. Il était temps de passer à autre chose.


       Cette rupture s'est déroulée d'une façon que je n'aurais pas pu imaginer. Après avoir mis un terme à notre relation, je ne suis pas repartie immédiatement, comme je l'avais prévu. Je suis restée une petite demi-heure pour parler de tout et de rien, exactement comme avant. Je ne sais pas si c'est le genre de déroulé typique pour une séparation, mais ça m'a énormément rassurée. Evidemment, mon cœur se serrait, mais le fait qu'on ne passe pas de couple à inconnues en l'espace d'un claquement de doigt m'a soulagée. J'ai toujours imaginé que ma première vraie rupture se ferait dans les larmes, les éclats de voix, l'incompréhension et la colère. Que c'est l'autre qui me briserait le cœur.

      Je me suis occupée de me briser le cœur moi-même, alors même que ce n'était pas mon rôle. Esmée et moi le savions : ce serait elle qui finirait par me quitter, en me laissant seule et désorientée.

« Tu me briseras le cœur, mais ce n'est pas grave. Je le sais et je l'accepte. »


      Je suis finalement repartie. J'avais le cœur léger, pour la première fois depuis longtemps. Lorsque je suis descendue, les voisins d'Esmée m'ont demandé pourquoi je repartais si vite ; ils avaient l'habitude de me voir rester au moins la nuit chez elle. J'ai haussé les épaules et leur ai appris que nous n'étions plus ensemble. Je n'ai pas attendu de voir leur réaction pour me dérober. Enoncer la réalité à haute voix avait fait monter mes larmes.

      J'ai rejoint Juliette, qui m'a consolée. Je n'étais pas plus triste que ça, mais savoir que je retournais affronter le monde, sans personne à mes côtés, m'effrayait plus que je ne voulais le concevoir.


      C'est ainsi que notre Histoire c'est terminée. Tout du moins en partie, puisqu'elle restera chérie dans mon cœur pendant encore longtemps, si ce n'est toujours. Si j'écris ces mots, c'est toutefois que notre relation m'a laissé un goût amer en bouche, un goût de « reviens si tu l'oses ». J'ai l'impression de ne pas l'avoir consommée jusqu'au bout. Mais cette pensée est dû au fait que j'ai l'habitude que chacune de mes relations soit usée jusqu'à la corde, consumée jusqu'à ce que la dernière braise s'éteigne. Pour une fois, j'ai fait les choses bien, j'ai tout arrêté avant de ne plus pouvoir me relever ; ça n'a pas suffi.

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