Tromperie, pas tromperie ?

     Esmée et moi n'étions pas dans des lycées de la même ville, comme je l'ai déjà dit. Il se trouve qu'en plus, elle était à l'internat. Je ne connaissais ses amis que par ses histoires ou de très brèves conversations lorsque nous nous appelions. Alors, lorsqu'elle m'a proposée de l'accompagnée à l'anniversaire de l'une d'eux, j'étais vraiment touchée. Ça m'aurait permis de mieux appréhender son univers, et elle, de savoir comment elle était quand nous n'étions pas que toutes les deux. J'étais vraiment excitée et attendait ce week-end de mi-avril avec impatiente.

      Le mercredi précédent la soirée, j'ai pris un bus pour rejoindre sa ville et passer l'après-midi avec elle. Nous nous baladions, quand Esmée a reçu un message d'un de ses amis, complètement saoul, lui demandant de venir. Il avait besoin d'aide, ça ne me gênait absolument pas d'y aller. Une fois arrivée au bar, il était plus ivre que jamais, en plein après-midi. Il ne souhaitait plus voir Esmée, alors nous avons profiter d'être sur place pour aller en terrasse. J'ai pu rencontrer certaines personnes de son lycée, ce qui fut un moment assez... disons spécial. Tous n'étaient pas amicaux, bien que la plupart aient été adorables.

      Aux alentours de dix-huit heures, je suis rentrée chez moi. Plus tard, en finissant de manger, je reçois un message d'Esmée. Je ne m'en suis pas préoccupée immédiatement, devant finir certaines tâches. Une trentaine de minutes plus tard, mes occupations terminées, j'ouvre son message. Très vite, mon visage s'est décomposé. Je ne pouvais pas croire ce que je lisais. J'ai fermé ma messagerie et éteint mon téléphone. Peut être était-ce lui qui se trompait, une simple erreur d'affichage. Je l'ai rallumé, puis ai rouvert le message, fébrile. Mais non, il était toujours là. Ce n'était pas un malentendu.


« Amélie ? Jo m'a embrassé. Je ne mérite pas qu'on soit ensemble. »


      Le fameux « Jo » - Joris – était le garçon de bar. Je ne l'ai appris que plus tard, mais il venait de se faire quitter, Esmée l'a réconfortée lorsqu'il est rentré à l'internat, comme n'importe quelle amie l'aurait fait. La suite est écrite, il l'a embrassée – quelques secondes seulement –, puis elle l'a repoussée. Elle a hésité. C'est ce qu'Esmée m'a rapporté. Je n'ai aucune autre version, et j'admets que ce facteur me dérange. Rien ne peut corroborer ou infirmer sa version. Mais c'était ma copine et je l'ai crue. Pour moi, ce n'était en rien une tromperie : ce n'était ni de son fait, ni voulu – en apparence tout du moins. Je n'en voulais presque pas à Esmée ; mon principal ressentiment allait envers Joris. Il m'avait aperçue l'après-midi même et était au courant qu'Esmée était en couple. Il n'avait pas à faire ça. Bien qu'il vienne de se faire quitter, embrasser la première fille lui montrant de l'attention n'était certainement pas la bonne solution. Surtout quand ladite fille est ma copine.

      Ne voulant pas régler cette histoire par message, je l'ai appelée directement. Plusieurs tonalités et quelques appels plus tard, toujours aucune réponse. Ce silence me met hors de moi, bien plus que l'aveu d'une faute ne relevant pas de la responsabilité d'Esmée. Je lui envoie donc un simple message :


« Réponds-moi au téléphone, et explique-moi mieux qu'avec trois pauvres messages. »


      Lorsque je lui ai envoyé ça, je n'avais donc aucune idée de ce qu'il s'était réellement passé. Je psychotisais, imaginais toutes les pires situations possibles. Je détruisais le peu d'espoir que ce ne soit qu'une très mauvaise blague en la piétinant de toutes mes forces. Mon angoisse surgissait de nouveau, menaçant de me faire plonger dans un abîme sans fond. Alors ma seule solution, c'était de méditer.

       Cela faisait quelques temps que j'essayais de m'y mettre correctement, je me suis donc tournée vers la méditation, dans le but de refluée ma crise d'angoisse, de calmer ma colère et d'interpréter mes émotions sous-jacentes. L'exercice était complexe mais a eu de bons résultats.

      Je n'ai donc eu la réelle explication que le lendemain matin. J'ai détesté ce temps d'attente autant que je l'ai apprécié, paradoxalement. Il me permettait d'imaginer des situations pires les unes que les autres tout en me laissant espérer. Parce que oui, j'avais extrêmement peur qu'Esmée décide de me quitter parce qu'elle ne se pensait pas suffisante à mon bonheur et qu'elle s'en voulait. Je ne pensais pas pouvoir revivre une rupture semblable à la précédente. Tout allait bien entre nous, je n'étais pas préparée à me retrouver seule. J'avais besoin de ma partenaire, de mon amoureuse, de ma meilleure amie. Elle était mon tout. Alors ton « ça a tout remis en question. », non, je n'en voulais pas. Pour moi c'était décidé, ce n'était en aucun cas ta faute.


      J'ai agi comme si rien ne s'était passé. Ma rancune s'est dirigée vers Joris et uniquement lui, assez naturellement. Je me suis promis que si un jour je le croisais, je lui ferais une leçon de morale comme jamais il n'en avait reçu. Heureusement pour lui, je n'ai jamais vu ne serait-ce que son ombre.

      Mais ce garçon avait un culot que je n'imaginais pas possible. Alors que j'étais au téléphone avec Esmée le lendemain pour essayer de tirer plus au clair cette histoire, Joris était derrière et est intervenu. Je crois que peu de fois dans ma vie j'ai eu une réelle envie de meurtre. Mais lorsqu'il a ouvert sa bouche pour se vanter d'avoir embrassé Esmée alors qu'il savait pertinemment que nous étions en appel, ce sentiment primaire et bestial est ressorti. D'autant plus lorsque ma copine a rigolé à son intervention.

      Il me semble que je lui ai raccroché au nez. J'étais trop en colère pour réfléchir correctement.


       Je suis tout de même allé à la soirée avec Esmée, malgré ma crainte d'être mise de côté, d'autant plus que nous venions de nous disputer – une de nos seules vraies disputes par ailleurs. Finalement, tout s'est bien passé, et la soirée nous a en quelque sorte permis de nous réconcilier. J'étais trop soulagée que l'on ne se soit pas séparer pour plus y penser, sur le moment.

      Cette histoire m'a néanmoins marqué, puisqu'aujourd'hui encore, lorsque j'y réfléchis, je ne sais pas quoi en penser. Est-ce réellement de la tromperie ? ou un concours de circonstance malvenu ?

      Je ne saurais le dire, et qu'importe. C'est passé, je ne peux rien y changer. Mais la nostalgie que je ressens lorsque j'y repense n'est pas de celles agréables. Non, elle est plutôt de celles qui raniment cette colère, toujours profondément enfouie, n'ayant su s'échapper. Ce sentiment est dangereux, c'est pourquoi mieux vaut qu'il reste à l'état de braises au fond de mon cœur.

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