Je fixe le dessous du lit superposé au mien, les yeux grands ouverts sous l'angoisse, jouant avec mes doigts sous le drap fin. Les garçons du dortoir dorment déjà tous, remplissant la pièce de ronflements divers. Il y a quelques minutes, j'ai vu son ombre quitter à pas de velours l'endroit. Il doit déjà m'attendre au lieu de rendez-vous qu'il m'a donné, mais j'hésite à le rejoindre. Est-ce une bonne idée? Et si Shadis nous surprenait hors du couvre-feu?

Dans une grande inspiration, je sors doucement de mon lit après avoir jeté un regard à Gordon qui dort profondément, la bouche ouverte. J'agrippe doucement mon manteau que j'enfile avant de sortir des dortoirs en essayant de ne pas faire de bruit. La discrétion, ce n'est pas mon fort... j'accroche au passage un meuble qui fait du bruit et jure en tenant ma pauvre grosse oreille.

Pourquoi est-ce toujours cette partie du corps qui est attaquée par les meubles et les coins de murs? Après m'être assuré que personne ne s'est réveillé, je mets mes souliers et sors de la bâtisse.

Le vent frais frappe agréablement mon visage et je souris en respirant l'air pur. Faire quelque chose d'illégal est si excitant que je sens que mon cœur va sortir de ma poitrine. J'adore cette sensation qui me rappelle le temps où je devais voler avec mes frères pour me nourrir convenablement. Cette pensée me rend légèrement nostalgique.

Uniquement éclairé par la douce lumière de la lune et de ses étoiles, je me dirige, les mains dans mes poches, vers le point de rendez-vous que m'a donné Millius. Qu'est-ce qu'il va vouloir me dire? Simplement savoir que je le lui plais sert à me tourmenter. Est-ce réciproque? Il est beau et a un côté mystérieux plutôt attirant, mais je ne le connais pas encore assez pour pouvoir en dire plus.

Sa fine silhouette se découpe dans l'obscurité, entre les arbres qui se trouvent derrière l'écurie, là où personne ne peut nous voir. Je baisse timidement les yeux quand les traits de son visage sont enfin visibles et je sens mes joues rougir.

-Je commençais à penser que tu m'avais posé un lapin, sourit le garçon.

-Désolé, mais je ne voulais pas sortir en même temps que toi...

-Ce n'est rien. Ton beau sourire rachète le tout.

Je souris un peu, rougissant de plus belle sous ce compliment dont je n'ai point l'habitude. Je n'avais pas remarqué avant, mais Millius tient dans ses bras une couverture qu'il étend sur l'herbe humide avant de s'y assoir, m'invitant à le rejoindre. Je prends donc place à ses côtés sous son regard clair que je n'ose pas croiser. Il est intimidant.

-Tes joues rouges sont adorables, souffle-t-il.

-Je ne vois pas ce qu'il y a d'adorable, mais merci.

Habituellement, j'ai la parole assez facile, mais en ce moment, je suis trop angoissé. J'ai l'impression que les mots restent pris dans ma gorge, que je ne me sens pas à l'aise avec ce garçon fort séduisant. Heureusement, il réussit à trouver des sujets des discussions. Nous parlons de notre famille, nos rêves pour l'avenir et nos avis sur l'armée. Je passe plusieurs heures particulièrement agréables, riant même par moment. Millius a réussi à finalement me rendre moins gêné.

Couchés à ses côtés sur cette couverture humide, nous regardons les étoiles, tête collée l'une contre l'autre. Je souris idiotement, ses doigts enroulés autour des miens. Quand a-t-il décidé de saisir ma main? Je l'ignore, mais j'apprécie beaucoup.

-Quand j'étais jeune, moi et mes frères nous avions essayé de construire une machine capable de nous amener dans l'espace, racontai-je, on croyait dur comme fer que ce serait possible et que là-haut, sur la lune, on y rencontrerait des gens venus d'ailleurs... notre machine était faite de bout de bois et de carton. C'était affreux.

Millius rigole doucement, le visage tourné vers moi pour m'observer.

-Tes frères semblent drôles de la manière dont tu m'en parles.

-Ouais, je suis certain que tu aimerais surtout Douglas. C'est un bon gars, très intelligent.

-Surement.

Ses lèvres s'étirent encore plus quand il se redresse sur le coude pour avoir une meilleure vue. Mon ventre se tord alors que je sens mes joues bruler de gêne. Par réflexe, je mordille ma lèvre inférieure.

-Tu es vraiment un garçon magnifique, souffle-t-il, je pense que je tombe amoureux de toi, Floch.

-Ah oui? Ça doit être parce que tu ne connais pas encore mes défauts... tu sais, j'en ai vraiment beaucoup et il m'arrive de moi-même ne pas...

Je suis coupé par ses lèvres chaudes qui se plaquent contre les miennes. Mes yeux s'ouvrent grands sous la surprise alors que je reste figé, ignorant comment réagir face à ce baiser. Millius m'embrasse? Vraiment? Après quelques secondes où je ne fais absolument rien, je me décide à répondre, passant maladroitement une main dans ses cheveux pâles.

Ses lèvres quittent bientôt les miennes pour descendre dans mon cou qu'il embrasse avec douceur, glissant une main sur ma hanche. Cette sensation est agréable, mais je ne me sens pas à l'aise. Pourquoi fait-il ça? Je grimace légèrement et le repousse quand sa main se faufile sous mon chandail, me faisant frissonner.

-Qu'est-ce que tu fais? Demandai-je.

Il me regarde de ses petits yeux, surpris.

-Je fais de toi mon petit ami. Tu ne sais pas comment ça fonctionne?

-Bah... euh...

Je rougis en détournant les yeux, pas certain de vraiment comprendre là où il veut en venir. Il souhaite devenir mon petit copain? Si on sort ensemble, il faudra surement se cacher puisque nous sommes des hommes. J'ai le trac, mais j'essaie de ne pas le montrer. Qu'est-ce qu'on doit faire dans un couple?

Millius agrippe mon menton pour me forcer à le regarder droit dans les yeux. Il est magnifique, mais je me sens mal. Il parle d'amour, mais moi je ne le connais pas... ce mot m'est étranger, cependant je doute que cette simple attirance en soit.

-Je te veux tout à moi, souffle-t-il, laisse-moi te faire mien, Floch.

Il ne me laisse pas le temps de répondre qu'il plaque à nouveau ses lèvres contre les miennes de manière moins douce que la première fois, fiévreux de désir. J'aimerais le repousser, mais je m'en sens incapable. Si je lui dis non, peut-être qu'il ne voudra plus de moi? Peut-être que c'est normal tout ça en début de relation?

Je ne connais rien du tout à la sexualité, omis ce que j'entendais dans les discussions entre mes frères et ce que je voyais dans les livres osés qu'ils achetaient à des types louches. Les images qui s'y trouvaient étaient écaillées, souvent presque invisibles et il fallait surtout imaginer grâce aux mots de l'auteur.

Quand Millius glisse sa main froide dans mon pantalon, je me laisse désagréablement faire, guidé par la peur de dire non. C'est la première fois que quelqu'un me désire, la première fois que je me sens le centre de l'attention... je ferme les yeux et malgré moi, c'est le visage souriant de Marco que je vois dans ma tête.

***

-Floch, réveille-toi ou Shadis va punir notre retard, fait la voix de Gordon près de moi.

Je grogne en me retournant dans mon lit, grimaçant sous cette douleur lancinante dans le bas de mon dos. À quelle heure suis-je revenu dans le dortoir? Il était si tard que j'ai l'impression ne pas avoir dormis de la nuit. En marmonnant, je réussis à me lever, essayant de ne pas montrer à quel point j'ai mal. Millius n'a pas été doux. Il ne pensait pas à moi. Si c'est normal, alors pourquoi est-ce que ce matin je me sens affreusement sale? Pourquoi mon cœur palpite désagréablement?

Gordon me dévisage avec inquiétude alors que j'enfile mes vêtements d'armée habituelle.

-Ça n'a pas l'air d'aller, remarque mon ami, tes cernes sous les yeux font peur.

-Je suis juste fatigué.

-Si tu le dis.

J'hésite à lui dire ce que j'ai vécu cette nuit, par peur d'être jugé. Moi-même, j'ai du mal à assumer mes actes, trop honteux de n'avoir pas su dire non. Au moins, j'ai un petit ami? Peut-être que je vais en tomber amoureux avec le temps et qu'on va rire ensemble de mes craintes? J'ai beau essayer de me convaincre, mais une boule se forme dans ma gorge.

Quand j'entre dans la cafétéria avec mon unique ami, nous allons chercher nos plateaux. Je cherche mon copain du regard, puis je souris en le voyant assis à sa table habituelle avec ses amis, riant de bon cœur. Même si Gordon ne comprend pas, il me suit quand je me dirige vers lui pour prendre place à ses côtés. Tous les regards se braquent sur moi, comme si j'étais une présence désagréable...

-Qu'est-ce que tu fais ici tête de nid? Crache Nack avec dédain, tu as cru pendant un instant qu'on était tes potes?

-Bah non, je viens juste voir Millius...

Ce dernier ne semble même pas oser me regarder, la tête tournée et grimaçante. Les autres me regardent sans comprendre, pensant surement que je délire. Pourquoi ne me défend-il pas?

-Floch, j'ai quelques mots à te dire dehors, déclare brusquement Millius en se levant de son banc.

Il s'avance vers moi et m'agrippe par le poignet afin de me tirer vers l'extérieur sans me regarder. Je peine à le suivre tant il va vite. Il me fait vraiment mal... Peut-être qu'il veut me demander d'être plus discret? J'ai été con en venant le voir.

Une fois loin de toutes oreilles indiscrètes, le garçon se retourne vers moi, l'air très peu enjoué. Son regard froid pourrait presque me terrifier...

-J'aimerais que tu ne m'abordes plus comme tu l'as fait compris? Crache-t-il.

-Je... oui, désolé. J'ai juste pensé qu'on pourrait passer du temps entre amis puisque je suis ton copain.

Je vois son visage se crisper à mes mots.

-Parlant de ça, commence-t-il, je doute que finalement ce soit une bonne idée d'être en couple avec toi. Nos personnalités ne vont pas bien ensemble. Je n'ai pas la petite étincelle.

Je ne suis pas certain de bien comprendre ce qu'il me dit. Je le regarde, la bouche entre ouverte alors que ses mots montent lentement à ma tête. Il veut vraiment... mon cerveau bouillonne tant je me sens perdu.

-Tu ne veux plus qu'on soit en couple? Soufflai-je.

-En gros, c'est ça... ne le prends pas mal, Floch, mais je n'étais pas certain de pouvoir être avec un garçon avant de faire le test avec toi.

-Le test...?

Millius lève les yeux au ciel et passe sa main dans ses cheveux, l'air de réfléchir à ce qu'il va bien pouvoir répondre. Je sens mes yeux brûler désagréablement, à la fois de colère et de tristesse. Je me suis donné à lui. Je l'ai laissé toucher mon corps parce que j'avais confiance.

Le garçon pose son regard sur moi, un petit sourire moqueur sur les lèvres.

-Parce que tu crois vraiment que j'aurais pu être intéressé par quelqu'un comme toi? Tu m'as juste semblé le plus facile à faire écarter sans être trop moche une fois dans le noir. Désolé de te dire ça comme ça.

Ça y est, les larmes roulent sur mes joues. Je me sens humilié, stupide, trahi... jamais je n'ai ressenti telle haine envers quelqu'un. Mes poings se serrent sans que je ne contrôle. J'aimerais le frapper, mais je n'en ai pas la force.

Millius me lance un dernier regard avant de me laisser seul.