Hors série [6]
Ma secrétaire, Mlle Grimm
Partie I
Note de l'auteur: Ce chapitre est un hors série et ne s'incruste pas dans l'histoire originelle. Il n'a aucun impact ni ressemblance avec le scénario.
Ceci est une histoire alternative où tous les personnages de "L'histoire d'une soldate" prospèrent dans un autre monde. Ils vivent à notre époque et n'ont jamais été menacé par les titans. C'est-à-dire que leur histoire et les relations entre eux ont été modifié.
Bonne lecture!
Cette histoire est pour un public averti.
Je m'assis lourdement sur ma nouvelle chaise en cuir, fraichement achetée sur mesure pour mes tiraillements musculaires. Malgré ça, elle commençait déjà à grincer et cela avait le don de m'irriter. J'allais devoir la changer et me plaindre à ce foutu vendeur qui m'a fait lâcher quatre cent cinquante livre pour cette merde.
Je claquai ma langue sur mon palais en redressant un des crayons sur mon bureau et parcourrai les feuilles que j'avais lancées en m'asseyant. Je lâchai un soupir, lassé de cette journée qui durait depuis déjà trop longtemps.
Du moment que je ne disais rien, le silence allait régner dans la salle. Je pris donc le temps de fouiller dans ma poche pour sortir mon paquet de cigarette. Je zieute enfin le papier personnalisé avec dans la cornée une photo en noir et blanc. Hum... pas d'imprimante en couleur. Tch... On n'est plus en 1950. Ça me fait penser que je ne l'ai même pas regardé quand on était rentré dans mon bureau. J'observe nonchalamment le visage entouré de petits points noirs avant de me lever pour découvrir la réalité.
Aussitôt que mon regard tomba sur elle, elle devint mal à l'aise et eut de la difficulté à le soutenir.
Elle a l'air jeune, drôlement jeune. Je n'ai pas envie d'avoir un mioche inexpérimenté dans les pattes, à me demander à chaque minute ce qu'il doit faire. Ce n'est pas une garderie ici!
- Alors... Mlle Grimm, c'est ça? Soupirais-je allumant ma cigarette.
- Oui, fit-elle avec peu d'assurance.
- Alors? Qu'est-ce que vous pouvez bien me raconter?
- Hein?
Elle penchait étrangement la tête pour laisser entrevoir ses grands yeux couleur chocolat. Je pus constater que ses traits étaient assez grossiers, non sans dire qu'elle était laide... Mais j'ose penser qu'elle n'est pas anglaise malgré son nom...
Quoique... Sa peau est tellement claire qu'elle pourrait rendre jalouse une poupée de porcelaine.
- Sur votre parcours, cinglais-je, ma clope coincée à la commissure des lèvres.
- Ah? Heu... Tout est sur mon CV, expliqua-t-elle en redressant une mèche de ses cheveux.
- Je m'en fous de ce que raconte votre papier. Je suis pas payé pour lire toutes les merdes qu'on m'envoie. Vous êtes adulte, au moins? Je prend pas les adolescents pour leur connerie de stage.
- Oui, bien sûr, s'exclama-t-elle. Excusez moi, c'est mon tout premier entretien. J...je ne sais pas trop quoi dire.
- Hum...
Je tournais légèrement sur ma chaise, agacé. C'était la sixième femme que je voyais aujourd'hui et je crois que c'était la pire de toute. Je pensais que celle qui voulait emmener son chien au travail était la pire.
- Vous avez de l'expérience, au moins? Pestais-je en perdant patience.
- Non.
- Tch... Ecoutez, mademoiselle! Vous...
- J'ai vraiment besoin de ce travail, M. Ackerman, m'interrompit-elle, coute que coute! Alors oui, je sais que je n'ai pas le profil parfait. Que je n'ai jamais travaillé en entreprise et que j'ai l'air incompétente. Mais laissez moi essayer! Je ne suis pas aussi idiote que j'en ai l'air. Je vous assure y mettre toute ma bonne volonté pour vous aider dans votre travail.
Le visage apeuré qu'elle avait gardé au fil de la discussion avait disparu. Même si la peur se traduisait toujours dans ses yeux, il y avait autre chose. Mais après que son ton fut monté, elle se ravisa pour se rasseoir confortablement.
- Je sais très bien faire le café, ajouta-t-elle timidement. Et le thé...
J'haussai un sourcil. Sans que je l'aperçoive, la cendre de ma cigarette délaissée neigeait sur mon costume. Elle le remarqua mais n'osa rien dire. Ses grands yeux trahissaient très facilement ses pensées.
- C'est bon à savoir, soufflais-je sans vraiment le penser.
- Je sais bien me servir d'un ordinateur ou d'une photocopieuse. Je suis douée aussi pour retranscrire et les dictées. Certes, je n'ai pas fait d'études mais j'ai été majore de mon lycée. Je m'adapte et apprend très rapidement.
Je regardai enfin son CV où quelques notes ont été faites à ce sujet. J'eus un léger recul:
- Dans ce cas, pourquoi avoir arrêté l'école?
Elle fronça aussitôt les sourcils. Je remarquai que depuis que je la regardais, cette fille n'a jamais souri une seule fois.
- Ça me regarde, répondit-elle froidement. Si vous ne comptez pas m'embaucher, autant en finir.
- Ouais, vous avez raison, soupirais-je. La prochaine fois, pensez à prendre un peu plus qu'une feuille. La maison ne fournit pas vos affaires de bureau.
- Pardon?
- Vous êtes embauchée, Mlle Grimm.
____
Mon nom est Livai Ackerman. Et les choses que j'aime dans la vie sont très simples:
La tranquillité et la solitude.
(et la propreté)
J'aime me réveiller dans mon grand lit vide et me faire infusé un thé. J'aime ma clope du matin, assis à mon balcon à regarder le ciel orangé. J'aime mon travail de bureau monotone qui ne me prévoit aucune surprise inattendue. J'aime rentrer dans mon appartement silencieux qui me coupe de la saleté environnante de la ville. J'aime ma clope du soir en regardant le ciel s'assombrir. Et j'aime me coucher en sachant que le lendemain sera la même journée.
Les jours de pause, je les passe à bouquiner, faire du sport ou voir mes rares amis quand ils m'harcèlent trop.
Il n'y a pas grand chose de plus à dire à mon sujet.
Tout le reste, je ne l'aime pas:
Le bruit, le désordre, le café, la rupture de javel, les animaux domestiques, les odeurs, la fainéantise, les habits froissée et en d'autres termes, les humains dans leur globalité.
C'est pourquoi, moins je les voyais, mieux je me portais.
L'inconvénient étant que mon travail me forçait à faire l'inverse.
Cinq ans dans cette boîte et aucune augmentation à l'horizon jusqu'à mes trente ans. C'était il y a quelques mois, un de mes patrons est rentré dans mon bureau pour me parler d'une augmentation et pas des moindres. Mon nouveau travail me demandait... plus de place, plus de personnes et plus de responsabilités. Et j'ai été forcé de constater que je ne pouvais plus faire toute ma paperasse seul.
J'ai dû embaucher une secrétaire.
J'ai soufflé très fort quand j'ai admis que je n'avais pas le choix d'avoir une femme dans les pattes. Et encore plus quand j'ai vu les profil qui se sont offert à moi.
Mais bon, après quelques mois, je supposais qu'on s'habituait à cette "cohabitation". Tout simplement parce que je pense que j'ai trouvé la secrétaire qui me correspondait parfaitement.
Calme et introvertie.
Elle ne parle jamais quand ce n'est pas nécessaire. Il peut se passer des journées entières sans qu'on s'échange un seul mot. Je pourrais presque oublier sa présence à quelques centimètres de moi. Mais jamais complètement.
Violet Grimm, et elle ne m'a pas menti: ses thés sont excellents.
Elle écrit vite et sans fautes. Ses notes sont toujours pertinentes. Je pensais être ponctuel mais elle est toujours au bureau avant moi. Et dès qu'elle a du temps libre, elle sort un cahier de maths pour résoudre quelques problèmes.
Le bruit des talons m'agace mais elle porte des derbies. Elle ne met pas de parfum. Ne traîne pas de poils d'un animal de compagnie. Son bureau est toujours propre et rangé. Elle semble avec une passion pour les classeurs, minutieusement étiquetés.
Ses cheveux sont tellement longs qu'ils atteignent sa jupe quand elle ne les noue pas en chignon. Ses grands yeux marrons me regardent toujours avec un air éberlué. Ses formes... hum... on s'en fiche.
Même si évidemment, cette femme ne peut être parfaite. Certaines choses m'irritent constamment chez elle.
Elle boit trop de café. Se ronge les ongles. Peut s'endormir si elle reste trop longtemps en inactivité. Elle semble un peu sourde.
Je ne sais rien d'elle, juste son nom alors qu'elle sait tout sur moi et cela m'agace.
- Tu as l'air pensif, mon petit Livai, fanfaronne Hanji.
Je jette un regard noir à ma meilleure amie qui me regardait avec cet air malicieux que je détestais.
-Prononce encore une fois le mot "petit", menaçais-je. Et je te fais bouffer les culs de bouteilles qui te servent de lunettes!
- Oh... Je vois que tu es de bonne humeur, aujourd'hui, ricana-t-elle nullement impressionnée.
Elle se baissa pour que moi seul puisse entendre ses mots:
- Serait-il possible que tu souffres du "Syndrome de la secrétaire"?
Je fronçai aussitôt mes sourcils en m'écartant.
- Quelle merde, tu me racontes? Ne me fourres pas dans tes expériences sociologiques à la con. J'ai pas envie de finir dans le même panier que les types amoureux de leur mère.
- Ce n'est pas aussi dramatique, songea-t-elle. Beaucoup de personnes passent par là: fréquenter tous les jours la même personne, apprendre à se connaître, etc... C'est un proton qui cherche son électron, c'est nécessaire pour ne faire qu'un.
- Pardon, cinglais-je agacé? Parle notre langue, je te pris.
- Ma parole, tu écoutais tes cours de chimie, soupira-t-elle? Je t'ai vu, plusieurs fois!
Elle marqua un silence en tirant sur sa cigarette. Pendant ce temps, je jette un regard mauvais aux petits jeunes qui discutaient beaucoup trop fort à côté de nous.
- Mlle Grimm, elle te plaît? Non parce que... tu la regardes avec beaucoup d'insistance pour un patron asocial.
- Je crois que tu fais erreur, bigleuse.
- Tu te vexes car tu sais que j'ai raison. Et ça te frustre parce qu'elle est aussi muette comme une tombe que toi.
- Tch... N'importe quoi.
- J'ai déjà eu l'occasion de parler avec la petite Violet, ignora Hanji. Je comprend pourquoi elle t'intéresse, elle est minuscule. Je la trouve plutôt gentille mais ne semblait pas intéressée à se faire des amies. Elle a fui dès qu'elle a pu.
- T'es un phacochère. N'importe qui fuirait face à tes intrusions. Tu connais la notion d'espace personnel? Tu l'encules, à sec.
- E... excusez-moi, fit une petite voix derrière nous.
Hanji ne put se retenir de ricaner quand je croisais le regard de la brunette. Va savoir depuis combien de temps elle était derrière nous. Mais elle ignora nos regards gênés pour enchaîner:
- M. Ackerman, j'ai remarqué une irrégularité dans votre emploi du temps de cet après midi: vous avez accepté un rendez-vous ce matin-même avec M. Smith alors que vous devez aller à une conférence, dans l'entreprise mère. Quel rendez-vous voulez-vous annuler? Les prévenir au plus tôt serait le meilleur.
Hanji détourna la tête, voulant faire mine de ne pas s'y intéresser. Je m'approchai de ma secrétaire pour regarder le bout de papier qu'elle me tendait qui était mon emploi du temps qu'elle a dû imprimer.
Mais la brunette s'éloigna aussitôt, détestant apparemment l'odeur de la cigarette.
- Hum... Effectivement. Annulez la conférence. J'en ai rien à foutre de ce qu'ils vont m'y débiter.
- Si vous le souhaitez, je peux m'y rendre à votre place et noter pour vous.
Je lève un regard indécis. Voyant mon silence, ses lèvres s'étirèrent pour former un sourire. Mais ses yeux ne suivent pas. A chaque fois que cette fille souriait, elle sonnait fausse. Mais ce n'était pas pour autant de l'hypocrisie, selon moi.
- C'est mon travail, monsieur. Cela ne me gêne pas.
- Attendez, Grimm. Cette conférence, elle est à l'autre bout de la ville? Vous n'avez pas le permis.
- Oui, soupira-t-elle.
- Tch... Je vous l'ai dis: on s'en fout de cette conférence. Oubliez ça.
Elle ne répondit rien d'autre à cela, elle acquiesça seulement avant de nous saluer et partir. Hanji la regarda s'en aller en écrasant son mégot.
- Elle travaille pendant la pause?
- Elle ne mange jamais, expliquais-je en faisant de même.
____
Le syndrome de le secrétaire? Et puis, quoi? Quelle merde elle pourra encore m'inventer? Hanji a le don de fantasmer dès qu'une femme vit un peu trop proche de moi.
L'amour, c'est une perte de temps et beaucoup trop de contrainte. Cela ruinerait ma routine. Et ma routine est la seule chose que j'affectionne.
Quand je suis revenu de ma réunion avec Erwin, qui était plus une discussion amicale qu'un entretien professionnel, mon bureau était vide. Pas de traces de Grimm dans les alentours. Et ça a duré ainsi jusqu'à la fin de la journée. Mais je ne m'en suis pas plus préoccupé que ça.
Ce n'est que lorsque la nuit est tombée et que je voulais quitter mon espace de l'open-space que je réalisai que ses affaires étaient encore là.
Tch...
J'allais la penser inconsciente ou tête en l'air avant de sortir vers l'espace fumeur. Mais je me ravisai en la voyant sur le balcon, accoudée à la rembarre. Elle était silencieuse à regarder le point de vue qu'offrait la tour. Elle ne m'a pas non plus entendu quand j'ai allumé ma cigarette. Il a fallu que je me poste à côté d'elle pour qu'elle sursaute en s'apercevant enfin de ma présence.
- Ah! Monsieur, vous m'avez fait peur! Pesta-t-elle avant de se raviser. Excusez moi...
- T'étais où toute la journée? Je te paye pas pour que tu te barres à une occasion perdue.
- Je...
Elle soupira avant de fouiller dans sa pochette pour sortir une pile de papiers.
- Je pensais l'informatiser avant de vous le rendre mais si vous êtes aussi impatient...
Elle me tendaot les papiers où je reconnaissais son écriture attachée et penchée vers la droite.
- C'est... T'es allée à cette foutue conférence? Remarquais-je en lisant les premières lignes.
- Oui, je n'avais pas grand chose à faire cet après-midi. Cela ne m'a pas gênée de faire le déplacement. Je vous l'ai dit, c'est mon travail.
Elle recula, l'instant d'après que ma fumée ait manqué de toucher son visage.
- Tch... La prochaine fois, préviens moi. J'avais l'air d'un con sans savoir où t'étais.
Je réalisai que depuis le début de la conversation, j'ai complètement laissé tomber le vouvoiement. Ce n'était pas dans mes habitudes de tenir aussi longtemps. Cela faisait des mois que je jouais le patron poli avec elle...
- Excusez-vous, soupira-t-elle en détournant le regard. Je pensais vous être utile.
- T'as un portable?
- Non, répondit-elle presqu'aussitôt.
- La prochaine fois, j'appelle ton fixe. Ou laisse moi un post-it, une note, une merde pour me prévenir!
Ses yeux s'écarquillèrent à mes mots. Son corps se crispa à la rembarre et son expression fatigué changea pour quelque chose de plus apeuré.
- Non! N'appelez pas chez moi, s'exclame-t-elle. Jamais!
Je restai ébahi à son haussement de ton. Elle se ravisa aussitôt en raclant la gorge.
- Les post-it, c'est bien.
- Hé, respire. Je t'ai pas dis que j'allais le rapporter à ta daronne. J'ai autre chose à foutre. Surtout que t'as fait ton taff.
- L...laissez tomber. Je... je vais rentrer maintenant que je vous ai donné mon compte rendu. Bonne soirée, monsieur.
Elle m'a salué en un temps record avant de s'enfuir du balcon. J'ai eu juste le temps d'apercevoir ses cheveux virevolter pendant sa fuite.
Je crois que j'ai engagé une secrétaire très étrange, efficace certes mais étrange.
Les semaines qui ont suivi ont été tout à fait banales. Grimm me laissait désormais des post-it sur mon bureau quand elle devait quitter son poste, même si c'était assez rare. Mais elle somnolait de plus en plus, surtout quand je revenais de la pause du midi. Elle dormait presque sur son bureau, la tête nichée entre ses bras croisés.
Sauf qu'une journée comme une autre, mise à part que le thé qu'elle m'avait servi avait eu un goût étrange. Je l'ai aperçu, en arrivant, au téléphone, recroquevillée sur elle-même et j'ai deviné presqu'aussitôt qu'il devait s'agir d'un appel personnel.
Tch... Ce n'est pas elle qui paye les notes de téléphone à la fin du mois. En m'approchant, j'entends des brides de sa conversation.
- Écoute, je t'en pris... Arrête de crier, mes collègues vont t'entendre.
...
- Je te jure que je ne sais pas d'où vient cette chaussette. Tu es sûr qu'il ne s'agit pas de l'une des tiennes? J'ai dû perdre l'autre dans la machine...
Elle tremblait en serrant le combiné, regardant autour d'elle pour vérifier que personne ne l'entendait.
- Non... Je ne te prend pas pour un idiot, je te jure que...
Elle s'arrêta net en me voyant. Elle se redressa vivement sur sa chaise dès que nos regards se croisèrent.
- J...je dois te laisser, ma patronne est là, murmura-t-elle.
J'entendais des cris venir du combiné. Je m'assois lentement en évitant son regard mal à l'aise. Les cris cessèrent dès qu'elle raccrocha. J'aillais la sermonner pour l'utilisation du téléphone à des fins personnels avant de voir son teint livide.
Elle me jeta un coup d'œil rapide avant de ronger nerveusement son ongle. Elle restait statique à regarder un point inconnu, perdue dans ses pensées. J'allais pour l'ignorer quand le téléphone sonna de nouveau. Elle l'ignora quelques secondes avant de l'observer l'air inquisiteur.
Elle décrocha doucement le combiné pour le porter à son oreille. D'habitude, elle sortait machinalement la même phrase: "Bureau de M. Ackerman. Que puis-je fais pour vous?" Cependant, elle ne dit rien, attendant que l'interlocuteur parle en premier.
- Oh Mlle Zoe, fit-elle en se décontractant! Oui, il est là. Je vous le passe.
Sans me regarder, elle me transféra l'appel puis elle se leva pour quitter la pièce pendant que j'entendis la voix irritante d'Hanji.
Elle fut silencieuse le reste de la journée. Mais ce n'était pas un silence dont j'étais habitué. J'avais l'impression de l'entendre ruminer dans ma tête. C'était agaçant et ça m'empêchait de me concentrer alors j'ai voulu mettre les idées au clair.
- Ta patronne, lâchais-je?
Elle sortit sa tête de sa cinquième tasse de café pour malgré elle soutenir mon regard. Elle a su aussitôt ce à quoi je faisais mention, ne demandant pas plus de clarification. Elle serra les lèvres un court instant comme pour juger ses paroles avant de simplement soupirer:
- Excusez-moi.
- Pourquoi tu t'excuses, fis-je énervé?
- Par...ce que ma langue a fourché.
- T'as l'air crevé, Grimm. Ta journée est finie depuis dix minutes déjà.
Elle jeta un regard à sa montre à son poignet pour constater que j'avais raison. Puis la fenêtre derrière moi avec un air songeur.
- Je n'ai pas pris de parapluie. Je vais attendre que la pluie cesse pour sortir.
- Comme tu veux, soupirais-je.
- Vous voulez un thé, proposa-t-elle pour s'occuper?
- Non. Le dernier était trop amer.
Elle s'excusa de nouveau avant de plonger dans ses pensées et moi, dans mon travail. Quand j'ai relevé les yeux après une notion du temps un peu douteuse, son bureau était désormais vide. Je me craque le dos pour constater la même chose.
Il était temps que je me coupe du monde, enfin!
C'est ce que je pensais avant de sortir pour me fumer ma dernière clope. Il y avait encore une légère pluie mais surtout, elle était toujours là, accoudée au balcon. Elle commençait à être mouillée comme un sou même si la pluie s'arrêtait.
Quand je vins à sa hauteur, elle semblait avoir déjà déterminé ma présence cette fois-ci.
- Vous vivez pour cette entreprise, monsieur, fit-elle avec un léger sourire sans me regarder?
- Pardon?
- Vous êtes toujours là, le soir. Un des derniers à partir...
- Comment tu le sais, cinglais-je?
Pas de réponses, mais elle me lança enfin un regard. Son visage était mouillé, autant que ses cheveux remplis de petite gouttelettes. Malgré ça, je fus omis d'un doute, à me demander si l'eau sur ses joues était des larmes ou la pluie. La pluie était tellement faible que cela semblait être une évidence.
- Et toi? A ce que je sache, t'as rien à foutre ici.
Elle ignora ma question par une autre.
- Je... Est-ce que je pourrais vous piquer une cigarette, s'il vous plait?
Je fronçais les sourcils, posant ma main sur ma poche. Mais restait septique néanmoins quelques secondes alors que son visage ne laissait rien transparaître.
- Je pensais que t'aimais pas la clope.
Elle se détendit en me voyant lui en tendre une ainsi qu'un briquet. Elle les attrapa avec une certaine nécessité qui m'agaça en repensant au nombre de fois où elle m'a gracieusement évité quand je sentais le tabac.
- Je n'ai jamais dit ça, souffla-t-elle évasive.
- T'as laissé penser le contraire alors.
Elle ferma les yeux quelques secondes en soufflant la fumée avant d'admettre le quiproquo.
- Je ne dois pas sentir la cigarette. Mais ce soir... ça n'a plus d'importance donc autant...
Elle arrêta de parler, se ravisant sur ses paroles. Je renfrognai un mécontentement pendant qu'elle porta la cigarette à sa bouche.
- Bordel, je pensais être quelqu'un de privé mais tu frôles presque l'espionnage. T'es quoi concrètement, parce que j'arrive pas à te sonder, Grimm!
- Vous avez lu mon CV, ricana-t-elle?
- Toujours pas, soupirais-je.
- Il n'y a rien de plus à savoir... Je voulais juste ce travail pour me faire de l'argent et c'est toujours mon objectif. Malheureusement, mon manque d'étude m'a fermé beaucoup de portes et je suis obligée de gérer vos appels, vos papiers et vos rendez-vous. Vous pensez que c'est un quotidien passionnant? Non. Je ne m'attache pas autant à une routine que vous, monsieur. Je la fuis. En tout cas, j'essaye...
- Et c'est quoi, ton objectif? Quand t'aura ton argent après avoir été ma secrétaire pendant je ne sais combien d'année?
- Ce n'est pas que je n'apprécie pas votre compagnie, monsieur. Mais je n'espère pas rester autant d'années à vos côtés. Concrètement, je n'ai pas encore à y réfléchir. Les études que j'ai toujours convoité coutent affreusement chères comme les sciences, la médecine...
- Je vois...
- Il n'y a rien à dire sur moi, soupira-t-elle avant de pouffer. Je ne cache aucun secret inavouable!
La pluie reprenait légèrement. La brune finit rapidement sa cigarette avant de la jeter dans le cendrier le plus proche.
- Je devrai rentrer chez moi maintenant. Merci pour la clope. Bonne so...
- T'habites où?
Elle resta quelques secondes interloquée, déjà prête à partir. La pluie retombait de plus belle alors on alla vivement sous le porche.
- A...à l'est de la ville, répondit-elle sans réfléchir.
- Je t'y emmène. Avec cette pluie, tu vas chopper la crève.
- Voyons... c'est inutile. Il y a un métro en bas de la rue.
- Discutes pas!
____
Depuis qu'elle était rentrée dans ma voiture, Grimm était d'un silence pesant. Ses poings serrés sur ses genoux joints, elle regardait devant elle, mal à l'aise, échappant quelques regards pour m'observer.
La pluie frappait les vitres de la voiture, avec tellement d'empressement que mes essuie-glaces peinaient à faire leur tâche. De ce fait, je roulais lentement dans les rues bondées de la ville.
Puis ce fut plus calme une fois arrivés dans son quartier. Mais soudain, elle sursauta avant de s'exclamer.
- Attendez! Pas plus loin.
Je m'arrête net et je regarde sa main qui avait agrippée mon bras. Elle se ravisa aussitôt en regardant la rue à travers la pluie qui coulait sur la vitre.
- Je... C'est bien, ici!
Je soupirai. Elle m'avait pris par surprise et j'aurai pu tamponner quelqu'un par mégarde. Elle fouilla rapidement pour prendre son sac à ses pieds.
- Je ne sais pas comment vous remercier, monsieur.
- J'aurai eu la flemme de devoir passer des jours à gérer tout ce bordel parce que tu te serais foutue en arrêt maladie.
- Rassurez-vous: même malade, je viendrais vous aider, expliqua-t-elle avec un doux sourire.
- Non, pestais-je! Ne ramène pas de microbes dans mon espace personnel.
Elle pouffa légèrement:
- D'accord, désolée. J'ai trouvé une excuse pour manquer le boulot.
- Je suis pas pour autant laxiste. Profite pas trop de ma clémence, Grimm.
- Je peux vous demander quelque chose, fit-elle avec un air plus sérieux.
- Hum?
- Est-ce que... vous pourriez arrêter de m'appeler Grimm?
- Tch... Tu veux que je t'appelle comment alors, soupirais-je excédé?
- Par mon prénom.
Il y eut un petit silence. J'étais perturbé parce que... elle me souriait. Enfin, ce n'était pas la première fois. Sauf que... ses yeux suivaient. Ce n'était pas que ses lèvres qui s'étaient étirées pour laisser passer un message de bienveillance dû aux conventions sociales. Ses grands yeux noisettes pétillaient et plissaient tant son sourire grandissait.
Mais son sourire disparut quand elle quitta mon regard pour fixer la rue.
J'en avais oublié de lui répondre mais je restais de marbre.
- Vous êtes plus avenant que je ne le pensais, monsieur... A demain, au bureau. Bonne soirée.
Elle ne me laissa pas le temps de placer un seul mot. Elle sortit de la voiture pour se faire assiéger aussitôt par la pluie. Elle mit instinctivement son sac au dessus de sa tête pour courir vers le trottoir. Je suis resté un moment à la regarder partir avant de redémarrer ma voiture pour rentrer chez moi. Je serrai fort le volant en fronçant les sourcils.
Elle m'énerve.
Cet agacement envers elle s'est vite fait oublié quand j'ai trouvé Hanji assise devant ma porte d'entrée. Je traîne du pied jusqu'à elle et remarque ses mains pleines de bouteilles emballées.
J'ai tenté de la chasser mais elle est aussi teigneuse qu'une chiasse; ce n'est pas si facile de s'en débarrasser quand elle est devant votre porte. De plus qu'elle avait déjà commandé des pizzas à mon adresse et qu'elle avait acheté mon whisky préféré.
Je voulais une soirée tranquille. Je me réjouissais d'être enfin seul.
La conversation a dérivé contre mon gré sur ses expériences sociales douteuses et sa manie de vouloir décrypter les gens comme des cobayes.
- Tu as fait quoi? Pestais-je. Tu as parlé de moi à Grimm? Mais mêles toi de tes affaires!
Hanji plaida coupable pour resservir mon verre et me faire oublier ses paroles. Je bois le fond d'une traite avant de me resservir.
- Je me suis mal exprimée, clarifia-t-elle: j'ai papoté avec Violet et la discussion a dérivé vers toi.
- Arrête d'essayer de faire "amie amie" avec mon employé. Tu vas la faire fuir!
- Oh... Parce qu'elle va te manquer?
- Non. Ça me ferait juste chier de chercher une nouvelle secrétaire.
- Bref! Tu n'as pas à t'inquiéter à ce sujet. Cette fille semble vraiment ne vivre que pour son travail. C'est très difficile de lui tirer les verres du nez. Même quand j'ai commencé à pleurnicher à propos de mon manque d'image maternelle, elle n'a pas cillé. Impossible de lui faire cracher le morceau. Je n'ai rien réussi à savoir sur elle.
- Ta mère?
- Oh, ne t'inquiète pas, elle va très bien, soupira Hanji en chassant ce mensonge de la main.
- Elle est juste discrète. Moi aussi, je raconte pas ma vie à tout bout de champ.
- Oui, je pourrais me dire qu'elle est un "Livai bis" si quelque chose ne me turlupinerait pas, fit-elle songeuse. Cette froideur qu'elle a, j'ai l'impression qu'elle l'oublie à certains instants. Son visage va se décrisper puis elle va le réaliser et se renfermer sur elle-même.
Je repensais à ce sourire qu'elle m'a fait juste avant de s'enfuir de ma voiture.
- A quoi tu penses?
- Que ce n'est pas de sa volonté.
Je reste silencieux quelques instants à toiser le sérieux de ma meilleure amie avant de pester, excédé:
- Arrête de te foutre de moi!
Elle eut un rire qui témoignait de son inhibition et chassa ma tentative de frapper son épaule. Et elle renchérit avec cet air malicieux:
- Oh, aller! Elle te plaît, ta petite secrétaire! Il serait peut-être temps de te lâcher. Je sens une frustration sexuelle émaner de toi. Cela fait mille ans que tu es sorti avec une femme! Elle ne va pas te manger, sauf si tu lui demandes...
- C'est ma secrétaire, bigleuse!
- On en revient au syndrome de la secrétaire, s'émerveilla-t-elle!
- Je t'en supplie. Ferme la! Chaque mot qui sort de ta bouche est de plus en plus flippant!
- Ce que t'es agressif! Au lieu de me gueuler dessus, tu devrais t'activer avant que quelqu'un d'autre jette son dévolu sur elle.
- Pardon? Cinglais-je.
- Entre la vieille folle aux chats, Petra l'écolo extrême et Marie qui aime les filles. La boîte ne regorgent pas de canons... en plus de tous les vieux salarimans mariés.
- Et toi?
- Moi, je suis un mystère, susurra Hanji avec un sourire inquiétant. Violet ne correspond pas aux clichés de la secrétaire sexy avec ses vêtements de mamie mais... des regards se tournent derrière elle.
- Tch... Je m'en fous. Toute façon, t'as dit qu'elle était aussi aimable qu'une porte de prison.
- Non, ça, c'est toi! C'est pour ça qu'elle est la femme de ta vie.
- Bois et tais toi!
____
Le lendemain, j'étais tellement préoccupé par mon mal de crâne que je n'ai pas remarqué de suite que mon bureau était vide. Je me suis assis lourdement sur mon nouveau siège en cuir agréablement silencieux pour poser ma tête sur la table, juste quelques secondes.
Après une vaine tentative de recharger mes batteries, je marmonne un "Grimm. Un thé." qui n'eut aucune réponse. J'entendais seulement les appels dans l'open space et les talons agaçant des autres secrétaires.
- Tch... Et si je dis "Violet"? J'aurai le droit à mon foutu thé?
Je lève la tête pour constater que je parlais dans le vide depuis le début. Je claque ma langue dans mon palais avant de me relever et masser mon front quelque seconde.
J'ai trente ans. Je suis beaucoup trop vieux maintenant pour boire en semaine.
C'est en regardant l'heure sur ma montre que j'ai constaté qu'il était neuf heures passées. Elle n'a jamais été en retard une seule fois.
Je ne la paye pas pour qu'elle fasse la grasse matinée. Je n'aurai pas dû la ramener hier soir, elle va penser avoir des privilèges.
J'allais finir par craquer et composer son numéro quand quelqu'un débarqua violemment dans mon bureau. Mais mon regard croisa les yeux injectés de sang d'Hanji. La brune marcha lentement jusqu'à mon bureau pour se laisser tomber sur celui-ci.
- Je viens d'avoir... un appel... un peu étrange.
Sa bouche semblait pâteuse. A la fin de sa phrase, elle reste en suspend, commençant à jouer avec mon agrafeuse.
- Accouches. Tu vois pas que je suis occupé!? Pestais-je.
- Qui essayes-tu de convaincre? J'ai mis dix minutes à atteindre ton bureau et depuis le couloir, je t'ai vu dormir et parler tout seul. On est trop vieux pour ces conneries. On devrait se contenter d'aller dormir à dix-neuf heures pour faire le tour du cadran.
- Qu'est-ce que tu me veux, soupirais-je?
- Violet a appelé. Elle ne sera pas là aujourd'hui?
- Elle a appelé qui?
- Moi. Mon bureau, répéta Hanji. J'avoue ne pas avoir compris. Elle explique qu'elle est malade et prendra des congés les prochains jours.
- Les prochaines jours? Mais est-ce que j'ai l'air en état pour travailler tout seul par ta faute? Malade... Tch...
- Ne fais pas cette mine de chien battu. Elle va revenir, ta petite secrétaire.
- La ferme!
C'était vrai. Violet ne s'est pas présentée jusqu'à la fin de la semaine. Et n'a donné aucune nouvelle ni encore moins un motif à part cette "maladie".
J'aurai pu ignorer cette absence...
Mais... faire son thé soi-même est d'un ennui mortel. Je devais me lever de mon bureau et j'étais obligé de croiser tout mes collègues à la machine. Ils me sortent des "Bonjour!" plus qu'agaçants! Violet me permettait d'y échapper.
Elle fut enfin de retour lundi matin. Elle m'a à peine adressé un regard, plongé dans son ordinateur. Elle m'a fait mon thé qui était correct et m'a rendu son travail comme d'habitude. Ce n'est que lorsqu'elle s'est tournée vers moi pour me tendre mon emploi du temps que j'ai réalisé que son visage était "différent". J'ai compris que c'était son maquillage.
Voyant que je la toisais depuis plusieurs secondes, elle m'a interrogé du regard puis s'est éloignée. Elle a défait timidement ses cheveux coincés derrière son oreille pour cacher son visage. Mais je n'avais nullement envie d'argumenter alors cet incident s'est clos ainsi.
Néanmoins, les semaines d'après ont été différentes. La journée, il y avait toujours un silence de mort appréciable dans mon bureau. Violet travaillait dans son coin avec ses livres de cours, ce qui paraissait logique si elles comptent faire des études.
Cependant le soir, elle trainait au balcon jusqu'à ce que le bâtiment ferme. Donc il m'arrivait de la croiser lorsque je voulais fumer ma clope avant de partir. Elle n'en a jamais accepté d'autres mais a commencé à plus parler d'elle, à petite dose.
Ma théorie s'est confirmée: elle n'est pas anglaise mais allemande. Même si son anglais est tellement parfait qu'on pourrait en douter. Ses parents parlaient les deux langues même s'ils ont apparemment des origines françaises. Un vrai bordel qu'elle n'a pas plus expliqué.
En fait, sa logique m'est inconnue. Après plus d'une demi année, elle semblait sous-entendre qu'elle n'avait pas du tout la somme nécessaire pour partir. Les études coutent chères mais une bonne bourse et on n'en parle plus.
Elle souriait un peu plus. Du moins... j'ai cru le remarquer au fil de nos conversations. Elle ne ressemblait plus à la jeune femme que j'avais embauché. Elle semblait plus sûre d'elle, plus confiante. Même si cette image se cassait quelque fois et qu'elle passait des journées entières muette comme une tombe à mordre ses ongles jusqu'au sang. Une habitude vraiment dégoutante...
Et surtout, elle me sortait toujours ces phrases énervantes du style: "Vous êtes gentil, M. Ackerman", "Vous vous demandez bien ce que vous feriez sans moi, hein?" et "Il faudrait plus d'hommes comme vous".
Comment je suis censé réagir face à ce sourire agaçant? De plus, elle se ravise à chaque fois en rougissant comme une tomate. Et si...
____
- J'ai une question.
De profil, je m'étais surpris à inspecter avec insistance son nez qui faisait défaut à son visage. Lorsqu'elle l'a remarqué, ses sourcils se sont froncés et j'ai sorti la première connerie possible.
Son expression s'adoucit. Elle était à un mètre de moi, évitant évidemment la fumée de ma cigarette. Son bonnet l'avait forcé à détacher ses très longs cheveux qui formaient un véritable bazar sur son manteau en laine vieilli. C'était ça chez elle, je lui trouvai un défaut et une qualité à la fois.
- Vous n'avez vraiment qu'une seule question à me poser, ricana-t-elle?
- Pourquoi tu ne bosserais pas en même temps que tes études? Je n'ai pas forcément besoin de toi tous les jours et t'as les thunes nécessaires, non?
- C'est plus compliqué que ça, murmura-t-elle en détournant la tête?
- Donc mon offre ne t'intéresse pas?
- Je... n'ai pas dis ça.
Je lâche un long soupire alors qu'elle se mura à nouveau dans le silence.
- Mais c'est gentil, murmura-t-elle.
- Tu veux quoi, une augmentation, m'énervais-je?
- Non, je ne veux rien, monsieur. Pour être honnête, je préfère travailler avec vous que pour un vieux patron misogyne et autoritaire. J'ai de la chance car vous étiez mon premier entretien et... vous me faisiez plutôt peur au début.
- Peur?
- Je ne vous cernais pas encore...
Je jetai ma clope au loin, peu préoccupé je l'avoue.
- Et l'amabilité n'est pas votre fort, monsieur.
- Ah oui? Si t'es pas contente, t'as qu'à partir, m'offusquais-je faussement!
- Je n'attendais pas non plus à ce qu'on devienne les meilleurs amis de la terre.
- T'as des potes, au moins?
Elle eut un léger recul et son sourire disparut.
- Ce que vous êtes rude, murmura-t-elle.
Je m'approchai d'elle pendant qu'elle essayait d'éviter mon regard.
- En même temps, quand on est si mystérieuse, cela ne donne pas envie de s'approcher de toi.
Elle allait riposter mais réalisa que j'étais plus proche que jamais. Elle resta hésitante longtemps. Son visage est vraiment trop expressif: ses joues rougirent et ses yeux fixaient les miens avant de les descendre lentement.
L'odeur de tabac ne l'avait même pas repoussé. Elle balbutia quelques mots jusqu'à ce que je sois trop proche d'elle pour qu'elle ne prononce quoique ce soit. Ses yeux s'écarquillèrent et elle s'apaisa aussitôt en me sentant l'embrasser.
Tch... C'était comme je m'en doutais. Elle mord trop ses lèvres au point qu'elles en sont rugueuses. Mais leur douceur est notable et bien différente de mes lèvres fines.
Elle s'était figée quelques secondes avant de s'avancer vers moi. L'espace fut réduit considérablement. Ma main fila entre les mèches de sa nuque. Elle est brûlante, l'inverse de la fraîcheur de ma peau. Je n'avais jamais touché quelqu'un d'aussi chaud.
J'ai cru au court d'un instant qu'elle allait m'enlacer mais attrapa mes épaules pour faire l'inverse. Elle nous sépare pour se retourner aussitôt et murmura son mécontentement:
- Ça suffit tout ça! Je ne suis pas venue ici pour me retrouver piéger avec un autre homme...
Il y eut un silence latent. On entendait juste ses pas remontés et le bruit de la circulation au bas de la rue. Je sentais encore une chaleur qui était lui dû mais qui se transforma en agacement. Le revirement de la situation ne me plaisait pas vraiment. Je fronçais les sourcils pendant qu'elle cachait son visage dans son écharpe.
- Je te demande pardon, pestais-je légèrement vexé de sa réaction?
- On sait très bien tous les deux ce qu'il se passe mais il faut que ça s'arrête, continue-t-elle en levant un regard énervé.
Sa main se leva pour toucher ses lèvres mais elle se ravisa. Même si son expression était sévère, elle était rouge comme une pivoine et ses mains tremblaient. je ne l'avais jamais vu aussi perturbée. Elle roula des yeux avant de souffler:
- Je... Je suis mariée, avoua-t-elle.
La nouvelle eut l'effet d'une bombe. Mariée? Après des mois, elle s'était bien gardée de me donner cette information. Je sentais mes battements jusque dans mes tempes.
- Pardon? Cinglais-je, et tu comptais me le dire quand?
- Ce...ça n'avait pas de putain d'importance!
- Je rêve, soufflais-je en m'éloignant. Pour tromper ton mari, t'aurais pu trouver un autre larbin, bordel!
- Je ne voulais pas le tromper! C'est de votre faute: c'est vous qui m'avez embrassé.
- Parce que tu étais contre?
La brune se fige et redevint aussi rouge qu'avant. Elle allait répliquer mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle attrapa vivement son sac pour s'enfuir, me laissant seul sur ce foutu balcon. Je l'ai regardé disparaître, le sang bouillonnant. Mes nerfs lâchèrent et je donnai un violent coup à une chaise qui tomba bruyamment au sol.
- Je suis trop con, soupirais-je en frappant mon front.
Je pris une grande inspiration avant de sortir mon portable pour composer un numéro.
____
- Mariée? Si je m'attendais à ça? S'exclama Hanji en frottant son verre à sa tempe.
Je finis le mien d'une traite en grimaçant. L'alcool fort brûla ma gorge mais ce n'était pas assez. Je voudrai juste que l'inhibition me fasse oublier ce putain de moment. Mes mains se serrèrent contre mon verre pendant que ma meilleure amie réfléchissait.
- Tu es sûr que ce n'est pas une excuse qu'elle t'a sorti parce que t'es allé trop loin?
- J'en sais rien! Je n'en peux plus de cette fille! Je n'arrive pas à la comprendre, pestais-je en redemandant un verre.
Le serveur n'hésita pas une seconde à me resservir et posa la bouteille à côté de nous, comprenant que nous étions motivés à la finir à deux.
- Elle n'a jamais porté d'alliance et n'a jamais fait mention d'un mari. Tu as vraiment lu en entier son CV?
- On s'en fout. Ça n'a plus d'importance. Bordel...
Je finis une nouvelle fois d'un traite mon verre pendant qu'elle posa ses coudes sur la table, songeuse.
- Elle te plaisait vraiment?
- J'embrasse pas n'importe qui, répondis-je seulement.
Sa bouche se tordit pour une expression embarrassée. Me taquiner sur les sentiments humains que je bannis était sa spécialité, néanmoins la situation était tout autre. Elle était assez mal à l'aise de m'avoir taquiné à propos de Violet et le "syndrome de la secrétaire" alors que celle-ci s'avérait inaccessible.
- Pour être honnête, je pensais vraiment qu'elle s'intéressait à toi, marmonna-t-elle.
- Tu sais ce qui est le pire? C'est que je suis certain que t'as raison. Elle ne m'a jamais repoussé quand je flirtais avec elle et elle m'a serré contre elle avant de revenir à la raison. Je ne sais pas ce qu'il lui ait passé par la tête?
- Livai... Tu ne penses pas qu'elle pourrait être malheureuse en ménage?
- Tch... C'est juste une minette qu'a eu un moment de faiblesse avec plus grand qu'elle. Sa vie personnelle ne me regarde plus.
Je jetai un regard assassin au serveur qui semblait nous écouter d'une oreille. Celui-ci s'éloigna en sifflotant et essuya un verre déjà propre.
Hanji ne sembla pas en démordre sur son hypothèse. Elle me resservit en attirant mon regard vers elle.
- Réfléchis! Elle n'en a jamais parlé à personne, même à moi qui suis sa nouvelle meilleure amie pour la vie, énuméra-t-elle.
- Rêve toujours.
- Elle n'a jamais porté d'alliance.
- Ça arrive.
- Elle a toujours refusé que tu appelles chez elle. Et ne veut pas que ta voiture s'approche trop de sa rue.
- Continue, maugréais-je.
- Heu... Vous vous êtes embrassés, tout simplement. Si elle était heureuse dans sa vie de couple, elle ne t'aurait pas laissé faire ça.
- De toute façon, pestais-je. Ses affaires ne me concernent plus. Désormais, je vais devenir le connard de patron que j'aurai toujours dû être avec elle. Tu sais quoi? Je vais juste l'ignorer. Grimm est ma secrétaire, rien de plus!
Le lendemain, j'étais prêt à mettre cette décision au clair. Cette nana m'a fait faire trop de conneries ces temps ci et je ne dois plus me laisser aller.
Je dois me rappeler que ce qui compte est mon quotidien sans tâche ni accros, dans lequel je vis paisiblement et seul. Seul!
Mon nouveau projet ne fut pas exécuté tout de suite car elle était en retard. Ça commençait mal. Un avertissement, c'était tout ce qu'elle mérite. Et je pouvais dire adieu à mon thé du matin.
Ce n'est que vers neuf heures que je sentis enfin une présence devant l'entrée de mon bureau. Sans relever mes yeux de mes papiers, je sifflais froidement:
- En retard, Grimm? J'espère que t'as une bonne excuse...
Pas de réponses. En plus de ça, elle m'ignore. Je relevais la tête, agacé, mais je tombai sur la mauvaise personne: une grande blonde à lunettes qui bafoua des mots incompréhensibles. Elle avait un accent allemand très prononcé qui rendait la communication compliquée.
- Vous êtes qui vous, cinglais-je sévèrement?
- Hem... Je cherche Violet Fiducia. On m'a dit que je la trouverais ici...
Fiducia? Alors c'est ça son nom de jeune fille. Plus logique vu ses origines françaises. Elle ne m'avait pas menti à ce sujet.
Voyant que je ne répondais rien en la toisant, elle enchaina:
- Enfin, peut-être qu'elle s'appelle encore Grimm. J...je ne sais pas où...
- Elle est pas là, répondis-je brusquement. Elle est en retard.
Mal à l'aise, l'allemande regarda autour d'elle avant de sortir un petit cahier et griffonner quelques mots.
- Dans ce cas, vous pourriez lui dire que...
- Iris!
La voix apeurée de Violet avait percé le silence de l'open space. La blonde se retourna aussitôt pour que je puisse l'apercevoir courir. Dès qu'elle fut à sa hauteur, elle sauta dans ses bras sans retenue. J'assistai à la scène avec des yeux ronds, sans remarquer que mon stylo bavait sur ma feuille à côté de ma signature.
- Iris, was machst du hier? S'exclama aussitôt Violet.
- Du weißt nicht, was ich alles durchmachen musste, um dich zu finden! Seit deiner Hochzeit hat in Deutschland niemand mehr von dir gehört!
Tch... Je comprends rien de ce qu'elles débitent avec autant d'entrain. J'aurais dû plus prêter attention à mes cours d'allemand au lycée.
Elles ont continué leur charabia germanique sans se soucier de ma présence. La voix de Violet était tremblante, donnant l'impression qu'elle était au bord des larmes. Elles se serraient les mains fermement, comme si on pouvait les séparer à tout instant.
Après un silence, la brune s'est tournée vers moi pour enfin constater que j'étais là depuis le début de la conversation. Après ça, sa tristesse transvasa vers de la gêne. Sûrement par l'intrusion soudaine de cette étrangère dans mon bureau et aussi pour notre dérapage d'hier soir.
- Excusez moi, monsieur. Iris est une vieille amie d'Allemagne.
- J'avais cru comprendre, soufflais-je. T'es en retard, d'ailleurs.
Elle s'excusa encore avant de reporter son attention vers mon amie:
- Komm schon, wir sollten woanders reden.
Je les vis s'éloigner, me laissant comme un con sans plus d'explications. Je protestai:
- Hé Grimm, t'es déjà arrivée en retard. Tu ne vas pas non plus te tailler deux minutes après.
- Wer ist dieser Idiot? Marmonna la blonde.
- Parles moi meilleur, gamine. J'ai compris ce que tu viens de dire! L'"imbécile" est son patron qui l'attend depuis plus d'une heure. J'avoue m'attendre à un peu plus de justifications quant à cette intrusion soudaine avec ces retrouvailles dégoulinantes.
- Du Bast...
- Allons, Iris, murmura doucement Violet en la retenant. Pas la peine de s'énerver. M. Ackerman a raison. J'ai été incorrecte.
Elle avait agrippé la manche de son amie qui semblait assez titillée par mes remarques. Je lui lançai un regard de défi mais Violet nous sépara en s'approchant de moi. Elle se pencha contre mon bureau pour me chuchoter.
- Dix minutes, s'il vous plait. Je n'aurai pas d'autres occasions de la revoir. Et après, je vous dirais tout ce que vous voulez.
Elle avait pleuré, cette nuit. Je le voyais à ses yeux gonflés. Mais son regard aspirait plus à une peur certaine. De moi?
- Accordé, marmonnais-je perturbé.
Elle s'enfuit aussitôt avec l'allemande qui me lança un regard lourd avant de suivre son amie. Je me retrouvai seul et soupirai fort. Ma résolution de patron colérique s'est vite envolée quand je l'ai vu avec ce visage rougie courir vers son amie.
Elle m'énerve encore plus.
___
Une clope. J'en ai besoin. Après une réunion avec Auro qui a tendance à me taper sur le système, c'est le seul moyen de ne pas me servir du premier larbin que je croise comme un punshing ball.
Le hasard, plus qu'agaçant ces temps ci, avait ouvert les portes du septième ascenseur sur la brune, cachée dans un des angles. Elle n'a pas remarqué ma présence de suite quand je suis rentrée, fixant un petit papier blanc que je reconnus appartenant au carnet de l'allemande. Je n'avais plus envie d'engager la conversation, n'oubliant certainement pas la manière dont elle m'avait repoussé hier.
Ce n'est que lorsque l'ascenseur s'arrêta qu'elle leva la tête pour vérifier l'étage. Puis elle porta son attention sur moi et son visage se crispa aussitôt. Je la toisai silencieux, l'air le plus nonchalant possible.
Après un flottement, on réalisa tous les deux que les portes ne s'étaient pas rouvertes. Je roulai les yeux avant d'appuyer sur le bouton de l'ouverture des portes. Aucune réponse et même aucun bruit de la part de l'appareil.
- Fais chier, murmurais-je en passant une main dans ma nuque rasée.
- C'est... Il est bloqué?
- J'en sais rien, cinglais-je. Ça m'en a tout l'air.
C'était bien ma veine: me retrouver coincer dans un ascenseur de mon entreprise avec la personne la plus agaçante de cet endroit. J'appuyais nerveusement sur le bouton à plusieurs reprises sans lui prêter un regard. Le silence était gênant.
Complètement à bout de nerf, je donnai un grand coup au plateau de bouton qui n'eut aucune réaction. Je claquai ma langue contre mon palais. Et c'est alors que je sentis une soudaine présence beaucoup trop proche de moi. J'eus à peine le temps de me retourner que des mains glacées encadrèrent mes joues et le visage de Violet s'approcha dangereusement de moi.
Un cliché vient bien d'une certaine réalité. Le patron et la secrétaire... dans l'ascenseur bloqué.
Ce baiser n'avait rien à voir avec celui d'hier qui avait été maladroit et presque à sens unique. Bien que je suis resté de marbre, je me suis surpris à remuer mes lèvres contre les siennes. Ses mains qui n'avait pas trouvé de chaleur sur mes joues descendirent dans ma nuque.
C'était la première fois... que je me sentais... faiblir.
Mais dès que ma main passa le bas de son dos, elle s'éloigna en ne m'adressant qu'un bref regard désolé.
- C'est quoi ton putain de problème, Grimm, pestais-je pendant qu'elle repartait à l'opposé?
- Ne m'appelez pas Grimm!
Elle resta de dos, les bras croisés à fixer le mur en métal où elle devait voir un reflet déformé verticalement.
- Ah, oui? Tu es sûre car je ne sais jamais si nous sommes sur la même planète, toi et moi. Je t'ai déjà dit que je ne serais pas un con avec qui tu pourrais trom...
- Est-ce que je vous ai déjà pris pour un "con", m'interrompit-elle en se tournant de profil? J'ai toujours eu du respect pour vous, monsieur. Je suis... désolée que mes sentiments vous ai perturbés.
- Tes sentiments?
Un silence. Elle resta immobile à fixer le sol, très nerveuse au vu de sa posture. Je crois que je ne l'avais jamais vu aussi mal à l'aise.
- T'étais pas mariée aux dernières nouvelles?
- Oui, avoua-t-elle lourdement. Je le suis.
Un autre silence. Je crois que je pourrais entendre son cœur battre à deux mètres d'elle. La situation de l'ascenseur ne nous préoccupait plus du tout.
- Je...
Ses épaules se baissèrent. Sa voix avait déraillé. Je réalisai qu'elle pouvait exploser à tout instant.
- Qu'est-ce que tu veux? Demandais-je plus calmement.
- Vous avez gâché... tout ce que je voulais entreprendre, s'empressa-t-elle de dire en se tournant vers moi.
Une larme avait déjà coulé sur sa joue mais son visage était plus énervé que triste, même si ses lèvres tremblaient. J'allais riposter mais elle enchaîna:
- Je voulais... juste un travail pour gagner du fric et quitter ce pays. Je ne pensais pas vivre ça...
- Ça, quoi?
- Tomber amoureuse de vous!
Je tombai de haut pendant qu'elle recula encore plus pour se laisser tomber contre le mur et plier ses genoux contre elle. Je restai sans voix alors qu'elle sanglota doucement. Un sentiment presque protecteur m'enveloppa et je voulus m'approcher d'elle.
- Tu pourrais expliquer autrement qu'avec ces phrases ambiguës? Je ne comprends jamais ce que tu essayes de me dire, Violet!
- Qu'y avait-il d'ambiguë dans ma phrase, souffla-t-elle en se détendant?
Mon cerveau chercha activement une justification qui ne vint pas. Je n'en trouvais aucune de ces maudites phrases qu'elle me sortait tout le temps et qui m'énervaient.
- Comme on a l'air d'être bien coincé dans cet ascenseur pour un bout de temps, reprenons depuis le début, rétorquais-je.
- Vous ne pouvez appeler personne? Renifla-t-elle.
Je lui tend un mouchoir, un peu dégoûté.
- Mon portable ne capte pas et j'ai peut-être pété le panneau d'appel d'urgence. De toute façon, ils se rendront bien compte à un moment donné que cet ascenseur est bloqué et que nous serons abonnés aux absents.
- Vous avez sûrement raison. J'espère juste que ce ne sera pas trop tard.
Il n'y eut que le bruit peu gracieux de la brune qui se moucha le plus discrètement possible, toujours recroquevillée contre elle.
- Bon alors, qu'est-ce qu'il se passe avec ton mari pour que tu veuilles te taper ton patron?
- Oh, monsieur... Pourquoi vous êtes toujours aussi cassant?
- Je dirais pragmatique.
Elle esquissa enfin un sourire léger puis s'assit plus confortablement sur le sol froid, redescendant sa jupe sur ses genoux.
- Pour être honnête, je suis tellement perdue que ça ne me gène plus de me confesser à quelqu'un. Ça me libèrera un peu, je l'espère.
- Ne me prend pas non plus pour ta meilleure amie pour la vie à qui tu peux tout dire. J'ai pas une gueule à aimer les potins.
- Vous voulez que je vous explique ou pas? S'entêta-t-elle.
- Je ferme ma gueule.
Je m'éloignai un peu pour m'adosser au mur d'en face. Elle passa ses cheveux derrière ses oreilles, réfléchissant sûrement à comment elle allait entamer son récit. Elle soupira péniblement:
- J'ai épousé Tyler il y a deux ans.
- Tyler? Répétais-je. D'où ton déménagement en Angleterre. Attends... t'avais dix-huit ans? Est-ce que c'est légal même?
- Oui... Tyler Grimm était un homme que j'avais rencontré adolescente. On avait le même âge et il semblait m'apprécier. J'étais plus réticente. J'avais assez de problèmes à régler pour en plus avoir un copain dans les pattes.
- Mais tu l'as épousé à dix-huit ans?!
- Monsieur, vous n'avez pas toute l'histoire. Épouser Tyler était une question de survie: il n'y avait rien qui s'apparentait à de l'amour pour moi. Et j'étais étonnée qu'il ne s'en soit pas rendu compte tout de suite, aveuglé par ses sentiments.
- Tu l'as épousé sans l'aimer pour partir en Angleterre?
Elle ricana ironiquement, aussi blanche qu'un linge. Depuis le début de son récit, elle fixait le sol sans expression apparente et elle leva enfin les yeux vers moi.
- J'en ai payé le prix fort. Tyler a vite compris mon intention. Quand il a réalisé que je ne l'aimais pas et que je m'étais servi de lui, il est devenu fou de rage. J'ai compris que ce n'était pas de l'amour mais une obsession qu'il avait pour moi. Je pouvais excuser sa peine, pas ses coups ni sa jalousie.
- Il était violent? Remarquais-je en sentant mon sang bouillir.
- Oui. Il connait le pouvoir qu'il pouvait avoir sur moi avec cette forme d'abus. Il l'utilise contre moi. Si j'avais été plus maline, je me serais rendue compte qu'il n'y avait rien de bien chez lui et que me marier était la pire idée que j'ai jamais eu. Mais à l'époque, cela me semblait être la meilleure solution. J'étais désespérée!
- Et tu vas divorcer?
- Oui, bien sûr. C'est pour ça que je travaille. Pour en premier temps quitter cet appartement.
- Parce que tu vis toujours avec lui? M'énervais-je.
Lorsqu'elle me racontait tout ça, je n'imaginais pas qu'elle vivait encore sous le même toit que ce type. D'un coup, toute son attitude étrange au cours des derniers pris sens.
- Oui, je n'ai jamais dis le contraire, fit-il avec une légèreté qui m'agaça.
- Mais pourquoi? Casse toi de cet appart et divorce!
- Hé, c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire. Avant ce travail, je n'ai pas gagné un seul penny de toute ma vie. Je suis dépendante financièrement de Tyler. J'ai réussi à le convaincre d'avoir ce travail afin d'éponger nos dettes qu'il a cumulé aux fils des ans. A plusieurs conditions: ma manière de m'habiller, à ne parler avec aucun homme et ne pas me faire d'amis. Je dois justifier mes journées et mes retards. Je n'ai pas le droit de passer le permis. J'ai même été obligé de mentir sur votre sexe pour qu'il accepte. Peut-être que de votre point de vue, vous ne pouvez pas me comprendre mais je n'ai réellement pas d'autres choix que d'attendre d'avoir assez d'argent. Je dois payer ses foutues dettes et le loyer chaque mois donc mes réserves se remplissent terriblement lentement. Je n'ai même pas de quoi embaucher un avocat pour une procédure de divorce.
- Porte plainte. Si tu subis des putains de violences conjugales, tu en es tout à fait légitime!
Je parlais si vite tellement je me sentais furieux. Encore une fois, la brunette esquissa un sourire sarcastique.
- Parce que vous pensez que j'ai confiance en la police? Toute ma vie, elle m'a fait défaut dès que j'ai essayé d'appeler à l'aide. Des dizaines de fois et avec des preuves flagrantes.
- Enfin merde! Restes pas dans cet endroit avec ce connard.
- Monsieur, je n'ai pas d'amis ici. Je ne connais personne. Tyler m'a coupé de toute la vie que j'avais en Allemagne. S'il apprend que j'ai vu Iris, je suis morte. Je ne donne pas cher de ma peau si je tente de fuir. J'ai déjà essayé. Ne pensez pas que je ne me suis pas débattu. Mais quand un homme qui était censé vous protéger et qui fait deux fois votre carrure vous attrape...
Elle ne finit pas sa phrase, le regard dans le vide.
Merde, si j'avais su...
- Et... une famille?
Ma question eut l'effet d'un coup poignard sur elle. Elle se crispa aussitôt et d'un coup, un flot de larmes humidifia ses yeux déjà bien rougis. Mais son regard était vide, comme si toute notion de vie avait disparu. Je regrettai aussitôt ma question en constatant un visage aussi meurtri.
Elle leva lentement sa main vers son oreille qu'elle pointa du doigt.
- Vous savez pourquoi je sursaute sans cesse quand vous arrivez vers ma gauche, demanda-t-elle faiblement?
Je fis un léger non de la tête. Elle esquissa un sourire très dérangeant, ses yeux semblaient avoir perdu toute leur vitalité.
- Je suis sourde de cette oreille. Ce n'est pas inné: j'ai perdu l'audition le jour où mon père m'a assommé avec une barre du radiateur.
Je blêmis en imaginant la scène mais elle ne me laissa pas le temps de répondre qu'elle retroussa ses manches pour découvrir ses bras remplis de petits points rouges. Je crois que j'avais tellement de sang qui affluait dans ma tête que mes oreilles bourdonnaient.
- Ça, ce sont toutes les cigarettes que ma mère a éteintes sur ma peau. Elle faisait ça depuis que j'étais gamine. J'en ai aussi sur les jambes et... le dos.
Elle releva ses grands yeux vers moi. Mon ventre était douloureux, comme si j'allais vomir à tout instant. Ce sourire qu'elle avait et qui me mettait mal à l'aise n'avait pas disparu.
- Vous voyez, monsieur? Je suis habituée à ce genre de chose. Voilà la raison pour laquelle j'ai cru en Tyler.
Je tombai à genoux en face d'elle et pris son visage entre ses mains. Elle avait cessé de pleurer, comme si elle m'avait raconté quelque chose banal et cela en devenait encore plus effrayant.
Je regrettais désormais chaque mots que je lui avais dit et chaque pensée que j'ai pu avoir. La femme complètement froide et distante avait disparu. Je ne voyais presque qu'une petite fille qui appelait à l'aide.
Et je ne pouvais que comprendre non sans mal sa détresse au vu de mon passé.
Malgré le fait qu'elle venait de m'avouer vivre les pires abus depuis sa plus tendre enfance, son visage entre mes mains se détendit.
- Je ne suis jamais tombée amoureuse. Je crois que j'ai eu un peu peur quand vous m'avez embrassée.
Étrangement, la première réponse qui sortit de ma bouche fut: "Moi aussi". Mais son sourire disparut. Elle attrapa mes poignets pour descendre mes mains sans pour autant les lâcher. Malgré moi, je jetai un regard à son oreille gauche qui ne semblait pas sortir de l'ordinaire. Néanmoins, je me souvins des nombreuses fois où je l'ai traité de sourde, agacé qu'elle ne m'entende pas.
En fait, de son point de vu: toutes les choses que j'ai passé au fil des mois à lui reprocher sont des défauts qui ne sont pas de son ressort. Ce n'était juste pas de sa putain de faute mais elle n'a jamais rien dit, elle n'a jamais rétorqué. Et j'aurai vraiment pu passer pour le pire des connards à lui rappeler ses fautes et ses injures... Alors pourquoi?
- C'est ironique... toute cette situation, souffla-t-elle.
Elle avait joint mes mains pour les serrer entre les siennes. Elles étaient toujours glacées. Cependant, le température assez basse était justifiable.
- Mais ça m'a fait du bien de parler avec vous, Livai...
- Je peux t'embrasser, demandais-je sans réfléchir?
Elle acquiesça doucement.
A suivre
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