68. Nouveau projet

Les deux mois précédant mon accouchement, Iris et Hanji passaient de temps à autre à la maison dès qu'elles pouvaient se libérer. Cela me faisait du bien de voir d'autres visages et prendre des nouvelles du bataillon d'exploration. J'avais hâte de retourner travailler à leurs côtés. 

Et cela leur faisait plaisir de voir Eduard qui s'épanouissait tranquillement. Les bébés étaient assez rares dans notre entourage de soldats. D'habitude, c'était plutôt la mort que nous fréquentions. Alors, entendre les petits babillements d'un enfant étaient rafraichissant pour nous tous. Cela nous rappelait l'importance de la vie humaine et ce pourquoi nous nous battions. 

- D...doucement, Hanji, sermonnais-je. Ce n'est pas un jouet.

La brune s'amusait à le maintenir en l'air pour faire mine qu'il marchait.

- Ne t'inquiète pas, ma petite Violet. Je sais m'y faire avec les bébés, ricana bruyamment ma majore. 

Heureusement que Livai n'était pas là pour voir ça. Il beaucoup moins tolérant avec elle que je ne le suis. Je l'entendais dans la cuisine en train de préparer le dîner alors que nous étions toutes les deux assises sur le sol du salon, près du parc en bois. 

- Tu as des enfants dans ta famille? Demandais-je, intéressée par le passé mystérieux de ma supérieure.

- Aucune idée, fanfaronne-t-elle en haussant les épaules. Mais après tout, cela ne doit pas être si compliqué de s'occuper d'un bébé.

J'haussai un sourcil, peu convaincue par les aptitudes d'Hanji à ce sujet. Elle excellait militairement et en ce qui concernait des titans. Le reste était plus ardu; il lui arrivait encore d'oublier de manger ou de prendre une douche alors je doutais de sa capacité à donner les soins essentiels d'un nourrisson. 

Hum... Nous aurions peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de faire d'elle la marraine d'Eduard. Elle semblait tellement sûre d'elle. C'était avant qu'elle essaye de le faire planer au dessus du vide pour voir s'il... pouvait rebondir.

Elle fit asseoir le bambin entre ses jambes et s'amusa à remuer ses bras comme lors d'une pièce de théâtre, imaginant tenir une marionnette.

- Tu n'as pas de famille?

- Hum... Si, répondit-elle évasive, semblant vouloir éviter la question.

Je ne pouvais que comprendre car j'ai toujours caché mes vraies origines. Je savais qu'il faudrait que je lui avoue la vérité un jour.

- Hanji... Quand tout ça sera fini, que les titans auront disparu, que vas-tu faire?

Elle releva un visage plus sérieux vers moi, continuant de remuer les bras d'Eddie dans le vide.

- Je suppose que je n'aurais pas le temps de m'ennuyer. Le monde à l'extérieur des murs doit nous réserver tellement de choses. Ils ont l'air beaucoup plus évolués que nous technologiquement. Nous aurons plein de choses sur lesquels travailler, Violet!

Je souris en me sentant incluse. J'étais heureuse car même après ma grossesse, Hanji ne m'a jamais écartée de nos projets. Elle était ma majore certes, mais elle était aussi mon amie, ma consœur. Je la connaissais depuis aussi longtemps que Livai.

- J'y compte bien, murmurais-je.

- Livai aura sa petite boutique de thé et nous aurons notre laboratoire à nous. Je suis tellement excitée de pouvoir apprendre tous leurs savoirs comme la photographie par exemple. Une image fixe, figée dans le temps, capturée grâce à la lumière. Je m'en réjouis d'avance...

....

Une photographie.

La première et la seule que nous ayons faite.

Une photographie représentant notre famille, quelques mois après la naissance de Marilyn. L'image n'était pas parfaite mais c'était terrifiant de réaliser à quel point cela n'avait rien à voir avec un dessin.

J'ai passé l'enfance d'Eddie à dessiner le visage de son père pour qu'il essaye de l'imaginer. J'aurai voulu avoir une photographie de Livai pour pouvoir la garder avec moi à chaque instant. Et d'Hanji, aussi...

J'ai l'impression que son visage disparait dans ma tête alors que je pensais savoir exactement à quoi il ressemblait. 

"Elle s'est excusée... pour les bagues."

C'était les seuls mots que mon mari m'avait expliquée au sujet de sa mort. Après, il s'est muré dans un silence et il n'a plus jamais reparlé d'elle. Après tout, je ne savais pas si j'avais également envie d'en parler. La plaie était encore trop béante.

Quelques fois, j'imaginai ma vie à Mahr si Hanji était toujours en vie. Peut-être que c'était vrai: nous aurions eu notre laboratoire... et nos recherches ne se seraient jamais arrêtées.

Mais j'ai tout laissé tomber et je me suis contentée d'être une mère.

- Maman, qu'est-ce que tu fais?

Je reposai le cadre sur le meuble nonchalamment, ne le quittant pas des yeux. Je suis restée dans mes pensées, oubliant de répondre à mon fils qui avait heureusement l'habitude de ne pas réitérer ses questions. Il était de plus en plus calme ces temps-ci, depuis l'altercation avec ses camarades. Il devenait un grand garçon. 

Je soupirai longuement, maintenant ma tête à l'aide de mon coude en dévisageant toujours cette famille à l'apparence parfaite. Eduard avait été très demandeur et Marilyn chouinait beaucoup cette journée-là. Livai était sur les nerfs et se défoulait sur le pauvre photographe. Ce n'était pas un si bon souvenir même si le résultat semblait avantageux.

- Une boutique de thé, murmurais-je.

Il y eut un long silence. Eduard n'a pas dû prêter attention à mes paroles. Je l'imaginais concentré sur son puzzle. Je tournai lentement la tête en bout de table où était assis mon mari. Il était également penché sur le puzzle que j'avais complètement délaissé. Mais il me regardait avec intérêt, lui. Il avait dû entendre mon murmure. Il haussa légèrement la tête, sûrement pour me demander de développer le fond de mes pensées. Cela devait faire dix bonnes minutes que je m'étais murée dans le silence mais cela nous arrivait régulièrement de faire ça alors nous n'en tenions pas rigueur.

Quelques fois, Livai ou moi avions besoin de faire le vide dans nos têtes.

- Tu étais sérieux... le soir où tu as avoué vouloir avoir une boutique de thé?

Mon époux ne me répondit pas de suite, semblant réfléchir. Il semblait tendu, ses sourcils se fronçant et le regard assez bas. Eduard n'aimait pas quand son père semblait si sérieux. Il ne l'aurait pas supporté dans nos jeunes années: Livai était moins "jovial" qu'il ne l'est désormais. J'enchaînais pour briser ces silences qui commençaient à devenir lourds.

- Te connaissant, cela ne m'avait pas étonné. Nous venions à peine de nous marier, tu t'en souviens?

Evidemment qu'il s'en souvenait, mais j'étais à court d'arguments. Le noiraud se contenta de soupirer avant de prendre une pièce et lui trouver la bonne place. Sa main quitta sa joue pour prendre attraper sa tasse et finit de boire une gorgée avant de répondre: 

- C'était une simple idée. Pas quelque chose de concret.

- Oui... parce que tu ne te l'imaginais pas. Mais maintenant? On n'en a fini avec l'armée et... je sais que tu t'ennuis.

Il quitta le puzzle pour relever ses prunelles froides vers moi. Je n'étais plus impressionnable comme lorsque j'étais une simple petite subordonné. Je soutiens son regard avec tellement d'aplomb qu'il tiqua: 

- Tu réalises ce que tu me racontes? On parle d'ouvrir un commerce, ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère.

Je n'en démord pas, me penchant vers eux. Notre fils avait cessé de trier les pièces pas couleurs pour alterner son regard entre nous. Il sentait toujours quand la discussion n'était pas anodine et dessellait nos tensions. 

- Oui mais... on sait tous les deux que le thé est l'une des choses que tu affectionnes le plus. Et puis... nous avons des économies des côtés. On pourrait faire un empreint à la banque et...

- Et si on fait faillite? Je te rappelle qu'on a deux gamins, cingla Livai en montrant d'un signe de tête Eddie. On a des responsabilités qui vont au delà d'un caprice de passionné. 

- Pourquoi tu regardes le verre à moitié vide, soupirais-je? Réfléchis posément à cette idée. Mais je suis sûre que faire quelque chose de tes journées te ferait du bien.

- Tu vas avoir un magasin, papa?! S'exclame Eduard qui ne pouvait plus se retenir. Je pourrais t'aider? Même si j'aime pas trop le thé.

- Tch... Calme toi, gamin, peste Livai en caressant le haut de sa tête. C'est une discussion entre ta mère et moi.

- Pourquoi ferait-on faillite, enchaînais-je? Je ne vois pas de raisons. Il n'y a pas de boutique de thé dans notre quartier et nous avons un fournisseur personnel qui nous connait bien dans la région car tu n'aimes pas les autres magasins de la ville.

- Parce qu'ils mélangent leur thé comme de la merde. Et leurs boîtes coutent une blinde. Et leurs locaux sentent mauvais...

Je tiquai au gros mot mais je n'avais pas le temps de rouspéter.

- Justement, tu t'y connais assez pour que ça marche. Livai...

Mon époux souffla une longue expiration en croisant ses bras devant lui, reculant définitivement de la table. Eddie le regardait avec des yeux ronds, toujours aussi émerveillé par ce que pourrait accomplir son père. Le noiraud esquivait volontairement son regard brillant pour ne pas être influencé. 

- Hum... Je vais y réfléchir.

___

- Une boutique de thé, s'émerveille Edith!? Mais quelle merveilleuse idée!

- Tu trouves, marmonna Iris? Avec l'amabilité du grincheux, je ne suis pas sûre qu'il acquiert une clientèle fidèle.

Le couple se regarda, apparemment avec des opinions différents. Je finis la gorgée de mon thé et mordis dans mon gâteau au chocolat. Dory, qui n'avait pas donné son avis jusqu'à lors, pouffa légèrement dans sa tasse. Après avoir évidemment essuyé avec grâce un coin de sa lèvre et ricaner sournoisement.

- Le caporal-chef Livai est populaire dans la ville. S'il venait à ouvrir une boutique, je suis certaine que tout le monde se ruera à l'intérieur, amena-t-elle en faisant tinter sa cuillère.

- Il n'est plus caporal, rectifiais-je.

- C'est vrai que vous vous montrez tellement peu mise à part pour vos enfants que tout le monde se pose mille et une questions sur vous, expliqua la docteure. Il m'est arrivé d'avoir des patients plus intéressés par votre maison que leur maladie.

- Nous sommes si connus que ça, remarquais-je?

Mes amies me regardèrent avec des yeux ronds. Il était peut-être véridique que nous évitions un certain nombre d'invitations à des réceptions, celle des Montgomery nous ayant déjà assez refroidis. 

Livai et moi sortions peu de notre maison, si ce n'est pour emmener nos enfants à l'école ou que j'aille voir mes amies. Je n'en voyais pas vraiment l'utilité et Livai encore moins. Il n'avait pas envie de se faire de nouveaux amis.

- N'empêche... J'ai hâte de voir ton mari s'occuper de clients sans finir par leur botter le cul. Il mettra une raclée à n'importe qui, qui salirait sa belle boutique. Plus personne n'osera rentrer sous peine de se faire asperger de produit d'entretien.

La remarque d'Iris était très similaire à celle d'Hanji. Je souris faiblement; elles n'avaient pas forcément tord.
Je sentais le regard lourd d'Edith qui m'avait expliqué un jour que mon mari semblait souffrir d'un véritable mal à propos de la saleté, qui trouverait racine dans son enfance. Ce qui semblait normal au vu de ce qu'on m'avait raconté de la ville souterraine. 
Livai ne serait pas vraiment lui sans son obsession pour le ménage et je m'en suis accommodée. Peut-être même que je n'ai pas envie qu'il change... 

- Moi, je trouve que c'est une bonne idée que Livai se trouve une occupation, fit Edith en s'accoudant à la table. Tourner en rond dans cette maison n'est pas forcément une bonne chose quand on traite autant de traumatismes.

- Sympa pour Violet, rétorqua ma meilleure amie!

- Ce que je veux dire, c'est que Violet trouve son réconfort auprès de ses enfants et des gens qu'elle aime. Le bagage n'est pas le même entre les deux. Livai est profondément atteint par les évènements de la guerre. Ce n'est ni de sa faute ni celle de Violet s'il n'arrive pas à avoir une vie normale.
Iris, toi, tu as repris l'armée car c'était ce que tu aimais. Livai pourrait peut-être aimer ce nouveau projet.

- Je ne sais pas s'il pourra se contenter de ça. Mais c'est tout ce que j'ai trouvé. Nous avons de la chance car l'argent n'est pas un problème pour nous.

- Vous allez l'appeler comment, interrogea Dory?

- Je ne sais pas encore.

___

- Chez Livai?

- Non.

- La boutique de thé Ackerman?

- Non.

- Le thé à papa!

On se retournait vers Eduard qui avait interrompu dans notre semi-dispute dans le salon à propos du nom de la boutique.

- Té papa! Répéta Lyn.

- Temps mort, pesta Livai. Eduard, reste en dehors de ça. Lyn, on s'en fiche, tu piges pas encore ce qu'on te raconte.

- Pourquoi? "Le thé à papa" ne te plait pas, pouffais-je?

Livai me lança un regard noir en chassant notre fils de la pièce d'un coup de main. Le brun s'en alla en bougonnant de ne pas être inclus dans la conversation. Il allait nous le rappeler, je le sentais. Surtout quand il s'agissait de son père.

- On parle de ma boutique, à ce que je sache. Et on rénovera l'avant de la maison.

Mon sang ne fait qu'un tour en imaginant la devanture de ma maison détruite pour être remplacée par sa boutique. Mon jardin adoré... Mes pots de fleurs... Mon pommier... Mon perron... Mon main se posa frénétiquement dans ma poitrine où je sentis mon cœur bondir. 

- Tu veux ma mort? Pas question que tu touches à ma belle maison, rétorquais-je! On achète le local qu'on a visité la semaine dernière!

- Celui où on a vu un rat mort? Tu rêves? Je ne fous plus un pied là bas, répliqua mon mari, le visage étrangement livide face au souvenir. 

- Je ferais le ménage s'il le faut. On le rénovera et il sera tout neuf en un rien de temps.

- Tu me fais marrer. J'ai plus ma force d'antan, je te signale. Et on ne va pas dire que t'as fait quelque chose pour entretenir la tienne. Cela nous prendra des années à nous deux.

- On aura des travaux à faire dans tous les cas! C'est beaucoup plus évident de rénover ce local que détruire la devanture de ma belle maison. Et puis, on va manquer de place à quatre au premier étage. Je préfère que la boutique soit à part de notre foyer.

Ce projet a créé beaucoup de discorde entre mon mari et moi. Et nous n'étions pas au bout de nos peines pour les mois à venir.
Néanmoins, j'étais heureuse que Livai s'investisse enfin dans quelque chose. Ma priorité était qu'il trouve le bonheur qu'il n'a jamais pu avoir à mes côtés. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top