63. L'amour d'une mère
Pendant que la grossesse progressait lentement, j'ai réfléchi plus posément aux prénoms que mon mari m'avait proposé. Après tout, je n'avais pas d'excuses pour les refuser. Livai a accepté sans broncher "Eduard Philémon". Je devais en faire de même.
Les mois avançaient et ce que je redoutais le plus, c'était l'entrée d'Eduard à l'école. Il n'allait pas y échapper. Mais j'avais très peur de le laisser tout seul là bas, nous n'avons jamais été séparé longtemps lui et moi.
Je sentais comme un air de changement dans ma vie. Je devais y être habituée avec le temps mais quelques fois, j'aspirais à plus de tranquillité désormais.
- Violet, je dois t'avouer quelque chose, me fit Iris pendant qu'elle m'aidait à décorer la chambre du bébé.
Dans la maison que nous avions acheté avec mon époux, il y avait plein de pièces réservées à nos passes temps. Livai, à la lecture principalement et moi, à la couture. Nous en avons sacrifié une pour le bébé. Il allait être à côté de notre chambre même si je pense que les premiers mois, il dormira avec nous.
- Tu devrais te reposer, continua Iris d'un ton sermonneur. Tu es bientôt à terme. Laisse moi faire.
- Qu'est-ce que tu voulais me dire, demandais-je en m'asseyant lourdement sur le fauteuil?
- Eh ben, en fait... Tu sais, depuis que nous sommes ici, j'ai pris une pause pour réfléchir à ce que je voulais faire.
- Hum, hochais-je pour qu'elle continue.
- Et... j'en ai conclu que je voulais reprendre l'armée.
- A...ah bon?
- C'est la seule chose que j'ai toujours su faire et que j'ai fait pendant des années. Je ne me vois pas partir dans un autre domaine. Edith est un peu mitigée face à la question mais elle ne comprend pas tout ce que cela implique.
- Tu... participerais à l'armée de Mahr, interrogeais-je songeuse?
- Entre autre et... je me demandais si... après ton accouchement, si tu voulais reprendre avec moi. Tu as toujours aimé l'armée. Tu t'es donnée dans ton rôle de capitaine à cœur joie!
Je n'avais même pas besoin de réfléchir une seule seconde à la question que je soufflais:
- Non.
- Non, répéta Iris?
- Non, j'en ai fini avec tout ça. Livai aussi. On ne veut plus en entendre parler: la guerre, la politique, les complots et j'en passe... Certes, j'ai été heureuse autrefois en étant une soldate. J'en étais fière et je n'aurai changé pour rien au monde. Mais... j'ai perdu tellement aussi. J'en ai plus souffert ces dernières années. Je n'ai plus le cœur pour m'attacher à des gens que je risque de perdre. Et je ne peux plus me permettre de vivre dangereusement. Je suis maman, maintenant. J'ai une vie de famille et tout ce que cela implique... Je veux que cela reste derrière moi. J'espère que tu comprends...
Le visage d'Iris s'adoucit lentement. Elle esquissa un sourire.
- Oui, je pense que t'as raison. Désolée de t'avoir demandé. J'en oublie que... la petite Violet que j'ai connu... a en quelque sorte disparu. On a vieilli, ricana-t-elle.
- Je te souhaite bonne chance, Iris! J'espère que ça ne t'absentera pas trop. Sinon tu vas manquer à Eddie.
- Tu es sûre qu'il n'y a qu'Eddie, pouffa-t-elle?!
- Livai sera sûrement dévasté quand il apprendra la nouvelle.
___
- Je n'ai jamais eu une réponse de mon frère, murmurais-je. Les communications ne sont pas encore établies avec Paradis. Il me manque...
Livai resta silencieux en rentrant dans le lit pendant que je tapotais le bas de mon ventre qui était désormais énorme. Mais heureusement, il n'y avait qu'un bébé à l'intérieur.
Mon mari ne savait peut-être pas trop quoi me répondre face à ma confession. Il enroula sa main autour de la mienne et dit seulement:
- J'espère... que tu le reverras un jour.
- Moi aussi! Quelques fois, Eduard me demande quand il reverra son oncle. Je ne sais pas quoi lui répondre. Même moi cela me rend triste. Il est la seule famille qui me reste en dehors de vous deux, enfin... bientôt vous trois.
- En quoi Philémon s'est toujours démarqué de tes autres frères, me demanda Livai?
- Il y a plusieurs raisons, fis-je évasive. La première, c'est que Gilbert et Réginald ont toujours été mauvais avec moi. Ils étaient presque mesquins pour que mes parents me haïssent toujours plus... Alors que Philémon, c'était le plus petit. Il ne s'est pas fait entraîner par ses frères. Au contraire, il subissait la même chose. Il préférait être avec moi, sa grande sœur. Et... j'ai toujours voulu le protéger de la maltraitance de mes parents. J'étais triste quand je me suis enfuie de chez moi. Si j'avais pu, je lui aurai laissé un mot pour tout lui expliquer mais c'était trop risqué.
- Mais il est toujours proche de ta famille, non?
- Hum... Je ne sais pas vraiment ce qu'ils sont devenus. Mon père est mort, Réginald a disparu et Gilbert essaye de sauver les meubles, je suppose. Je crois que ma famille n'a plus la richesse d'antan. Et Philémon doit s'en être éloigné avec son travail de médecin. Peut-être qu'il est toujours en contact avec notre mère... si elle est encore en vie.
- Ce ne serait pas une grande perte, remarqua Livai en soupirant.
- Oui, c'est vrai. Cela mettrait enfin un terme à cette sombre histoire. C'est drôle... quelques fois, il m'arrive de repenser à cette époque mais elle me semble si lointaine. Cela fait dix ans que je ne suis plus une Fiducia... Mais... de temps en temps, quand je ferme les yeux, je me retrouve dans cette grande maison, toute seule, la peur au ventre. Je sursaute dès que j'entends des pas lourds dans les couloirs... Comme si une personne s'approchait mais je ne sais pas qui c'est. Mon père... Ma mère... Néanmoins, je ne vois jamais leur visage. Mes souvenirs se sont effacés avec le temps. J'ai juste une vague idée des expressions qu'ils faisaient et qui me terrifiaient. Un simple visage pouvait me faire si peur...
La fin de ma phrase marqua le début d'un silence. Il n'était pas lourd, plutôt apaisant. Les doigts de Livai caressaient le dos de ma main et il semblait réfléchir passionnément.
- Je me souviens du visage de ma mère, lâcha-t-il.
- Ta mère...?
Pendant nos années ensemble, Livai ne m'a raconté que trois fois son passé. La première étant sa vie dans la ville souterraine où il a grandi. La deuxième fois, c'était sur le toit pour m'expliquer son lien avec Kenny l'égorgeur, plus tard découvert comment étant son oncle. La dernière fut la mention de l'existence d'une mère. J'ai simplement su à l'époque, qu'elle était décédée quand il a été découvert par son oncle. Livai ne m'en a jamais dis plus et je n'ai jamais osé demander. J'ai supposé... que c'était juste une partie de sa vie qu'il ne voulait plus mentionner et j'ai compris son choix. Alors... j'essayais de comprendre l'ouverture de cette discussion soudaine avec délicatesse.
- E...elle te ressemblait?
- Plus que ça. Nous étions les mêmes. J'étais encore qu'un gamin alors c'était comme ça que je la voyais. Notre vie était misérable mais être dans ses bras me semblait être la chose la plus précieuse.
- Oh... Livai...
- Violet, tu ressembles à ma mère sur ce point. Tu n'as jamais voulu que ton enfant souffre alors tu l'as serré si fort pour le protéger du danger.
Je ne... sais pas pourquoi mais ses paroles ont remplies mon cœur de tristesse. Livai racontait ça sans émotion, fixant seulement nos mains.
- Le seule chose que j'ai su avec certitude sur ma mère, c'était son prénom: Kuchel. Le reste, je n'ai jamais compris.
___
Ce que je n'avais pas mesuré quand nous avons inscrit Eduard pour l'école, c'était toute la paperasse assez étrange devant laquelle nous avons fait face. Livai et moi ne sommes pas nés ici. Même si nous avons nos papiers de Paradis, l'école a eu du mal à comprendre notre requête.
J'ai surtout été agacée de voir le niveau de la classe où il sera pour la rentrée. Eduard est beaucoup plus avancé que les autres enfants de son âge. J'espère que tout ce passera bien.
Le jour où nous avons croisé le directeur de l'école privé où nous l'avons inscrit, il nous a inspecté de la tête aux pieds. Il faut dire que je peine encore à m'adapter à la mode de ce pays et Livai ne passe pas inaperçu avec ses blessures. Cela nous a un peu énervé quand il nous a regardé comme des bêtes de foire. Il n'a pas su nous mettre en confiance.
Je caressais calmement mon ventre pendant que mon mari tripotait les bout de sa chaise en bois, les jambes croisées devant lui.
- Donc... Hum... Monsieur Ackerman, vous êtes né...?
- Dans la ville souterraine de Sina entre 810 et 820, répondit-il froidement.
- D'accord... et vous, madame?
- Dans le district de Stohess en 829, avec comme nom de jeune fille Fiducia.
- Et... votre fils?
- Le 3 Novembre en 850, dans le mur Rose.
- Pourquoi êtes-vous venus à Mahr?
- Je vous en pose des questions, pesta Livai? Ca nous regarde... On peut inscrire notre gamin, oui ou non?
- Oui, je pense... Quel est votre emploi actuel M. Ackerman?
Livai leva un sourcil, se demandant sûrement d'où venait cette question. Certes, nos dossiers étaient très incomplets mais certaines informations ne nous semblaiet pas utiles.
- J'en ai pas, fit-il sur le même ton.
- Nous sommes des vétérans de guerre, expliquais-je pour calmer les tensions! Nous recevons de l'argent de l'état en tant qu'ancien combattant. Livai et moi ne travaillons plus.
- V...vous aussi, remarqua l'homme, étonné?
- Oui, répondis-je sur la défensive... Mon époux a été caporal-chef et moi, capitaine dans le bataillon d'exploration de l'armée de Paradis.
- C'est nous qui avons sauvé l'humanité, pour simple exemple, fit sarcastiquement Livai qui commençait à s'impatienter.
- O...oui, je me disais bien que votre nom m'était familier, répondit l'homme mal à l'aise. Je ne vois pas de problèmes à inscrire votre fils. Quel est son niveau d'apprentissage?
- Je lui fais des cours à la maison depuis qu'il est petit, répondis-je assurément. Il sait lire, écrire et compter. Il est aussi très doué en dessin! Vous avez des activité extra-scolaire?
- Non.
- Oh... d'accord.
- Attendez, peste Livai! On va payer cette école une blinde et vous n'allez même pas lui faire faire autre chose que des dictés et apprendre des comptines?
- On a une après-midi d'éducation physique par semaine.
- Merveilleux. Même pas d'un instrument ou une merde dans le genre?
Je n'ai pas eu la motivation de corriger Livai, m'enfonçant dans le fauteuil. Mon ventre me tiraillait.
- V...vous pouvez l'inscrire à des cours indépendamment de notre école.
- Super, et débiter de l'argent en plus... Avec ça, s'il ne devient pas politicien, je vous retrouverai et je vous...
- Livai...sermonnais-je. Monsieur, je voudrai juste vous prévenir qu'Eddie est resté seul une partie de son enfance avec moi. Il aura peut-être un peu de mal avec les autres enfants au début.
- Oui, mais...
- Il est timide mais il peut se montrer très curieux. Il posera plein de questions aux professeurs, expliquais-je rapidement. C'est un garçon plein d'imagination et inventif. J'ai juste un peu peur que le faire rester sur une chaise pendant plusieurs heures soit assez difficile pour lui. Le dessin le calmera. Si vous avez d'autres questions à notre sujet, on repassera car je crois que je suis sur le point d'accoucher.
- Quoi? S'exclame Livai en me regardant me relever.
Il encadra aussitôt mes épaules pendant que le directeur resta muet en nous regardant partir. Je pense que nous venions de lui faire une sacré impression.
- J'ai des contractions depuis qu'on est rentré dans la pièce, expliquais-je péniblement.
- Tch... Mais pourquoi tu ne me l'as pas dis plus tôt. T'es complètement inconsciente, ma parole!
- Du calme, ça vient juste de débuter. Ramènes moi vite à la maison et préviens Edith.
___
Lors de mon premier accouchement, j'étais seulement accompagnée d'Iris, dans une panique totale. Toutes les deux seules et isolées au milieu de nul part.
Là, il y avait au moins trois personnes autour de moi depuis que je suis allongée dans mon lit, dont Iris qui répondait toujours présente. Mais cette fois-là, il y avait heureusement un médecin, Edith et mon mari à mes côtés.
J'avais peur, j'avais mal mais j'avais aussi un autre sentiment de bonheur qui m'envahissait.
J'avais la prétention de penser qu'après avoir su accoucher seule une fois dans ma vie, j'étais devenue une experte dans le domaine. Mais le travail durait des heures avec les contractions qui se rapprochaient lentement. Ce n'était pas vraiment à moi de choisir quand le bébé sortirait mais plutôt lui.
Livai épongea doucement mon visage en sueur après que j'ai poussé pendant une violente contraction.
- C'est normal que cela dure aussi longtemps, fit-il avec une pointe d'inquiétude?
- Croyez moi, Livai, remarque Edith. C'est un accouchement plutôt rapide. Chez certaines femmes, cela peut durer deux jours. Le bébé ne va pas tarder à sortir.
- Et le sang? Elle en perd beaucoup!
Edith ne répondit pas tout de suite car je me suis relevée pour pousser de nouveau.
- Violet, tu fais du beau travail!
Je retombe, épuisée, sur l'oreiller. Et réalise après un court qu'il fait nuit noire dehors. Mon regard tombe sur Livai qui était dans un état de stress assez visible.
- Comment tu te sens?
Je remue un peu la tête, l'esprit ailleurs avant de répondre faiblement:
- F...fatiguée...
- Tu vas y arriver, fit-il seulement en repassant son mouchoir sur mon front.
- Dis... Livai...
- Hum?
- J'ai... bien réfléchi. Si c'est une fille, je voudrais l'appeler Kuchel.
Livai marqua un temps de pause dans sa réflexion puis esquissa un très léger sourire. J'ai l'impression que je n'aurai le droit à ses sourires que si je viens à accoucher! La belle affaire...
- Moi aussi, j'y ai réfléchi. Je préfère Marilyn.
- Tu es sérieux, pestais-je?
- Kuchel... doit rester le nom de ma mère. Il est tout ce qu'il me reste d'elle. Cette gamine doit vivre la plus paisible des vies...
- Hum...
Je fermais les yeux le temps de me reposer avant la prochaine contraction.
Finalement... c'est le 1er Juin de l'an 855, tôt dans la matinée que Marilyn Kuchel Ackerman est née. Ma première fille, qui est apparue en pleine santé forte heureusement.
Contrairement à Eduard, c'était un bébé criard et remuant. Elle avait les cheveux aussi noirs et raides que son père et ses yeux clairs et fins. Sa peau était pâle comme de la porcelaine.
En fait, avec les années, je me suis toujours demandée ce que Marilyn avait pris de moi. Elle ressemblait à deux gouttes d'eau à Livai. C'était tout simplement lui au féminin.
Peut-être qu'au fond, elle avait plus en elle de Kuchel que nous le pensions.
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