60. Eaux troubles

C'était avec joie que j'ai appris qu'Iris s'installerait dans le même quartier que nous. Cela allait donner un peu d'animation à notre vie qui était monotone depuis que nous étions arrivés à Mahr. J'allais à nouveau avoir ma meilleure amie à mes côtés et j'espérais ressentir un peu plus de bonheur dans mon cœur. Je me suis empressée de l'aider dans cette nouvelle maison. 

Livai et Iris n'avaient pas vraiment de rapports amicaux. Je ne dirais pas qu'ils se détestent. Disons juste que si je n'avais pas été là, ils ne seraient jamais venus à se fréquenter. Ils sont très différents l'un de l'autre et ont des idées très opposées.

- Hé, il se fait tard, remarqua la blonde en regardant la pendule que l'on venait d'installer. Tu devrais retourner voir ta famille. 

Je me redresse, le souffle un peu court, après m'être promenée à plusieurs reprises dans la maison avec des affaires lourdes. Je n'ai toujours pas une aussi bonne endurance qu'elle. Et ce n'était en restant cette petite mère de famille que j'allais la recouvrir.

- C'est bon, ne t'inquiète pas, m'exclamais-je, le visage illuminé! Livai s'occupe très bien d'Eddie. Je peux rester un peu plus longtemps pour t'aider.

Ma meilleure amie resta immobile un petit instant au milieu de la pièce à me scruter pendant que j'essuyais mon front. Elle pencha légèrement sa tête vers moi en levant un sourcil:

- Ça va? Cela fait plusieurs jours que tu m'aides à tout installer. Je trouvais ça adorable au début mais j'ai de plus en plus l'impression que tu cherches à te donner des excuses. 

- Des excuses par rapport à quoi, demandais-je, ébahie? 

La blonde n'eut pas le temps de répliquer que quelqu'un frappa à la porte arrière. En me retournant, je vis dans l'encadrement une jeune femme aux cheveux châtains clairs, court et avec des boucles incroyables. Elle nous faisait un sourire timide, alternant son regard entre moi et Iris. 

- Bonsoir...

- Violet, fit ma meilleure amie en allant à sa rencontre, je te présente Edith. Elle est médecin à l'hôpital de Mahr. C'est comme ça que nous nous sommes rencontrés. 

- Enchantée, murmurais-je en allant pour serrer sa main. 

Une médecin? Elle est vraiment belle, avec de grands yeux verts clairs. Elle devait sûrement être à peine plus âgée que nous. 

Évidemment qu'Iris devait s'être fait de nouvelles amies pendant qu'elle était partie. Je me suis sentie un peu idiote. 
Iris se tourna vers la nouvelle arrivée, enroulant son bras autour de ses épaules, une habitude récurrente qu'elle avait autrefois avec moi. Je crispe légèrement mon sourire. 

- Tu te souviens? Violet est ma meilleure amie. Nous nous sommes rencontrés à l'armée mais elle était restée sur l'île pour s'occuper de son fils. 

Cette Edith réalisa qui j'étais et prit un air étonné. Pour ma part, j'étais restée préoccupée par le bras de mon amie autour d'elle. 

- Non! S'exclame-t-elle. Je n'aurai jamais cru que vous étiez maman. Vous êtes tellement jeune! 

Je lève un sourcil, ne sachant pas comment prendre cette remarque. Serait-ce un compliment? 
Certes, je suis devenue mère drôlement jeune mais on ne va pas dire que j'avais eu vraiment le choix... Après, elle ne pouvait pas savoir. 

Je ne sais pas pourquoi, j'ai commencé à me sentir mal à l'aise. Je n'avais connu Iris proche que de nos amies et puis moi-même. 

Pourquoi je me sens idiote? Pourquoi je me sens vide? 

J'ai écourté cette rencontre en prétextant que je devais rentrer chez moi pour préparer le dîner, ce qui était complètement faux. J'ai traîné des pieds dans la rue, fixant les dalles au sol. Et j'ai dû prendre une grande inspiration avant d'ouvrir le portail de notre maison. J'ai ramassé quelques affaires d'Eddie qui traînaient dans le jardin. 

Dès que j'ai ouvert la porte d'entrée, le petit garçon m'est tombée dessus en criant un "maman!" plutôt adorable. Cela m'a attendri un court instant avant que je redevienne monotone. Je l'ai pris dans mes bras pour le serrer fort contre ma poitrine. 

Arrivant dans la salle à manger, j'ai vu Livai servir la table. Il me lança un simple regard avant de repartir vers la cuisine. 

C'est vrai que j'étais partie de la maison tôt le matin un peu comme une voleuse. Je dépose un baiser sur le front de mon fils avant de le reposer au sol. Il s'est empressé de me montrer ce qu'il avait fait de sa journée: des leçons et des jolis dessins à son habitude. 

Le repas a principalement été animé par les paroles du petit garçon. Également quand je lui ai donné son bain puis pour aller dormir. Lorsque j'étais en train de le border dans ses draps, il me demanda timidement: 

- Maman, pourquoi vous êtes tristes, papa et toi? 

Je suis restée interdite quelques secondes avant de lui sourire et caressai ses cheveux bouclés.

- Qu'est-ce que tu racontes? On est très heureux, surtout parce que tu es avec nous. 

Eduard ne répondit rien. Il regarda simplement au dessus de mon épaule où je devinais la présence de Livai près de la porte de sa chambre. Je l'ai embrassé une dernière fois avant de le laisser. 

- Je vais me laver tout de suite. Eddie m'a mouillé lors de son bain, murmurais-je à Livai dans le couloir. 

- Je vais aller nettoyer la cuisine, répondit-il seulement en descendant les escaliers.

Je l'ai regardé disparaître, prostrée en haut des marches. Mes lèvres se sont crispées avant je reprenne mes esprits. Dégageant toutes sortes de sentiments de ma tête. 

___

Je brossais lentement mes cheveux, assise à ma vieille coiffeuse en bois. Je regardais dans le miroir, taciturne, Livai allongé dans le lit entrain de lire. En reposant la brosse doucement sur la table, j'ai songé à la dernière fois où nous avions parlé avec liberté. Où notre échange était naturel et non dans cette ambiance lourde et anxiogène. Comme si nous étions au bord d'un précipice et qu'on se demandait lequel de nous deux allait sauter en premier. 

Peut-être, depuis que nous étions à Mahr. Ou bien... depuis son retour de la guerre. Ou alors... avant la naissance d'Eddie. 

Oui, tout allait bien entre nous. On était des soldats, on combattait tous les jours et on se retrouvait le soir. On discutait de nous, on faisait l'amour et on retournait se battre le lendemain. Ça nous allait. 

J'avais l'impression d'avoir mille et uns mots coincés au fond de ma gorge et qu'aucun n'arrivait à sortir. Je regardais simplement Livai en lui hurlant intérieurement "Je t'en supplie, parle moi!". Peut-être qu'il était dans le même cas que moi. 

- Tu viens te coucher? 

Ce sont les simples mots qu'il m'a dit en voyant que j'étais restée assise, immobile sur mon tabouret. Je mord nerveusement ma joue et me lève pour aller du côté de mon lit. Je crois qu'il n'y a rien eu d'autre qui ce soit échangé entre nous. Je me suis endormie en repensant mélancoliquement à nos premières nuits, laissant échapper une petite larme qui a coulé jusqu'à l'oreiller. 

Le lendemain, j'étais de nouveau chez Iris mais avec Eduard cette fois. Livai avait quelque chose de prévu en ville. La maison était presque parfaite. La seule chose me faisait tiquer étant que cette Edith était toujours là. 

Je pliais sans enthousiasme les draps de la maison dans la laverie pendant qu'elle discutait avec mon fils, sûrement assis dans la cuisine. Elle avait insisté pour que je reste ballante alors que je voyais le linge en boule dans un coin. Je pense que l'aspect maniaque de Livai a un peu déteint sur moi. 

- Nos prénoms se ressemblent, s'exclama Eddie! Sauf que moi, je suis un garçon! 

- Oui, c'est vrai! C'est un beau prénom que tes parents t'ont donné. Tu sais ce qu'il veut dire? "Gardien sacré". Tu es sûrement la chose la plus importante pour eux. 

- C'est maman qui m'a appelé comme ça, répondit mon fils calmement. Papa avait pas d'idée et il devait partir. 

- Ah bon... Mais il est revenu finalement. Tu en as de la chance d'avoir à nouveau tes deux parents avec toi pour te protéger.

- Oui mais... papa et maman, ils ont l'air tristes. J'essaye de leur faire des dessins tous les jours pour les rendre heureux mais ça marche pas. 

Mon cœur se serre. Je m'assois au sol de la pièce en regardant le drap à moitié déplié dans mes mains. Mes yeux se brouillent contre ma volonté. Même Eduard l'a remarqué... Je ne sais plus quoi faire. 

- Mme. Ackerman, vous allez bien, me fit une voix au bout d'un moment. 

Je m'étais complètement perdue dans mes pensées. Je sèche mes larmes avant de me retourner pour voir Edith, à la porte, me regardant avec inquiétude. 

- Oui, ne vous inquiétez. Je suis juste un peu fatiguée avec tout ce déménagement. 

- Vous devriez faire une pause, me dit la jeune femme en s'approchant de moi. Venez. Je vais vous servir un thé. Eduard est parti avec Iris afficher ses dessins dans la maison. 

- Oh... merci de vous êtes occupée de lui, murmurais-je en me relevant. 

- Vous êtes vraiment pâle, remarqua-t-elle. Je vais vous servir quelque chose de sucré avec. 

Elle me dirigea vers la cuisine mais j'avais presque l'impression qu'elle m'y poussait. C'est vrai que cette jeune femme est médecin. 

- C...ce n'est pas la peine. Je vais bien. J'ai juste mal dormi cette nuit. 

- J'insiste, répondit simplement Edith en me faisant dos pour attraper le théière. 

Je me suis retrouvée avec une grande part de gâteau et une tasse devant moi, sans grand appétit. Je lève un regard lourd vers le jeune femme qui mit ses coudes sur sa table, un grand sourire sur son visage. 

- Mangez, c'est ma sœur qui m'a fait ce gâteau pour mon déménagement. C'est une vraie pâtissière. Vivre avec elle m'a fait prendre 5 kilos, ricana-t-elle. Vous êtes fine comme une plume, vous n'avez pas de quoi vous inquiéter. 

Elle est vraiment bavarde. J'attrape timidement la petite cuillère en face de moi. 

- Votre déménagement? 

- Oui, avec Iris. 

Oh... Je n'avais pas compris les choses sous cet angle. Elles emménagent ensemble. Après tout, si elles sont bonnes amies. Iris n'avait peut-être pas envie de vivre seule dans une si grande maison. Je peux comprendre ça. Je n'ai jamais vécu seule pour ma part, mise à part lors de ma grossesse et j'ai détesté ça. 

La docteure me regarda manger lentement mon gâteau. Je me sentais observée. J'aurai pu être polie et essayer de m'intéresser à elle mais aucunes questions ne me venaient à l'esprit. Je pense que les années m'ont fait perdre en sociabilité. J'étais mieux dans ma peau quand j'étais capitaine à l'armée, tout le monde me connaissait et je n'avais pas à me préoccuper de ce qu'on pensait de moi. Et à mes côtés, il y avait...

- Iris m'a beaucoup parlé de vous, me fit-elle au bout d'un moment. On voit que vous êtes très proches l'une de l'autre. 

- La guerre rapproche les gens, expliquais-je en avalant. J'ai rencontré beaucoup de personnes à l'armée mais cela signifie aussi vivre avec le risque de... les perdre. Iris est la seule amie qu'il me reste. 

Je ne sais pas si elle a compris mon sous-entendu car son sourire s'est renforcé. Elle a le don de me déstabiliser avec sa joie exagérée.

- Vous aviez vraiment eu tous du courage de ne pas abandonner. Depuis tout ce qui s'est passé à Mahr, ces dernières années, je ne suis plus la même. Je vous admire, votre mari et vous. 

- Vous connaissez mon mari, réalisais-je? 

Après tout, si Iris l'a rencontré, peut-être que Livai également. Je n'ai pas du tout pensé à lui demander hier. Edith tourna ses yeux vers la rue, pensive. Une petite fossette se forma sur sa joue droite.

- Un homme vraiment privé et calme. Iris a toujours été très évasive à son sujet. 

- Ce n'est pas l'amour fou entre eux, ricanais-je presque. 

- Je pensais même qu'il était juste froid et malpoli. Je l'ai jugé trop vite. A cette époque, je ne savais pas qu'il vous avait laissé sur l'île. Ni même les atrocités que Paradis avait réellement vécu. Il était juste rempli de traumatismes et d'une lourde dépression. 

- Livai? Je crois... que vous vous méprenez...

- N'importe qui serait malheureux de laisser sa famille pour se battre. Votre mari semble être entouré par la mort et il prétend s'en être habitué sauf que vous faites exception. 

Je réalisais qu'elle était en train de me faire un diagnostique de Livai. J'écarquille légèrement les yeux, bouche bée pendant qu'elle continuait, toujours perdue dans ses pensées. Je l'imaginais avec une fiche, décrivant tout ce qu'elle avait remarqué chez lui. 

- Je ne l'ai croisé qu'à de rare occasion donc je ne peux pas l'affirmer complètement. Mais il est très difficile d'essayer de reprendre une vie normale après tout ça. Je pense qu'il est même impossible d'en sortir sans un TSPT. Iris a été longue avant de se l'avouer. Mais je suis heureuse qu'elle aille mieux aujourd'hui. 

Elle tourna lentement ses yeux vers moi. 

- Même si je pense que vous en souffrez également, Mme. Ackerman. 

Son sourire s'était allongé encore plus. Je reste interdite alors elle continua: 

- D'un trouble du stress post-traumatique. 

- Q...qu'est-ce que c'est? 

- Vous n'en avez jamais entendu parler? 

J'hoche négativement de la tête avant d'enchaîner:

- C'est vrai que... depuis que nous sommes réunis, rien n'est comme je l'espérais. Tout semble si vide... Je n'arrive pas à m'y faire et essayer de me convaincre que tout est fini. Je... J'ai...

Mon visage se baisse... mes épaules deviennent lourdes. Je n'arrive pas à formuler mes mots. Même avant que je n'ai le temps de réaliser, mes joues sont recouvertes par des flots de larmes incontrôlables. 

- J...je voudrais oublier tout ça et être une famille... normale. 

Sans que je m'en rende compte, elle avait fait le tour de la table pour me rejoindre. Elle avait  passé une main affectueuse derrière mon dos pendant que je cachais mon visage dans la serviette. 

- Vous avez le droit à tout ça. Il faut juste que vous acceptiez d'être heureuse. 

- Comment je le pourrais?! C'est injuste, pour tous les autres, ce qu'il m'arrive! Pourquoi, moi, je suis en vie alors que mes amis ne le sont plus? Ça n'a pas de sens! Ils ne méritaient pas ça! Après tout ce que j'ai fait, c'est moi qui devrait prendre leur place. 

- Violet, ce n'est pas de votre faute ce qui est arrivé à vos amis. C'est arrivé. Malheureusement, certes. Mais vous n'y êtes pour rien. Vous ne devez pas vous sentir obligé de culpabiliser toute votre vie. Vous avez le droit d'être heureuse avec votre fils et votre mari. Mais avant ça, vous ne devez pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Fermez les yeux sur votre état mental n'arrangera rien. C'est en taisant votre malheur qu'il en deviendra pire. Je vous promet que vous vous sentirez mieux si vous vous exprimiez à cœur ouvert. Votre mari doit vivre la même chose...
Même un surhomme ne peut pas supporter ces émotions extrêmes. Je trouve que vous êtes même très courageux pour votre fils. 

Edith s'arrêta de parler en entendant des pas dans le couloir. Elle me tendit un mouchoir pour m'essuyer et se leva pour me cacher le temps que je me calme. Je tente d'éponger mes joues trempées.

- Oh bonjour, caporal. Cela faisait longtemps...

Elle avait un ton enjouée exagérée. J'étais dos à eux, recroquevillée sur moi-même.

- Docteure Bell... Je vois que vous ne vous êtes pas décollée de Koehler, répondit calmement Livai. Et je ne suis plus caporal. 

- Oh, désolée... Et oui, je suis votre nouvelle voisine. Si vous avez besoin d'un médecin, vous pouvez sonner à tout heure à mon cabinet.

- Merveilleux, répondit-il ironiquement. Je suis venu chercher mon fils. Il se fait tard. 

Je me retourne enfin pour le voir épaulé à l'encadrement de la porte, les mains dans ses poches. Il me lança un regard inexpressif. J'avais peut-être réussi à bien cacher mes yeux rouges. J'espérais qu'il n'ait pas entendu notre conversation. 

- Eduard est à l'étage avec Iris. Il affiche ses dessins. C'est adorable! Fit Edith toute enjouée. 

- Hum. Je vais le chercher, marmonna-t-il en se retournant. 

Quand il disparut de la pièce en montant les escaliers, je repris enfin une inspiration tremblante. Je me sentais un peu ridicule d'avoir craquée ainsi devant Edith qui était presque une inconnue pour moi. Je me relevais en défroissant ma robe. 

- Bon... euh. Je vais partir en même qu'eux, je pense. Vous n'avez plus besoin de moi, demandais-je doucement? 

- Vous pouvez revenir quand vous voulez, dit-elle en joignant mes mains! J'ai l'impression que vous en avez gros sur le cœur. 

Je regarde ses mains avant de lâcher un petit oui incertain. Cette fille... est très familière rapidement. Et généreuse... Je comprend pourquoi Iris l'aime bien. Elles se ressemblent en un sens, même si elles n'ont pas la même attitude. Iris est beaucoup plus calme alors qu'Edith semble tout le temps excessivement heureuse.

Elle me raccompagna vers la porte d'entrée et on arriva en même temps que Livai, Eduard et Iris. Mon fils vint se serrer contre moi automatiquement. Heureusement que ce petite garçon arrive à aiguiller mon cœur.

- Merci de ton aide, me fit Iris. Je pense qu'on pourra se débrouiller, maintenant. Le cabinet d'Edith est fermé demain. 

- Repassez quand vous voulez, s'exclame-t-elle en agitant sa main. Au revoir, Eddie! 

- Au revoir, répondit énergiquement le garçon en lui faisant aussi coucou.

Livai s'était déjà éloigné mais il se retourna en bas des escaliers. Il enfila son chapeau.

- Hé, Koehler! 

- Hum? 

Je pris Eddie dans mes bras qui n'arrêtait pas de faire signe à Edith. 

- Les gens peuvent jaser ici. Faites attention à vous. 

- On se débrouillera, répondit simplement la blonde en entourant son bras autour d'Edith. 

- Tch...

Livai s'éloigna après ce doux échange. Je fronce les sourcils sans comprendre. 

- Pourquoi tu leur as dis ça, demandais-je une fois que nous nous étions éloignés de la maison? 

- Parce que les gens ne sont pas ouverts d'esprits. Ils peuvent même être violents quand ils cons. 

- Pour...quoi? 

Livai s'arrêta et se tourna vers moi, le visage froid. 

- Tu vis dans quel monde, Violet? 

J'hausse les épaules, sans comprendre où il venait en venir. Mon mari soupira en se retournant, semblant lâcher l'affaire. 

- Rien, laisse tomber. T'en discuteras plutôt avec la concernée. Leurs histoires ne m'intéressent pas. 

Hein? 

___

Parler avec Livai? Accepter d'être heureuse? Hein...

Ce sont des choses qui semblent logiques aux premiers abords mais qui ne sont pas si simples pour moi, ni Livai. Il ne parle pas, en particulier de ce qu'il ressent. Et même moi, je reste assez évasive. 
Je n'ai jamais voulu lui expliquer mon ressenti sur mon enfance et lui non plus. Alors que nous savons très bien l'un l'autre qu'elles ont été misérables. 

Ce que je voudrai, c'est offrir le meilleur à mon fils. Mais... avoir des parents malheureux n'est pas une bonne chose pour lui. 

Je m'enfonce un peu plus profondément dans mon bain. Cherchant une solution. 

Edith a raison. Je culpabilise car je suis en vie. Cela avait commencé avec Benedict qui rêvait d'avoir une famille et voir la fin de son combat. Et cette culpabilité n'a fait que s'accroitre lorsque mes camarades sont morts un à un. 

Hanji... Je suis sûre que même après la disparition des titans, elle aurait su retrouver une passion. Elle était toujours pleine de ressources, pleine de vie... Je sais bien qu'elle aurait voulu que je sois heureuse. Elle m'aurait sorti "Hé, ma petite Violet, la vie continue. Fais pas cette tête d'enterrement!" en me tapotant la tête. 

La porte de la salle de bain s'ouvrit brusquement. Livai entra sans prêter attention avant de réaliser que j'étais dans le bain. Il se figea: 

- Excuse moi, je ne savais pas t'étais là. Je cherche le doudou d'Eddie.

Je fis un léger non de la tête indiquant que je ne savais pas où il était. Livai devait essayer de le coucher. Mais il resta ballant au milieu de la pièce à me regarder. 

- Tu...

- Papa, je l'ai retrouvé!! S'écria Eduard à travers la maison. 

- Va dormir, répondit-il en entrouvrant la porte de la salle de bain. 

Il la referma aussitôt après ça. Je pensais qu'il allait sortir de la pièce mais après avoir fixé la porte quelques secondes, il se retourna vers moi. 

- Je peux te rejoindre? 

Il évitait mon regard, admirant la mosaïque de la salle de bain. Je réfléchis quelques instants avant de me dire que ce moment changera des échanges quotidiens et fades que nous avons. Même drastiquement quand on sait que nous n'avons plus aucune intimité. J'acquiesce silencieusement de la tête en avançant un peu dans le bain. 

Il se déshabilla lentement et je n'osais même pas le regarder, jouant avec la mousse qu'il restait à la surface de l'eau. Puis, le niveau augmenta subitement et je sentis sa présence derrière moi dans le bain. 

Ce n'était pas la première fois que nous prenions un bain ensemble. Mais je pouvais dire avec assurance que c'était la première fois depuis des années. Je reconnus ses mains de chaque côté de la baignoire. Je rougis aussitôt comme une pivoine.

Il ne dit plus rien. Ses jambes s'allongeant seulement autour de moi. On entendait seulement le bruits des gouttes à cause de la pièce qui s'était embuée dût de la chaleur et l'humidité. Je me tourne lentement pour voir sa tête reposer sur le rebord. Ses yeux clos, il semblait sincèrement se reposer. 

Je me penche à ma droite pour coller ma joue brûlante au carrelage du mur et ferme les yeux également, mes jambes contre ma poitrine. 

- T'as toujours aimé l'eau brûlante...murmura Livai au bout d'un moment. 

- Hum... Peut-être. 

- T'es toute rouge. 

Je sentis sa main traverser mes omoplates jusqu'à mes épaules. Je frissonne à ce contact. Je ne devais pas flancher aussi facilement. Ses doigts écartèrent les cheveux qui collaient à ma peau. Il s'avança vers moi. Cette proximité rare me fit plus d'effet que d'escompter. Voir son visage s'approcher du mien a fait battre mon cœur vivement. Je me suis laissée faire. Sa bouche m'embrassa délicatement. 

Je tourne mon corps vers lui en entourant sa nuque de mes bras pendant que ses mains pressaient ma taille. 

C'était trop beau presque. Je m'attendais à devoir me réveiller à tout instant. Sa présence m'englobe et prend part de tous mes sens. 

Des semaines à être malheureuse, je trouvais ça presque misérable qu'un simple baiser me fasse cet effet. Mais c'était peut-être ce donc j'avais besoin. Je compris que c'était parce que je l'aimais, évidemment. 

Néanmoins, même le plus fou des baisers ne pouvaient pas tout réparer. Pendant que Livai glissait sa langue dans mon cou, je trouve enfin le courage de me séparer de lui, tremblante. 

- Livai, je...

Mon regard croisa le sien. Il était fatigué et légèrement brumeux, mais je prenais ses rougeurs pour la chaleur de l'eau. C'était un moyen pour moi de ne pas céder. 

- Pardon, souffla-t-il en s'éloignant. 

- Non, ne te méprend pas! Je suis contente de refaire ça avec toi, corrigeais-je en me redressant. 

Ses yeux divaguèrent dans mon cou. Je savais qu'il n'était insensible aux mèches qui s'échappaient pour épouser ma peau. Je pose une main sur sa poitrine à l'endroit d'une vieille cicatrice où je sentis ses battements. 

- Mais... je pense qu'il faudrait qu'on parle avant... sérieusement. 

- De quoi? 

- De tout! M'exclamais-je avec un ton libérateur. Nous ne sommes plus les mêmes depuis que nous sommes arrivés ici. Et je... je voudrais le redevenir. 

- Je pense que ce ne sera plus jamais le cas, cingla Livai qui était redescendu. 

- Je sais! Je n'en demande pas tant. Mais je voudrais juste... savoir... ce qui se passe dans ta tête. Je t'en pris. Je voudrais qu'on parle tous les deux. 

Livai se redressa dans la baignoire. Je ne savais pas si avoir cette discussion ici était la meilleure idée. Mais il ne sembla pas vouloir changer d'endroit. Je m'assis plus confortablement dans le bain, encore assez proche de lui. 

Il racla sa gorge, il avait toujours aussi peu enclin à parler de lui. Je m'attendais même à ce qu'il refuse. 

- Pourquoi... tu pleurais chez Iris, demanda-t-il calmement? J'ai aussi envie de savoir ce que tu ressens en ce moment. Parce que j'ai l'impression de ne plus te reconnaître. 

Mes premiers mots furent hésitants puis j'ai fini par tout lui raconter la première. C'était comme si mon esprit mécanique avait décidé de refonctionner et laisser vivre mes émotions les plus enfouies. Pendant que j'expliquais ma peine, ma culpabilité et mes peurs, je pleurais à chaude larmes et j'étais incapable de me contrôler. Livai m'encourageait silencieusement avec de simples que l'expérience m'avait permis de traduire. Je vidais juste l'entièreté du bagages que je traînais dernière moi depuis le jour où il avait quitté la maison. Je me suis rendu compte que je gardais tout depuis qu'il était revenu car je ne voulais l'embêter avec mes problèmes, jugeant que les siens devaient être pires. C'était idiot de jauger nos problèmes, car dans un sens comme dans l'autre, nous ne formions qu'un. Si l'un allait mal, l'autre le sentait. Et dans cette situation, c'était notre cas à tous les deux. 

En fait, nous avons passé la nuit à discuter, tous les deux. Quand nous sommes allés nous coucher, nous avons continué de parler longtemps. Tous les deux allongés dans notre lit à s'enlacer, j'ai enfin eu l'impression de revenir à nos premières nuits, à pouvoir me confier à lui, et il caressait tendrement mes cheveux. 

Il m'a, pour la première fois, parlé d'Erwin et d'Hanji. Il avait tellement été absorbé par son objectif qu'il effaçait toutes ses pertes de sa mémoire mais désormais, il n'avait plus qu'Eddie et moi. Je comprend enfin pourquoi il avait voulu partir définitivement de Paradis. 
Livai, qui n'était pas du genre à se confier, n'a pas tellement divagué sur ses états d'âmes mais j'ai compris que dès que son regard durcissait, c'était parce qu'il combattait la même émotion. 

Tout cela m'a fait un bien fou. Bien sûr, une seule nuit à parler n'allait pas tout arranger. Mais c'était déjà un immense pas face à l'enfer psychologique que nous vivions. 

Le lendemain, nous avons tardé à nous lever, c'est donc Eddie qui est venu nous réveiller en grimpant dans notre lit. Ce matin était beaucoup plus léger que les autres, même s'il pleuvait dehors. 

Pendant que je faisais le petit-déjeuner, Livai s'était mouillé à aller chercher le courrier. Notre petit garçon était occupé à jouer avec ses voitures en bois et courrait partout dans la maison en les traînant derrière lui. 

- Hé, gamin! Arrête de brailler comme ça et va plutôt te mettre à table, rouspète Livai en frottant ses cheveux à demi-mouillés. 

Boudeur d'avoir reçu des reproches, Eddie s'assit sur la table en abandonnant ses jouets au milieu du salon. Ce qui allait très certainement énerver Livai. Il s'approcha de moi et je lui tendis sa tasse de thé. Il me remercia en déposant un baiser sur ma tempe. Je souris bêtement. 

- Papa, pourquoi tu embrasses maman? 

- Hein? Je t'en pose des questions? 

C'est quand on s'échangea un regard que je réalisais qu'Eduard ne nous avait certainement jamais vu nous embrasser. Et ce n'était même pas pour nous cacher...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top