59. Renouvellement
Philémon, mon cher petit frère,
A l'heure où je t'écris, je suis au port de l'île du Paradis, quelques heures avant l'embarcation. Eduard ne tient plus en place... Je dois me dépêcher avant qu'il échappe à la surveillance de Livai pour filer.
Je t'écris cette lettre le cœur lourd, meneuse de bonnes comme de mauvaises nouvelles.
J'avais perdu espoir mais j'ai eu tord, Livai est revenu de la guerre sain et sauf. Eduard a enfin pu rencontrer son père et il est aux anges. Quant à Livai, je n'en sais rien. C'est assez difficile de le comprendre. Il est très silencieux depuis son retour. C'est du bout des lèvres qu'il m'a expliqué nos trois ans de séparation.
J'ai perdu beaucoup de personnes que j'aimais ces dernières années. Je juge avoir assez fait de sacrifice dans ma vie, et mon mari encore plus. Pratiquement tous nos camarades d'armes ont offert leur vie pour cette liberté désormais gagnée. Dans un sens, c'est enfin une grande inspiration qui n'est plus parsemée du sang des soldats, qu'ils soient des nôtres ou nos ennemis.
Nous ne sentons plus tous le poids de notre responsabilité sur nos épaules.
Je suis libre...
J'ai quitté les Fiducia sans objectif, seule et abandonnée. Je ne regrette pas ma décision d'avoir rejoint l'armée. Elle a donné un réel sens à ma vie et je m'a fait sentir importante. Mon plus grand espoir était de découvrir tous les secrets de notre humanité.
Elle n'a désormais plus rien à nous cacher. Je lui suis inutile.
Et je suis fatiguée, maintenant.
Philémon, je vais quitter Paradis. Livai ne veut plus y vivre et après mûre réflexion, j'ai réalisé que rien ne m'y retenait. Excepté toi, mon petit frère adoré.
Je ne veux pas que tu t'inquiètes. Mahr était autrefois nos ennemis, mais les titans n'existent plus. Il n'est plus important désormais de savoir si nous sommes eldiens ou non.
C'est un monde plus évolué, plus grand, avec des nouveaux secrets. Et où le pouvoir des Jaegeristes n'est pas grandissant. J'aurai tellement de choses à découvrir là bas. Je veux savoir ce qu'Hanji a tant aimé sur ces terres... Je veux toujours suivre ses passions aveuglement.
Je peux enfin le dire: je ne suis plus une soldate. Il n'y a plus de capitaine Violet Jeder. Je rend mon insigne, celui dont j'étais si fière. Je le rend sans difficulté. Dès qu'Eduard est né, je n'étais plus la même.
L'amour qui m'a enveloppé la première fois que je l'ai vu est inexplicable. Je n'ai pas de mots pour expliquer que je veux littéralement lui dédier ma vie.
Je suis heureuse de savoir que je ne rend pas honneur à notre mère, qui n'a jamais ressenti autre chose qu'une haine inexpliquée envers moi. Je ne la comprendrais jamais.
Je pars... Enfin plutôt, nous partons former cette famille ailleurs. Nous avons donné assez pour cette île.
J'espère aider Livai à enfin le faire se sentir chez lui.
Et j'espère aussi que je pourrais te revoir. Les communications ne sont même pas encore établies entre Paradis et Mahr. Je ne pense pas que je pourrais t'envoyer d'autres lettres. Mais si l'envie te vient de traverser cette mer à ton tour, tu n'auras qu'à demander où vivent les Ackerman. Il n'y aura que nous et notre porte te sera toujours ouverte.
Ta grande sœur
Violet M. Ackerman
NB: Eduard a essayé de reproduire le bateau sur lequel nous allons embarquer. C'est le petit dessin en haut à droite. J'espère que je n'aurai pas le mal de mer...
___
C'est ainsi que mon 25ème été se termina: dans le changement, l'appréhension et les regrets.
J'avais atteint le quart de siècle mais également l'impression de commencer une troisième vie. La première étant dans cette horrible demeure, chez les Fiducia où mon enfance et mon adolescence ont été affreuse.
Puis, la deuxième à l'armée, où j'ai rencontré mes amis, où j'ai grandi, où je me suis battue, où je me suis mariée, où j'ai aimé puis tout perdu.
Et enfin... dans cette nouvelle ville, cet endroit qui m'est complètement inconnu, avec ces gens inconnus, ces manières inconnus, ces coutumes inconnues...
Où je me réveille chaque matin avec une boule au ventre, insatisfaite, préoccupée, incapable de profiter de cette tranquillité soudaine. Cette frustration maladive grandissait à l'intérieur de moi, et me crier d'être malheureuse même quand un sourire se formait sur mon visage.
Espérer pour rien...
C'était l'impression que j'avais. Espérer que tout aller redevenir à la normale, que j'allais devenir une de ces mamans épanouies que je croise dans les rues, avoir cette famille aimante que j'ai toujours fantasmé.
C'était comme si mon cerveau m'interdisait de vivre des sentiments normaux. A me montrer des séquences de ces deux autres vies antérieurs, mais m'empêcher de pleurer pour autant. J'étais cassée...
Qu'on me tape sur l'épaule sans cesse en me chuchotant: "Hé... rien ne sera jamais comme il faut. Tu n'as pas le droit d'être heureuse. Ce serait égoïste...".
Cela pèse sur tout mon corps. Et j'ai l'impression de marcher de manières mécaniques. Que tout le monde me juge. Que tout le monde sait. Qu'ils le racontent derrière mon dos... toutes les horreurs que j'ai commis, le sang que j'ai sur les mains...
Mahr est une belle ville, à moitié détruite certes et avec un lourd passé, mais l'architecture et la technologie me changent. J'avais l'impression d'avoir été une idiote, restée bloquée sur une île ignorante et arriérée. Les voitures, les bicyclettes, les dirigeables... Je n'en croyais pas mes yeux quand j'ai vu voler ces choses au dessus de ma tête, étant simplement habituée aux soldats avec un équipement tridimensionnel. Et tellement de choses encore... la médecine, la technologie, la gastronomie...
Quand je marche dans la rue, j'arrive à me fondre dans la masse. Même si j'ai vite remarqué que mes vêtements se démarquaient de par leur différence esthétique. Les femmes sont dans des habits beaucoup plus simples, avec des chemises et des jupes. Souvent avec manteaux et chapeaux assortis, une mode très différente et plus simple.
Tout se reconstruit lentement. Certaines rues sont magnifiques et d'autres sont détruites. Je m'arrête devant des bâtiments où je reconnais très clairement cette énorme trace de pas d'un titan.
Oh ce mot... Il n'existe plus. C'est comme si le monde entier avait arrêté de le prononcer d'un coup.
Notre rue est intact. Après avoir vécu 3 ans dans une maison en pleine campagne, je pensais que j'allais avoir du mal à vivre entouré d'autres maisons. Néanmoins tout est calme, il n'y a que des maisons et des familles. Je ne suis pas encore habituée à voir des voitures passer régulièrement dans la rue ou que l'on vienne frapper souvent à notre porte.
J'aime notre maison. Elle est entourée d'un beau jardin fleuri et de grands arbres. L'architecture est différente qu'à Paradis. Plus moderne et moins stratégique. Les gens d'ici n'était pas préoccupé par leur survie. L'esthétique est beaucoup plus travaillée, peut-être comme à Stohess. Elle a même un étage et un grenier. Elle est vraiment beaucoup plus grande que l'ancienne. Livai se perd dans les pièces quand il la nettoie, c'est-à-dire tous les jours.
Cela ne faisait que quelques semaines mais je ne m'étais toujours pas accommodée à l'endroit.
Seul Eduard... était heureux. C'est un petit garçon, c'est normal: il ne comprend pas les émotions des adultes. Il n'a pas vécu la guerre comme nous et tout lui expliquer nous semble si compliqué. Certaines choses ne sont pas à entendre par des oreilles d'enfants. Il est juste content de nous voir chaque matin pour jouer et découvrir de nouvelles choses. Il colle beaucoup aux pattes de Livai. Il aime bien vérifier à chaque minute s'il est toujours dans la même pièce. Je suppose qu'on ne peut pas lui en vouloir car ils ont été séparé pendant trois ans. Il a sûrement peur que Livai parte, même nous lui avions expliqué maintes et maintes fois que ce ne sera plus jamais le cas.
Eduard est la source de chaleur et de joie dans ce foyer. Quand il n'est pas là, tout est silencieux, on entend à peine le parquet craquer. Il y a juste des regards inquisiteurs et des murmures polis. Le tintement des tasses posées sur leur assiette. Une paix dans laquelle les rouages de nos têtes s'activent et nous projettent des images que nous voudrions oublier. Sentir l'odeur cuivrée et entendre les cris jusqu'à ce qu'ils deviennent des bourdonnement constant.
Cette belle maison fleurie aux couleurs crèmes dans cette rue paisible et citadine empeste le désespoir et la mort.
Livai et moi n'étions pas heureux.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top