46. Parturition
Iris rentra vivement dans ma chambre où j'étais allongée sur le lit. J'étais recroquevillée contre moi-même et subissais de violentes contractions depuis plus d'une heure. Elle s'approcha vivement de moi. J'ouvre difficilement les yeux.
- J'ai prévenu le village! Ils vont aller chercher le médecin et certains se sont portés volontaires pour prévenir Livai! Ils devraient bientôt arriver.
- Bordel de merde! Ce n'était pas prévu... gémissais-je. Je ne devais pas accoucher avant trois semaines au moins.
D'un coup, un nouveau tiraillement m'envahit et je gémis de douleur en serrant les draps. J'ai été de nombreuses fois blessée dans ma vie lors des combats. Mais cette douleur, c'était pire que tout. Et je vivais dans l'attente de la prochaine avec anticipation. La nuit était tombée et il pleuvait à torrent. Le bébé a vraiment choisi le meilleur moment pour sortir.
Mais pour l'instant, je me contentais de contractions douloureuses en attendant le médecin. La peur m'envahissait. Je me sentais seule et vulnérable. Cela ne devait pas se passer comme ça du tout! Iris caressait mon dos, impuissante, pendant que je me tortillais dans le lit. Elle épongeait mon front en sueur et tentait de me parler autant soi peu quand je ne subissais pas une contraction.
L'attente était horrible. Iris ne faisait que regarder l'heure toutes les dix minutes. J'avais l'impression d'être dans une bulle et que le temps s'était figé à l'extérieur. Que personne ne semblait être au courant de ce qui m'arrivait et personne ne venait.
- Oh, bordel! J'ai tellement mal!
Il n'y avait personne et je n'avais aucun contrôle. Je ne savais pas quoi faire. Je nageais dans l'inconnu et dans l'angoisse. Au bout de plusieurs heures, nous avons compris que le médecin ne viendrait pas. Mes contractions se rapprochaient. J'étais à bout de force. Je m'endormais et me réveillais à cause de la douleur. Tout mon bas ventre était en feu. Je me demandais comment j'y verrais la fin. Quelque fois j'avais même l'impression de ne plus rien ressentir.
C'était ça... Je sentais que j'allais mourir. Tous mes sens étaient en alerte.
- I...iris... Il va falloir que tu m'accouches! Murmurais-je.
- Quoi?
- On n'a pas le choix! Personne ne va venir nous a...aider. Je ne vais pas laisser mon bébé crever alors que je suis sur le point de le rencontrer.
Ma respiration était sifflante. Je sentis un nouveau tiraillement de mon utérus et je me mis à crier.
- Ok, je sais que ça fait mal mais il faut que tu pousses quand tu sens tes muscles se contracter. Tu pousses de toutes tes forces!
Iris se plaça assurément entre mes jambes et me rassura comme elle pouvait. Elle retroussa ses manches et me lança un sourire qui sonnait un peu faux. La peur que j'avais se transforma en inquiétude au fur et à mesure. Après plusieurs poussées, il ne se passait toujours rien. Si cela se trouve, j'ai un problème. Je ne peux pas accoucher normalement.
Je n'étais même plus capable de réfléchir convenablement.
- Iris... Si... si je n'y arrives pas. Si je ne tiens plus... Il faut... Il faudra que tu m'ouvres.
- Quoi? Qu'est-ce que tu racontes?
- Il faudra que m'ouvre le bide pour le récupérer, gémissais-je.
- T'es complètement folle! Je serais incapable de te faire ça sans te tuer!
- Oui, peut-être... M...mais c'est le seul moyen pour que lui survive.
- Ne dis pas de bêtises! Tu fais du bon travail!
- Non! Ca fait des heures que je suis sur ce lit! Il est en train de mourir, j'en suis sûre!!
- Calme toi! Respire! Et puise dans toutes les forces possibles quand tu sens que ça vient.
- Iris... Il faut que...
- Respire!
- Je ne veux pas qu'il meure, sanglotais-je!
- Il ne lui arriva rien, Violet! Et ce sera grâce à toi! Pousse!
Je m'exécute en hurlant de douleur. Les draps étaient tâchés de sang de partout!
- Iris... Tu dois...
- Non, n'abandonne pas! Violet, tu es plus forte que ça!
Mes yeux étaient embués de larmes. Je crois bien que c'était le pire jour de ma vie. Même quand je repense à tous les sévices que j'ai subi, les morts qui me poursuivent et les pires de horreurs de la guerre. Il n'est rien de pire de penser que son enfant est peut-être en train de mourir et que je suis impuissante face à ça. J'aurai pu tout abandonner et en rester là pour mourir également. Si je n'avais pas le droit de voir cet enfant, à quoi bon...
- La tête! Violet, je vois la tête!! S'exclame Iris.
Mon espoir se regorge aussitôt. Je me relevais pour puiser dans mes dernières ressources, animée par l'impatience et la survie. Tout semblait durer une éternité. Comme un cycle infernal, malgré que la tête était visible, je n'avais pas fait tout le chemin.
- Pousse!!
En cet instant précis, je pensais à Livai. Il n'était pas là. Il n'était pas à mes côtés. Lui qui était ma source d'apaisement et de ma force. Il aurait sûrement su quoi dire ou quoi faire. Il n'est pas n'importe qui. Qu'est-ce qu'il a vu en moi pour qu'il veuille que je devienne sa femme? Qu'avais-je d'aussi exceptionnelle?
J'aurai voulu serrer sa main pendant ce moment. Peut-être qu'il n'aurait rien pu faire de plus mais ç'aurait été suffisant. Parce que Livai m'a toujours donné ce qu'il fallait. Son amour...
Des pleurs. Des pleurs bien distinctifs et stridents remplirent la pièce. Je relevais la tête pour voir Iris tenir une toute petite chose remuante dans ses mains. Il était vivant! Il pleurait!
Je reposais ma tête sur l'oreiller, à bout de souffle. J'avais toujours très mal mais rien qu'à la vu de mon enfant, la douleur n'en devenait que superficielle. Iris coupa rapidement le cordon ombilical et me tendit mon bébé.
- T'as été merveilleuse, Violet!
Je reçus dans mes bras l'inimaginable. J'admirais ce visage rougi et fripé, et ses petits mains qui étaient minuscules s'agiter devant moi.
- C'est un garçon, murmurais-je en pleurant.
Le soleil commençait à peine à se lever. Nous avions veillé toute la nuit. Nous étions le 3 Novembre en 850 et je venais d'avoir mon fils. Notre fils...
Iris se releva du lit et s'essuya le visage. Elle semblait épuisée elle aussi.
- Merci beaucoup. Je ne sais pas ce que j'aurai fait sans toi, avouais-je.
- Oh, tu as fait la plus grande partie du boulot, murmura Iris. Même si je dois t'avouer que je n'en peux plus. Je vais faire chauffer de l'eau pour le laver.
Pendant qu'Iris sort de la pièce, je reporte mon attention sur le nouveau né au creux de mes bras. Je dégageai son front avant de délicatement l'embrasser. Il s'était un peu calmé mais je préférais quand il pleurait, cela me prouvait qu'il était bien vivant.
___
Le soleil était désormais haut dans le ciel mais tout était calme dans la maison. Les éclaircies traversaient la fenêtre pour éclairer le vieux bois de la pièce. J'étais seule, assis dans le lit, incapable de fermer l'oeil.
Juste à côté de moi, dormait mon bébé. Il était calme depuis que je l'avais nourri et se contentait de se reposer après cet accouchement difficile. Je devrai en faire autant évidemment. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de fixer la fenêtre à espérer apercevoir quelqu'un.
Une larme coula sur ma joue. Je me sentais si seule face au monde. J'avais l'impression qu'une vie s'était écoulée depuis que j'ai quitté ma famille pour le bataillon et que j'ai rencontré Livai. On pouvait se dire que j'avais eu plusieurs mois pour m'y préparer mais c'était faux. Je me suis contentée d'être absorbée par mon devoir et l'avenir de l'humanité au lieu de m'interroger sur ce qu'allait vivre mon enfant.
J'ai eu tellement peur de le perdre pendant un instant. Il y a tellement de morts autour de moi. Je me suis dis que sa vie était certainement plus importante que la mienne. Et que si je venais à mourir, il ne serait quand même pas seul. Où est-ce que j'ai essayé de fuir... les responsabilité qui m'incombent?
J'ai un fils maintenant et il est devenu ma priorité numéro un. Juste par son arrivée, il a chamboulé tout mon avenir. J'essuies mon visage mouillé par mes larmes. Puis la porte s'ouvrit brusquement pour que je l'aperçois enfin.
- Livai?
Mon mari croisa mon regard et s'approcha vivement du lit. Il était trempé comme un sous et semblait dans tous ces états.
- J'ai reçu leur putain de messages en plein milieu de la nuit! J'ai galopé pendant des heures pour venir ici et impossible de mettre la main sur un fichu médecin!
Il releva mon visage et dégageai mes cheveux pour passer une main sur ma joue. Je fermai légèrement les yeux, apaisée qu'il soit enfin arrivée.
- T'as pas l'air bien... fit Livai inquiet.
- Je vais mieux que tu ne le penses. Le pire est derrière moi, répondis-je d'une voix calme.
Il encadra mon visage de ses mains et embrassa frénétiquement mon front.
- Bordel, j'ai bien cru que j'allais te perdre! Dis pas de la merde...
- C'est grâce à Iris. Elle... elle m'a sauvée. Sans elle...
Je remarquai que Livai n'arrivait pas à se calmer. Il était figé dans une expression d'horreur et j'avais l'impression que cela faisait bien des heures qu'il devait être comme ça. Dans l'attente angoissante de savoir si j'allais bien. Il a traversé la moitié de l'intérieur du mur en pleine nuit...
Livai est d'un certain contrôle face aux situations oppressantes mais cette fois, il était juste complètement impuissant. Il n'était pas face à un titan qu'il pouvait tuer facilement en un coup de lames.
Son regard descendit vers le nouveau né qui était allongé à côté de moi, enroulé dans une couverture que j'avais faite. Son expression se figea. Je me tourne et le pris délicatement dans mes bras pour lui montrer.
- C'est un garçon, expliquais-je doucement. Il est né il y a trois heures et... il semble en pleine santé.
Je regardais Livai le prendre avec précotions. Un sourire traversa mon visage quand je le vis se blottir entre son torse et ses bras musclés. J'avais raison, une vie s'était vraiment déroulée depuis que j'ai rencontré Livai. Nous étions de simples soldats et maintenant, nous étions devenus parents.
Dans le silence, Livai s'assit sur le lit à la lumière du jour pour regarder notre bébé. Cela m'étonnait à peine que son expression reste inchangée, même dans ce genre de moment.
- J'avais vraiment tord depuis le début, rétorque Livai.
Je relevais la tête. Mes yeux devenaient lourds à cause la fatigue et de mes pleurs.
- Tu n'as jamais été faible, continue-t-il. Tu es même la personne la plus forte que je connaisse.
Il releva la tête de son fils vers lui pour l'admirer. Il esquissa légèrement un sourire. Mon cœur se regorgea d'espoir et dans l'émotion, je ne pus retenir d'autres larmes. Il se tourna vers moi et enlaça ma main dans la sienne. J'avais espéré qu'il me fasse ça toute la nuit.
- Regarde moi, ce morveux. Il est si petit! Putain, t'as réussi à faire sortir ça de ton bide! C'est toi qui est surhumaine!
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