10. Aveugle

Il faisait terriblement froid entre les murs du quartier général du bataillon. Dans ces conditions, on s'attendait à tout instant à voir de la neige tomber du ciel. Les excursions étaient stoppées jusqu'à nouvel ordre et il n'y avait pas grand-chose à faire en ce moment.

Pendant que les soldats se demandaient s'ils allaient obtenir des congés pour les fêtes de fin d'année, j'étais plus préoccupée par le retard de mes règles. Je devais les avoir normalement en début de semaine mais je ne ressentais même pas les douleurs avant-gardistes.

Cela m'inquiétait surtout que j'étais normalement régulière. Est-ce qu'il faudrait que j'aille en parler à Hanji? Ou même au caporal?

Je louchai sur mon repas, la tête basse. Je n'avais pas d'appétit, surtout devant ces patates cuites à l'eau insipides.

- Violet?

Si on venait à m'apprendre que je suis enceinte, ce serait la fin de tout. Ma carrière de soldate, mes recherches sur les titans, mon honneur et sûrement le caporal. Il l'a bien dit: il a autre chose à faire qu'avoir femme et enfant. Je serai juste un handicap pour lui.

- Violet? Ça va?

- Hum...

- Ca fait 5 minutes qu'on te parle, rouspète Benedict. Je te demandai si tu pouvais me donner ta place de nettoyage.

- Oui... Pourquoi?

- T'es avec Markus et je dois lui parler.

- Lui parler, murmura ironiquement Iris?

La rousse l'ignora d'un balayement de la main.

- Je suis censée être avec Romain. En plus, j'ai remarqué que vous vous entendez bien tous les deux.

- Si tu veux mais... tu insinues quoi?

- Bah... Je ne sais pas, fit Bene en entortillant ses cheveux. Je vous vois souvent parler ensemble donc...

- Tu sais, l'amitié homme femme, ça existe, soupire Iris.

- Oui, on le devine bien avec toi.

- Elle a raison, renchéris-je. Romain n'a pas d'arrière-pensées. Il est gentil car on se connait depuis longtemps et on était dans les mêmes équipes de marches à l'entraînement.

- Surtout qu'il y a Marie...

Le prénom de notre défunte amie résonna dans nos oreilles. Iris me lança un vif regard, sachant que j'étais avec elle à la fin.

- Je crois qu'il ne l'a pas encore oubliée, murmurais-je. Il ne veut même pas savoir comment elle est morte. Et moi aussi, j'aurai aimé...

C'était inévitable en rentrant dans la bataillon d'exploration de subir des pertes. Mais d'une personne aussi proche et adorable que Marie, cela nous a tous déchiré. Je partageais ma chambre avec elle et c'était elle qui m'avait appris à me coiffer toute seule. Chaque fois que je fais une belle natte, je pense à elle. Sa mère m'a d'ailleurs offerte une de ses broches que je garde précieusement.

- Je prendrais ta place, Bene. Tu pourras être avec Markus.

- Merci...

J'inspectai la pièce du regard avant de voir qu'Iris avait délaissé son repas. D'un seul regard, on se comprend et on sortit de table.

- Tu ne dois pas voir Hanji, demanda-t-elle?

- Non, pas aujourd'hui. Je crois qu'elle n'est même pas là.

- Franchement, cela ne m'étonnerai pas si tu finis dans son escouade.

- La quatrième escouade? Mais tu es folle?! C'est une des divisions les plus importantes!

- Oui, je sais. Elle aide à l'innovation et aux recherches sur les titans. C'est une des seules choses qui t'intéressent depuis que tu es ici. Hanji t'en parle souvent d'ailleurs.

- Je suis beaucoup trop jeune et inexpérimentée pour rejoindre une unité majeure.

- Tu as tué 12 titans à toi seule et 38 en collaboration. Tu as repris du poil de la bête depuis quelques mois et je pense que c'est ton travail en laboratoire qui te fait du bien.

- Tu penses, fis-je en réfléchissant?

- Hanji a peut-être l'air d'une folle mais elle a peut-être réveillé ce qui s'animait en toi. Depuis 2 ans, tu n'as pas l'air heureuse ici. Tu m'as dit... que c'était ton but de rejoindre les explorateurs mais je n'ai pas compris pourquoi tu t'es autant renfermée au point d'éviter les entraînements et te faire discrète lors des expéditions. J'ai commencé à m'inquiéter... tu redevenais comme à notre rencontre: déprimée et perdue. Toujours avoir l'air ailleurs... J'ai pensé que... tout ça te faisait du mal. Les massacres lors des expéditions te rappelaient l'attaque de Shingashina. Et...

- Iris! Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi. Ni avant, ni maintenant et ni après... J'ai vécu des choses qui sont indélébiles. Et c'est normal qu'elles apparaissent dans mon attitude. Je ne peux le cacher indéfiniment... Je... ne peux juste pas t'en parler. Ce n'est pas contre toi, c'est juste... que cela doit rester secret. Mais désormais, j'essaye d'être la meilleure soldate possible et servir à bien l'humanité jusqu'à ce que la mort me choisisse.

La blonde resta silencieuse à m'écouter avant d'afficher un sourire sincère sur ses lèvres.

- Tu me rassures...

- Tu devrais en faire autant pour qu'on dépasse cette foutue Benedict!

- On ne l'a pas déjà fait? Et puis, on a dit: pas de compétitions entre nous. Tu nous aurais donc menti? Ricana-t-elle.

Oh... Et pas qu'un peu...

___

- Pour être honnête, je suis content de finalement faire le ménage avec toi. Benedict me met un peu mal à l'aise, avoua Romain en balayant la pièce.

J'essayai en vain de faire briller les vitres de la fenêtre. J'en ai plus qu'assez qu'on critique sans cesse mon travail. Même si je dois finir avec plus de courbatures qu'à l'entraînement. 

- Pourquoi? Elle est adorable.

- Tu trouves tout le monde adorable, Violet. Elle a un petit air hautain qui fait que je ne sais jamais quoi dire avec elle.

- Hum... C'est plus un genre qu'elle se donne. On se moque bien d'elle des fois et elle se calme pendant un moment avant de recommencer. Elle est comme ça. C'est vraiment une fille bien. Elle voulait aller chez les explorateurs depuis le début et s'est montrée courageuse pour nous suivre. Et en plus, elle a très bien réussi sa première expédition et...

Mes mots se perdirent dans ma bouche. Je me souvins de ce jour sanglant comme si c'était hier. Romain n'a pas remarqué mon malaise donc j'ai enchaîné l'air de rien.

- Cela ne m'étonnerait pas si elle vient à graver les échelons.

- J'ai entendu dire que tu avais rejoint l'équipe de recherches d'Hanji Zoe. C'est vrai?

- Pas officiellement mais il lui arrive de me parler de ses recherches et ses théories. Elle a trouvé une oreille pour sa passion préférée.

- Elle est beaucoup trop imprévisible. Je ne sais jamais quoi faire quand elle vient à me jacasser dessus.

- Est-ce qu'il y a au moins une personne avec laquelle tu n'es pas mal à l'aise? Ricanais-je.

- Oui, toi, répondit-il sans hésiter.

- Vraiment?

- Hum hum. Tu es juste gentille et sans prise de tête. Beaucoup de gens pensent que tu es trop sensible mais je dirais plus que tu es empathique. Tu te préoccupes des autres. Tu es prête à passer des heures à écouter Hanji sur ses titans. Ou persévérer dans le ménage alors que tout le monde sait que... tu es nullissime, et je cite tes propres mots.

Je me mis à pouffer en regardant la vitre qui semblait même plus sale qu'avant.

- Cependant, c'est bizarre. Je viens aussi de Shingashina et je ne me souviens pas t'y avoir croisé.

Un frisson d'angoissant me traversa mais je fis mine de rien et affichais un grand sourire.

- Ah bon?

- Tu étais de quel côté?

J'attrapai vivement la chaise de bureau pour l'amener au centre de la pièce.

- J...je ne me souviens pas. Tu peux m'aider en tenant cette chaise, je voudrai dépoussiérer le lustre.

- Hum, d'accord.

- Tu la tiens bien, hein? Je n'aime trop monter dessus, je n'ai pas beaucoup d'équilibre.

- C'est un peu une chose élémentaire pour maitriser l'équipement tridimentionnel...

- Voler dans les airs, ça ne me gêne pas. C'est tenir sur une vieille chaise en bois qui me fait peur.

- Ok ok, pouffa Romain.

Au même moment, j'entendis la porte de la pièce s'ouvrir. J'étais trop occupé à dépoussiérer pour regarder qui venait de rentrer. J'aurai peut-être dû mettre mon masque: la poussière me donne envie d'éternuer.

- Caporal?

Romain lâcha la chaise et mes jambes se mirent aussitôt à trembler. J'avais eu raison de me méfier de cette chaise. Je m'accrochai aux lustres et pestai contre Romain qui attrapa mes hanches pour m'aider à me faire descendre.

- Qu'est-ce que vous foutez? Jeder, tu devais être en cuisine.

Romain me reposa au sol et on s'éloigna sous le mauvais oeil de notre supérieur.

- Je sais... Mais j'ai échangé ma place avec Benedict White, fis-je en reprenant mon souffle et mon équilibre.

- Cette pièce est dégueulasse. Qu'est-ce que vous avez foutu?

- O...on vient de commencer, nous défendit Romain.

- Je m'en fous. Vous n'êtes pas capable de travailler ensemble. Toi, tu vas aller les rejoindre en cuisine, fit-il à mon ami. Et toi, tu remets ton masque.

Romain s'avoua vaincu et posa ses affaires pour sortir de la pièce mais le caporal l'interpella. Il lui parla tout bas mais je pus distinguer ce qu'il lui disait:

- La prochaine que je te repend à zieuter au lieu de faire ton travail, j'hésiterai pas à te filer mon plus beau coup de pied au cul.

Romain fuit aussitôt la pièce pour nous laisser seuls. Je lui lançai un regard noir en remettant mon foulard sur mon visage.

- Vous n'étiez pas obligé de l'engueuler. Romain n'a rien f...

- T'occupe, siffla-t-il avant de s'avancer pour reprendre le balais.

- Si le travail est aussi mal fait, vous savez bien que c'est à cause de moi. Il n'y ait pour rien.

- Arrête de le défendre.

- Je défends qui je veux. A cause de vous, j'ai failli tomber.

- C'est surtout à cause de lui. Il était déconcentré. Arrête de faire l'aveugle à chaque fois. Je les vois bien tourner autour de toi comme des vautours.

- Et qu'est-ce que ça peut vous faire? Romain n'est pas de ce genre. Seriez vous jal...

- On s'en branle! Il faut que t'arrête de leur laisser s'imaginer des choses.

- Vous insinuez que je leur fais du charme? Sifflais-je.

- Non, que tu ne repousses pas leurs avances en les ignorant simplement.

- Justement. Je trouve ça tellement superflus que je les ignore. Cela fait 3 ans que je fréquente des adolescents qui subissent leur hormone. Je suis habituée à ce qu'on vienne m'aider, la pauvre et fragile Violet, en espérant une "faveur" en retour. Ce n'est pas parce qu'ils me trouvaient jolie mais parce que j'étais le plus "femme" d'entre toutes.

- Parce que tu mentais sur ton âge?

- Oui, j'étais bien obligée, répondis-je faiblement.

- Est-ce que tu t'appelles vraiment Violet au moins?

Je soupirai en dévisageant le regard sérieux du caporal. Entre temps, une douleur s'était formée dans le bas-ventre mais étonnamment, elle me rassura.

- Oui.

Il n'y a plus que ça de vrai chez moi.

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