- On a pas été trop longs ?

- Vous auriez pu rester encore, mais bon.

Shi tourna la tête vers le duo, qui venait de rentrer de sa balade. Vespera tirait une tête pas possible, le visage figé comme si elle venait d'apprendre que la fin du monde était pour demain. Norem, lui, était complètement détendu et avait l'air de sortir d'un bain et d'un massage en même temps.

Ils ne posèrent pas de questions à Shi sur le cadavre. C'était un sujet qui avait l'air bien trop venimeux pour s'y risquer.

La jeune fille s'assit dans l'unique fauteuil, et Norem par terre.

- Vespera, commença le brun d'une voix de catastrophe, genre meurtre en série de sa famille ou de son chat.

Elle leva les yeux, et reprit en une fraction de seconde son habituelle apparence, abandonnant la blondeur délicate de l'après-midi.

- Oui ?

- Heu... j'ai croisé un Puxer qui m'a demandé de te traquer. En bref, ton père te cherche, et s'il en vient à engager des hermaphrodites tarés, c'est qu'il est vraiment à bout, dit-il d'un ton vaguement inquiet.

- Oh, fit-elle simplement.

Mais c'était un " oh " qui voulait tout dire. Elle sentait l'angoisse se diffuser dans son corps, et ne savait pas comment réagir...

- Un Puxer ? Quand même, il faut le faire, intervint Norem d'un ton sérieux. Il n'aurait pas aimé être recherché par ces chasseurs hors-pair, qui avaient l'endurance d'un homme et la légèreté d'une femme. C'était comme être devant un taureau et avoir le malheur d'être habillé en rouge.

- Ils peuvent me chercher. Je changerais d'apparence autant de fois qu'il le faudra, ils ne pourront pas me retrouver, affirma Vespera, la voix tremblante mais décidée.

- Je ne sais pas s'ils te cherchent. Celui que j'ai croisé m'a dit que le Régnant voulait que je t'attrape. Mais c'est quand même possible, corrigea Shi.

Vespera lui lança un regard suspicieux. Il n'oserait pas...

- Tu vas me vendre ?

Un silence lourd tomba dans la cuisine-chambre-salon-entrée. Même Norem se contenta de jouer avec ses cheveux, en silence.

Au bout de trois longues secondes, le brun reprit la parole.

- Je pourrais, mais on est Terriens, dit-il après une hésitation. " Il y a une sorte de solidarité, tu vois, mais je t'aime pas en particulier, se crût-il obligé d'ajouter, avec une grimace un peu forcée.

- Hmm... Tu fais ce que tu veux, de toute façon je peux aussi me débrouiller seule. Mais merci, dit-elle avant de se diriger vers la terrasse et de fermer la porte-fenêtre.

Norem regarda Shi d'un drôle d'air. La bougie parfumée que le propriétaire de l'appartement avait allumée pour chasser le parfum des cigarettes commençait à sentir trop fort, une odeur écoeurante de sucre.

- Alors, qu'est-ce que t'as prévu pour l'exploration du Palais ? finit par demander l'albinos, espérant du nouveau.

- Tu veux vraiment y aller, donc ? On est d'accord, répondit Shi avec un début d'adrénaline qui montait dans le corps.

Norem acquiesça, un demi sourire sur les lèvres. Il sortit la carte de sa poche, et la déplia sur la table.

- Vespera ne connaît pas l'existence de ce passage, dit-il en désignant un escalier incurvé dans un mur creux. Ça mène à la salle des archives, d'après mes déductions. En fait, j'en sais rien, mais c'est trop secret pour être normal, avoua-t-il.

- C'est pas un passage bouché, au moins ?

- Non, j'en suis sûr.

- Et tu penses y aller quand ?

- Dans une semaine, au plus tard.

Shi réfléchit à toute vitesse. Ils avaient besoin de réponses, mais des réponses à quoi ? En fait, il n'en savait rien du tout. Quelque chose les poussaient à vouloir y aller, vouloir connaître les secrets de Ganymède, dissimulés derrière des murs et des dessins. Peut-être qu'ils trouveraient des explications sur les Terriens. Ou sur encore autre chose.

Ce qui le poussait à vouloir aller explorer l'endroit le plus gardé de Ganymède était surtout la curiosité. Il savait à l'intérieur de lui que c'était dangereux, et n'en était que plus impatient. Savoir, et risquer sa vie pour ce savoir, c'était une chose qui le poussait à aller plus loin.

- On ira après-demain, lâcha-t-il d'un ton sans appel.

- T'es sûr ? C'est pas... Un peu trop tôt ?

- On a rien de spécial à prévoir, de toute façon. On part pour une exploration, pas pour un cambriolage. Et puis, si on a des ennuis, trois Terriens, ça pèse quand même, dit Shi avec de la fierté dans la voix.

Autrefois, il avait du mal à accepter d'être différent des autres. Aujourd'hui, il n'était plus le seul, donc sa manière de voir les choses avait elle aussi changée.

*

Salles obscures, souffle de la forêt

Parfum de mûre, tu es tout prêt,

Approche ! Le monde s'offre à toi

Tu ne reculeras pas, et pourquoi ?

La vérité est si proche, mais si loin

Elle tournoie, et saute, pieds joints,

Dans le lac du mensonge, ton préféré

Petit, apprend enfin à savoir nager

Sinon, tu risquerais bien de te noyer !

Cette fois, ce n'était pas des fragments du passé. L'esprit était devant Shi, et montrait du doigt un lac formé comme un cercle parfait, d'une eau presque noire. D'étranges particules argentées montaient à la surface, arrachant un fugitif éclat au lac.

L'esprit avait chanté ces mots d'une voix cristalline, ravissante à entendre. Du moins au début ; il avait terminé sa chanson dépourvue de sens sur un ton d'outre-tombe.

Shi se rendit compte qu'il avait le même corps que dans la réalité. C'était une première, lui dont les rêves le propulsaient toujours dans son enfance.

- Pourquoi t'es encore là ? demanda-t-il à la forme vaporeuse devant lui, qui avait la même expression que s'il faisait la meilleure blague de sa vie.

- Je serais toujours avec toi... souffla-t-il à son oreille, léger comme le vent. Mais maintenant, je vais t'aider.

Il commença à s'estomper, et le lac fût bientôt le seul paysage devant le jeune homme.

- Je suis nul aux énigmes...