.Ombres.
Dans l'appartement, tout le monde était focalisé sur une seule et unique chose ; le livre. Enfin, tout le monde, pas vraiment ; Lorelei était assise dans un coin, n'osant pas parler, préférant se faire discrète. Sa venue était tellement subite, elle sentait bien que tout tenait à un fil. Au moindre geste de travers, elle serait mise à la porte. Shi ne l'aimait pas, elle le voyait bien, et les autres n'étaient pas très différents.
Ce matin, elle était encore dans son local, s'échauffant pour le numéro de ce soir. Son corps n'en pouvait plus. Être trapéziste était un métier difficile, mais pourtant beau, et qu'on aimait vite quand on était doué. Mais elle n'avait pas eu le choix. Le directeur du cirque l'avait formé dans ce but, sans lui demander son avis, et tous les jours, elle devait passer au moins dix heures à s'exercer. En mangeant à peine, en dormant très peu, tout ça pour être la meilleure source d'argent du cirque. Elle était devenue aussi souple et agile qu'un chat, une fille caoutchouc, comme on l'appelait là-bas. Légère et rapide, sans jamais de chute dans ses numéros.
Logée dans un endroit sans chauffage, avec une couchette au matelas troué, elle n'avait pas été habituée au luxe. Et même si elle haïssait de tout son coeur cet univers dans lequel elle évoluait, jamais elle ne s'était plainte, par peur d'être dénoncée.
Maintenant, elle se trouvait là, au milieu d'adolescents comme elle, dans un appartement chauffé, assise sur un tapis qui lui paraissait moelleux et doux, même s'il était en réalité miteux et rêche.
Elle soupira de bien-être. Un jour entier sans faire craquer ses os à force d'exercice, ça faisait du bien. Peu lui importait les murmures agacés de ses nouveaux colocataires, elle s'en moquait un peu maintenant qu'elle avait réussi à s'échapper.
- Heu... Quelqu'un parle ça ? Ou le lit, ce serait déjà bien ?
Shi affichait un air perplexe. En effet, les pages du livre que Vespera avait volé étaient couvertes d'une écriture inconnue, une écriture qui semblait sortie tout droit d'une civilisation disparue dans une citée perdue de la mort maudite.
Vespera ne pût résister. Tout ce mal pour rien... Elle se laissa tomber par terre, désespérée. Malgré son éducation poussée au Palais, jamais cette langue ne lui avait été enseignée. L'écriture était composée de pattes de mouches, de formes carrées, d'angles pointues, de plusieurs symboles qui se répétaient, aussi. Quelques-uns étaient plus grands que les autres.
Mais, après avoir tourné une autre page, Shi poussa un cri de victoire, faisant sortir Norem de son assoupissement passager, assis nonchalamment contre le mur.
- Une image ! dit Shi, avec le ton d'un enfant devant un cadeau surprise, qui contenait le jouet de ses rêves.
C'était la représentation d'une fête. Des lumières, des costumes étranges, des petits paquets carrés, de couleurs vives. On pouvait y voir les Terriens, assemblés devant un grand arbre conique, décoré de guirlandes, et de boules colorées. Leurs yeux étaient faits à la peinture, mais un détail attira le regard de Vespera.
- Shi, dit-elle gravement.
Il se tourna vers elle.
- Regarde, ils n'ont pas tous les yeux bleus... souffla-t-elle, atterrée.
L'un des enfants de la peinture avait le regard vert, l'autre, marron. Plus loin, un petit groupe arborait une peau sombre, marron ébène, et portait des cheveux noirs et ébouriffés. Vespera ouvrit grand ses yeux ; non seulement sur Terre, il n'y avait pas toujours eus les yeux bleus, mais en plus, il y avait des Terriens à la peau sombre ! Étaient-ils différents des autres ? La peinture montrait la même expression de joie et d'émerveillement sur le visage de chacun d'eux.
Non, tout le monde était pareil, sur cette peinture. Émerveillés devant cet arbre coloré. Yeux verts, yeux bleus, yeux bruns, peau sombre, peau claire, peu importait.
Mais alors, s'il y avait autant de diversité dans le physique sur l'image, comment se faisait-il que les Terriens venus conquérir Ganymède autrefois étaient tout clairs de peau, et aux yeux bleus ? Serait-il possible qu'une catastrophe se soit abattue sur les autres ? Ou que les légendes mentent ?
- J'ai faim... murmura Lorelei, d'une toute petite voix.
Shi lui lança un regard noir, et l'ignora superbement. Norem se leva, et prit le reste de leur repas, qu'ils n'avaient pas mangés, et un verre d'eau.
- Je sais, il n'est pas très gentil. Mais ne t'inquiètes pas, je te ferais survivre à ce climat mortifère, dit-il en s'asseyant près d'elle, avec un clin d'œil complice.
Elle le regarda avec indifférence, puis pris le bol et le vida d'un coup. C'était si bon qu'elle le savoura en silence, les yeux fermés.
Norem reporta son regard sur la fenêtre. Il était comme aimanté à cette image éternelle ; la lumière du midi, ou celle de la nuit, quelle qu'elle soit, le faisait toujours rêver. C'était comme s'il avait eu des ailes pendant quelques minutes, et qu'il lui suffisait de les déployer pour réussir à sortir d'ici. Ganymède les haïssait, Ganymède voulait les tuer, mais pourtant, qu'avaient-ils fait ? À part survivre, comme ils le pouvaient. La chance n'était pas accordée à tout le monde, pourtant, certains auraient considérés comme une bénédiction le fait d'être capable d'autant de choses.
- Cette langue me dit quelque chose...
L'albinos tourna la tête. Shi était penché sur une page du livre, l'air concentré, Vespera au-dessus de lui.
Norem n'était pas extrêmement cultivé. Il connaissait pas mal de choses, mais était loin d'être un érudit digne de ce nom. Et pour la première fois, être comme ça lui faisait se sentir incapable. Il aurait aimé savoir lire cette langue mystérieuse, décrypter les mystères de la Terre, ce chez eux inaccessible, perdu dans l'espace constellé d'étoiles. Cette planète qui leur donnait le sentiment d'être loin de leur maison, alors qu'ils n'y avaient jamais mis les pieds.
Perdu dans ses réflexions, Norem ne vit pas que quelque chose clochait. Il n'entendit pas non plus les bruits de moteur, dissimulés par le double vitrage de la fenêtre. Pas plus qu'il ne réalisa que, quelques secondes plus tard, une dizaine d'hommes venaient d'atterrir dans l'appartement, la vitre brisée, des armes pointées sur eux, dans une cacophonie d'apocalypse.
Juste avant de se faire assommer par une matraque tenue par un homme sans visage, Norem put voir Vespera mettre le livre sous le tapis.
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