Si seulement Shi pouvait effacer le passé. Si seulement son talent était de modifier le temps, d'inverser le cours des choses.

Ou, tout simplement, si seulement il s'était levé pour défendre son frère cette nuit-là...

Mais il avait eu trop peur. Tétanisé, il n'avait rien pu faire. Et maintenant, il se trouvait face à l'horreur dont il était responsable. Le corps de son frère, resté le même qu'à ses cinq ans, mais hanté par la créature qui l'avait tué.

Les esprit étaient souvent ses alliés, mais parfois ils se servaient de son talent pour lui faire du mal. C'est la raison pour laquelle Shi faisait maintenant très attention à ses fréquentations décédées.

- Niko... Qu'est-ce que tu veux ?

Il était descendu à côté du petit garçon, permettant à Norem et Vespera de se reculer jusqu'au mur pour éviter d'être blessé, si jamais quelque chose arrivait.

Le jeune homme affichait l'air le plus calme, pour tromper Niko. Il devait avoir l'air normal, sinon l'esprit en profiterait pour lui faire du mal.

- Je suis content que tu soies là, grand frère. Je voulais... te poser une question, énonça doucement l'enfant, la voix redevenue celle d'un petit garçon.

Shi avala difficilement sa salive.

- Je t'écoute, dit-il en gardant un ton calme.

Son frère, devant lui, exactement avec la même apparence que le jour de sa mort. Son frère, bien vivant et agissant comme si rien ne s'était passé !

Shi avait l'habitude de faire face à des situations compliquées à gérer, mais c'était quand même l'une des plus farfelue qu'il ait jamais affronté.

- Je veux... Est-ce que tu aimes le caramel ? commença Niko, avant de changer totalement d'attitude, prenant un air gourmand.

Si Shi fût déstabilisé, il n'en montra rien ; il savait à quel point il était primordial de ne jamais prouver à un esprit dangereux qu'on avait peur. Sinon, l'esprit s'engouffrait dans cette brèche de terreur pour tout détruire.

- J'adore le caramel, répondit-il donc simplement.

- Oh ! Génial, moi aussi !

Le petit garçon sautilla d'un air surexcité, le visage souriant. Mais c'était un sourire d'automate, un sourire sans yeux illuminés.

- Le caramel, c'est quelque chose qu'on brûle pour le changer en une meilleure saveur. Tu imagines ? Ça veut dire que tout ce que tu brûles est parfait après... Tu voudrais brûler pour moi ? chuchota-t-il près de Shi.

Shi recula précipitamment, en retenant un hoquet de peur. Il sentait l'odeur du danger mortel près de lui.

D'un coup, sans prévenir, une hache s'abattit. Lourde, brillante, tranchante. Une arme rare, et exposée uniquement dans quelques musées, pourtant la hache que Shi venait de voir passer était tout ce qu'il y avait de plus réel.

- Ça va ?

Norem avait prit le coup. Sur sa main. Elle était tranché jusqu'au poignet, laissant voir l'os fraîchement coupé et le sang, qui commençait déjà à bouillonner à travers les muscles à nu.

- Oui, mais ta main ! Tu... tu n'as pas de douleur... comprit Shi, en voyant l'absence de réaction faciale sur le beau visage de statue du jeune homme.

- Non ! dit-il avec un grand sourire. De toute façon, je portais déjà une prothèse à cet endroit, il a tranché quelques nouveaux centimètres, c'est tout.

Pour la première fois, Shi lui sourit. Il ne comprenait pas pourquoi Norem venait de sacrifier un peu de son corps pour lui, mais il lui en était reconnaissant.

- Toi... tu as tout gâché !

Cette fois, on entendait à nouveau la voix rocailleuse de l'esprit à travers la voix du petit garçon. Ses yeux avaient pris une teinte inquiétante, proche du rouge et loin du brun clair toujours pétillant que Shi avait connu de son petit frère.

- Tu crois que tu nous fais peur ? Viens voir papa, sale gamin, clama Norem d'un ton assuré.

Il sortit les griffes métalliques de sa prothèse, qu'il venait de remettre malgré la plaie à vif qui se cachait dessous. Les lames, fines et argentées, semblaient aussi acérées que celle d'un rasoir.

Quand Niko fondit sur lui, hache en main, Norem esquiva facilement. Il en profita pour trancher profondément la cuisse de l'enfant.

S'il se permettait d'affronter le frère de Shi, c'était pour une simple raison ; Norem avait lu dans les pensées du brun, et savait que pour lui, ce n'était plus son jumeau mais un monstre à tuer.

Et comme Norem adorait se battre, il en profitait. La hache frôla son cou, coupant une fine mèche de cheveux blancs.

- J'ai mal ! Tu m'as fait mal ! hurla t'il, furieux.

- Tu l'as mérité, et j'aime bien faire mal aux parasites, répondit simplement Norem, en propulsant le gamin contre le mur.

Bloqué par la force psychique de l'albinos, Niko ne pouvait plus bouger. Il essayait pourtant, hurlant de sa voix atroce, et ondulant comme un serpent pour se dégager.

- Je te le laisse, lâcha Norem en s'adressant à Shi.

- Merci, répondit-il simplement avant de lancer avec force un couteau dans la carotide du garçon.

Ses yeux se figèrent dans un regard vitreux, le sang s'écoulant comme une rivière de la veine vitale.

Quand il cessa de respirer, une fumée noire sortit de sa bouche, comme s'il vomissait. La fumée s'envola vers le ciel pourpre, vers les sommets.

Dès qu'elle eût quittée le corps, il commença à se décomposer en accéléré. Les yeux coulèrent de leurs orbites, les lèvres se retroussèrent sur des dents pourrissant à vue d'oeil ; les membre maigrissaient, montrant des os faméliques, et la peau fonça. Une odeur douceâtre et fétide, puis aggressive et répugnante parvint aux narines de Shi et Norem.

Vespera avait pris soin de mettre un mouchoir devant son nez. Elle la connaissait bien, cette odeur, et ne voulait pas la sentir encore.

- C'est fini, dit-elle en arrivant à leur niveau. Tu as eu ton moment seul, finalement ?

- Oui, mais maintenant je voudrais que vous alliez vous promener pour une autre raison. Je dois nettoyer...ça, marmonna t'il à voix basse, les yeux rivés sur ce qu'il restait du cadavre.

- Ah... d'accord. On y va, alors.

Elle prit le bras de Norem, et l'entraîna vers la rue la plus proche.

Avec de l'amertume dans le coeur, Shi se résolut alors à enlever ce qu'il restait de Niko. Son petit frère, qui l'aurait décidément embêté jusqu'au bout.

Il rit, se rendant compte de l'ironie de la situation. C'était lui qui avait demandé la mort de son jumeau, et au final, il avait aussi tué l'esprit qui l'avait aidé.

Comme quoi, aider ne veut pas dire qu'on est à l'abri d'un meurtre.