5- Le récit de Corwin
Il prend une grande inspiration et se lance.
- J'avais une sœur. Elle avait de grands yeux de cristal, et de longs cheveux d'un blond vénitien, me dit Corwin, le regard perdu dans le vide.
Je tique. On dirait qu'il vient de me décrire. Enfin, j'ai les cheveux blonds, avec quelques reflets roux, et des yeux bleus très clairs, mais « de grands yeux de cristal » me parait tout de même flatteur... Autre chose m'interpelle... « J'ai une famille, des souvenirs », quatre chaises autour de la table...
- Avait ?
- Oui... Elle a disparue. En fait, je suis né dans cette chaumière. Et sept ans plus tard, ma mère est de nouveau tombée enceinte. Elle est morte en accouchant...Dès lors, mon père a dû nous nourrir, s'occuper de nous... Tout ça, seul.
Il semble réciter un texte. Sa voix ne tremble presque pas. Je crois qu'il préfère tout dire d'une traite, alors je ne l'interromps pas.
- J'avais treize ans et Gwenaëlle, ma sœur, en avait six quand mon père n'est pas revenu de la chasse. Ce fut donc à mon tour de m'occuper d'elle tout seul. Ma sœur a tout de même été forte lorsque je lui ai dit que l'on devait partir. Nous avons pris un maximum d'affaires et nous avons voyagé dans le but de trouver quelqu'un, un village ou n'importe quoi, mais nous ne pouvions rester tout seuls.
Un temps, il respire lentement.
- Nous avons été étonnés quand, au bout de seulement une journée de marche, nous sommes tombés sur un groupe de petites maisons entourées de champs et de pâturages dans lesquels broutaient plein d'animaux. Nous avons tout de suite été accueillis. Nous avons vécu pendant deux ans dans une famille qui nous avait « adoptés » dès que nous lui avions racontés notre histoire. Mais nous avions grandis, et nous sommes retournés chez nous. Ma sœur, qui était désormais âgée de huit ans, savait se tenir quand je partais au village une fois par semaine pour aller chercher un peu de nourriture et des objets que l'on ne pouvait fabriquer nous-mêmes, au village en échange de morceaux de tissus que Gwen cousait, ou de petits gibiers que je chassais de temps en temps. Une année durant, nous avons vécu comme cela, c'était, je crois, la plus belle époque de ma vie, ma sœur était tellement joyeuse... On était devenus autonomes, nos parents auraient été fiers.
- Je n'en doute pas.
Effectivement, cela n'a pas dû être facile. Mon enfance à moi s'est déroulée de manière assez banale. Je n'avais pas beaucoup d'amis certes, mais c'est dans ma nature, je n'extériorise que très peu, et cela ne facilite pas la vie sociale.
Donc mon seul problème, cela a été les amis, tandis que pour eux deux, ça été de se nourrir et de vivre de manière décente alors qu'ils se sont retrouvés orphelins très tôt.
- Que s'est-il passé ? demandé-je doucement.
- Elle était partie chercher des baies et des fleurs dans la forêt, il désigne du regard les bois derrière la fenêtre, elle adorait se balader la-bas. Moi, j'étais dehors, en train de m'occuper du potager, quand j'ai entendu son cri... Un cri strident, presque inhumain, mais je l'ai tout de suite reconnue, et, sans réfléchir, je me suis lancé dans sa direction. Arrivé dans une clairière, je me suis arrêté, ce n'était plus la peine d'avancer, son panier, remplit de fleurs et de fruits, reposait au pied d'un arbre... Je suis resté paralysé un long moment.
Il marque de nouveau un arrêt, comme pour mettre en relief ce qu'il vient de dire.
- Je ne sais pas ce qu'il lui est arrivé... En proie à la plus grande tristesse que je n'avais jamais connue, je me suis mis à sa recherche, mais c'était vain. Je me suis résigné au bout de quatre mois d'effort. Cela en fait donc dix que je vis tout seul. J'ai pourtant essayé de retourner vivre au village, mais cela me rappelait trop Gwen. Et puis, je dois rester à la chaumière pour être là si elle revient un jour. Même si je doute vraiment de la revoir...
Il a enduré la mort de sa mère, vécu la disparition de son père et de sa sœur. Je ne sais pas quoi lui dire. Son récit m'a beaucoup touché...
Une larme roule sur sa joue, il l'essuie rapidement et reprend ses esprits. Il relève son regard vers moi pour me fixer, les yeux écarquillés.
- Tu... Tu disparais !
Je regarde mes mains, Effectivement, je disparais ! Je m'efface de sa réalité. Et j'ouvre les yeux sur ma mère qui vient de me réveiller.
- Tania... Tania, debout, tu vas être en retard.
Je me rends enfin compte que je viens de rejoindre le monde réel et que mon réveil laisse échapper une musique douce. J'étais tellement plongée dans le récit de Corwin, que je ne l'avais pas entendu.
Cela fait donc dix mois qu'il est seul... Nous avons déjà un point commun.
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